La flottille qui se dirige vesr Gaza a affirmé dans la nuit de lundi à mardi qu’un de ses bateaux avait été «frappé» par un drone au large de Tunis. Ce que les autorités tunisiennes ont démenti en disant n’avoir détecté «aucun» engin. Si elle se confirme, l’attaque très vraisemblable place le président tunisien, Kaïs Saïed, dans une situation intenable. Alors que les témoignages sont clairs, les autorités démentent et les pro-Saïed crient au complot.
Selim Jaziri
L’un des principaux bateaux de la flottille pour Gaza actuellement à l’ancre dans le port de Sidi Bou Saïd au nord de Tunis, a été la cible d’une frappe par drone dans la nuit de lundi à mardi. Les dégâts matériels sont limités, une pile de gilets de sauvetage a brûlé. La « Global Sumud flottilla » a confirmé que l’un des principaux bateaux, The Family boat, sous pavillon portugais, qui transporte des membres du comité directeur de la GSF, a été frappé par un drone dans les eaux tunisiennes. Parmi ces membres, certains, dont Greta Thunberg, Rima Hassan ou Thiago Avila, militant écologiste brésilien, se trouvaient déjà à bord du Madleen, arraisonné par l’armée israélienne en juin dernier.
La flottille, partie d’Espagne, est arrivée dimanche après-midi dans le port de Sidi Bou Saïd où des milliers de personnes ont accueilli quelques unes des figures emblématiques de cette expédition, dont Rima Hassan ou Mandla Mandela, petit-fils de Nelson Mandela. Elle doit repartir mercredi en direction de Gaza pour briser le blocus humanitaire.
Les autorités israéliennes ont averti qu’elles traiteraient les personnes embarquées à bord de la flottille comme terroristes et n’hésiteraient pas recourir à la force. L’action de cette nuit signifie clairement que ces menaces doivent être prises au sérieux.
Des témoignages sans ambiguïté
La Garde nationale a immédiatement démenti tout acte hostile et affirme que selon des inspections préliminaires, l’incendie a été provoqué par l’étincelle d’un briquet ou un mégot de cigarette. « Nous démentons l’observation d’un drone au port de Sidi Bou Saïd. L’enquête est encore en cours ». Le Ministère de l’Intérieur, lui, fait état de rumeurs infondées.
Cependant, les témoignages et les vidéos qui circulent en ligne ne laissent guère de doute. « J’étais à l’arrière du bateau, j’ai entendu un drone qui volait à 4 mètres au-dessus de ma tête. Il s’est déplacé lentement vers l’avant du bateau et a lâché une bombe. Il y a eu une énorme explosion, de grandes flammes […] À 100 % c’était un drone qui a lâché une bombe sur le pont avant de notre bateau », affirme l’un des membres de l’équipage. « Six personnes à bord du bateau ont vu un drone lâcher un engin explosif sur le bateau », a confirmé Thiago Avila.
Une vidéo de surveillance montre clairement le moment et la trajectoire de la frappe, tombant verticalement sur le bateau, suivie d’une explosion. Dans une autre vidéo, le bruit d’un drone est clairement perceptible.
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« Une agression contre la souveraineté tunisienne »
« Bien sûr, ces faits doivent être vérifiés, a estimé Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les territoires palestiniens occupés, qui habite à proximité du port et s’est rendue immédiatement sur place. Mais il y a un historique d’attaques sur les flottilles et des déclarations hostiles de la part des autorités israéliennes. Il n’y a aucun autre État pour protéger cette flottille que la Tunisie qui lui fournit un port sûr. S’il se confirme qu’il s’agit bien d’une attaque par drone, alors il s’agit d’une agression contre la Tunisie et sa souveraineté. »
Kaïs Saïed au pied du mur
Comme l’indique l’empressement des forces de l’ordre à démentir une attaque par drone, l’affaire est embarrassante au plus haut point pour Kaïs Saïed. Le Chef de l’État a inscrit solennellement dans le préambule de la Constitution de 2022 « le droit [des Palestiniens] à disposer d’eux-mêmes, en premier lieu le droit du peuple palestinien à sa terre spoliée et à l’établissement de son État, sur cette terre après libération, avec Al-Quds Al-Sharif [Jerusalem] pour capitale. » À plusieurs reprises, il a qualifié de « haute trahison » tout acte de normalisation avec Israël.
Cet attaque survenue dans les eaux tunisiennes le place au pied du mur. Or, la marge de manœuvre internationale de la Tunisie, fortement dépendante financièrement, est extrêmement réduite. En novembre 2023, il avait enterré la proposition de loi parlementaire visant à criminaliser la normalisation. La caravane de solidarité avec Gaza partie de Tunis en direction du poste frontière égyptien avec la bande de Gaza, en juin dernier, avait suscité la colère du maréchal Sissi à l’encontre de Kaïs Saïed. Elle avait été stoppée et réprimée par les autorités libyennes de Benghazi, sous le contrôle du maréchal Haftar.
Une réaction à la hauteur de l’agression placerait Kaïs Saïed en difficulté avec ses soutiens internationaux, une absence de réaction ruinerait ses prétentions à être le héraut de la souveraineté nationale et de la cause palestinienne, et illustrerait, une nouvelle fois, l’incapacité des États arabes à soutenir les droits des Palestiniens.
Un déni intenable
Pour le moment, les autorités tunisiennes semblent opter pour le déni. Riadh Jrad, chroniqueur et relais de la propagande de la présidence dans les médias nationaux, dans un statut rapidement supprimé, a évoqué un incendie provoqué lors d’une soirée alcoolisée à bord du bateau, qualifié de canular les vidéos montrant l’attaque, et dénoncé un complot des médias dont la chaîne Al Jazeera et de l’organisation internationale des Frères musulmans pour dégrader l’image de la Tunisie. Le conseil local de Carthage a lui aussi démenti l’attaque, appelé à s’en tenir à la version officielle et dénoncé la propagation des « rumeurs » de menace pour la sécurité nationale.
Cette posture, devant l’évidence des faits, la quantité de témoignages et d’indices mondialement diffusés sur les réseaux sociaux, est intenable. La cause palestinienne transcende les clivages politiques en Tunisie et suscite une intense émotion populaire.
Ce n’est pas la première fois qu’une opération israélienne vise le sol tunisien. Le bombardement du siège de l’OLP à Hammam Chott en octobre 1985, avait tué 68 personnes dont 18 Tunisiens, et manqué de peu Yasser Arafat. Habib Bourguiba avait saisi le Conseil de sécurité des Nations unies. Le 16 avril 1988, un commando du Mossad avait assassiné le numéro 2 du Fatah, Abou Jihad, là encore, la Tunisie avait saisi le Conseil de sécurité. Le 15 décembre 2016, Mohamed al-Zawahri, un ingénieur concepteur de drones pour le compte du Hamas, avait été assassiné à Sfax, vraisemblablement dans une opération commanditée par Israël. La Tunisie avait lancé des poursuites internationales contre les deux auteurs, de nationalité bosnienne, arrêtés et extradés.