Au Sénégal, le conflit politique sur lequel avait misé les partisans de l’ancien régime défiat, est désormais ouvert entre le président de la République Bassirou Diomaye Faye et son premier ministre. Ainsi, de vielles relations amicales et idéologiques sont remises en cause. Les hostilités sont lancées alors que les populations confrontées à une crise économique, redoutent une répétition de l’histoire de la crise de 1962 entre Léopold Sedar Senghor et son numéro 2 de l’époque, Mamadou Dia.


Au Sénégal, au plus haut sommet de l’État, l’on est en train de passer d’un duo qui a brillé par sa complicité, sa résilience au milieu de l’épreuve, à un duel, au choc des ambitions avouées ou inavouées. Ces dernières semaines, les relations politiques entre le président de la République Bassirou Diomaye Faye et son premier ministre, Ousmane Sonko ne sont pas au beau fixe. L’une des principales raisons est que les membres du parti au pouvoir Pastef estiment que le président de la République Bassirou Diomaye Faye est en train de s’écarter de la ligne politique du parti.
C’est l’avis de Moussa Diao, l’un des responsables du parti dans la banlieue dakaroise. « La réalité est que le président de la République Bassirou Diomaye Faye est en train de prendre un chemin autre que celui qui est tracé par notre formation qui l’a porté au pouvoir. Et c’est amer de constater ce revirement après tant d’années de sacrifices des militants et du président du parti Ousmane Sonko », regrette le jeune acteur, visage renfrogné, assis sur la place publique de Pikine Nord.
La mésentente entre le président de la République Bassirou Diomaye Faye et les membres de son parti dont le leader Ousmane Sonko, ont deux origines. L’une est « la lenteur de la justice » concernant l’emprisonnement ou la poursuite des responsables de l’ancien régime de Macky Sall. Ce point a été dénoncé publiquement par Ousmane Sonko dans plusieurs de ses sorties. « Notre parti est victime d’attaque. Et si le président voulait que ça cesse, ça allait cesser », avait il regretté amèrement.
Aminata Touré récusée par Ousmane Sonko
L’autre point de divergence est la nomination de celle qui a occupé les fonctions de premier ministre sous Macky Sall, Aminata Touré, comme superviseur de la coalition « Diomaye président » ( coalition dont Pastef est membre) et qui a porté la candidature de l’actuel président de la République, lors de l’élection présidentielle de 2024. Cette dame a été publiquement récusée par Ousmane Sonko, lors de son rassemblement politique du 8 novembre 2025.
Chronologie d’un compagnonnage
Pour le ministre Ousmane Sonko, il ne faut point se voiler la face. « Il y a problème et nous le savons tous », avait il récemment déclaré ouvertement. De son côté, le président de la République Bassirou Diomaye Faye ne s’est jamais prononcé sur le conflit publiquement. En tournée économique dans la Casamance, fief de son premier ministre, ( du 20 au 25 décembre), il a été boycotté par des Camarades de parti, favorables à Ousmane Sonko.
Même si aujourd’hui tout semble les séparait, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko entretiennent de vieilles relations. D’abord au plan professionnel, ils sont tous deux inspecteurs des impôts et domaines, formés à l’École nationale de l’Administation (ENA). Par la suite, ils ont été collègues pendant plus de 15 années dans l’administration fiscale. Ils ont été ensemble à la tête du Syndicat des impôts et domaines.
Lorsqu’Ousmane Sonko a voulu se lancer en politique après sa radiation de la fonction publique en 2015, Bassirou Diomaye Faye a été l’un des premiers à l’accompagner. C’est ainsi qu’il a par la suite occupé le poste de secrétaire général du parti Pastef. Tout comme Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye a aussi été emprisonné sous le régime de Macky Sall, pour outrage à magistrat pendant 10 mois.
Ainsi, ne pouvant pas se présenter à l’élection présidentielle de 2024, à cause de ces démêlés avec la Justice, Ousmane Sonko a jeté son dévolu sur lui, pour briguer le suffrage des Sénégalais. Sorti de prison, il se présenter à l’élection présidentielle, dix jours seulement après l’élargissement, et fut élu avec 54% des suffrages devant le candidat de Macky Sall, l’ex premier ministre Amadou Bâ.
Pour l’ami des deux et camarade de parti, Elhadji Malick Ndiaye, ces deux hommes ont toujours entretenus des relations politiques et humaines saines. Et sont mus par l’ambition de développer le Sénégal.
Profondes divisions
Depuis quelques semaines, la division est profonde entre Bassirou Diomaye Faye et le Pastef. D’ailleurs, il a été récemment organisé une campagne de désabonnement et de retrait des pages officielles de la Présidence de la République. « Nous ne voulons pas d’un président qui se démarque des orientations politiques données par Ousmane Sonko. Et nous ne l’accepterons. Le leader de notre parti c’est lui », explique Ousmane Sarr, militant et responsable du parti.
Dans ce conflit, des responsables ont ouvertement pris position. Le directeur du Port autonome de Dakar, Waly Diouf Bodian souligne par exemple que sa seule boussole politique est Ousmane Sonko. « Je ne me sens nullement concerné politiquement par tout ce qui se fait en dehors de Pastef. Mon périmètre et mon horizon politiques se limitent uniquement à Ousmane Sonko », dit il.
Le maire de Dakar, Abass Fall a également abondé dans le même sens. Il est même allé un peu plus loin, disant qu’aucune « usurpation ne sera faite de notre victoire, acquise de haute lutte ». Pendant ce temps, Aminata Touré, présidente de la coalition Diomaye Président poursuit sa campagne de massification. D’ailleurs, un siège a été ouvert à Dakar le mardi 23 décembre 2025.
2029, la mère des batailles
Désormais au Sénégal, tous les regards sont braqués vers 2029, année de la prochaine élection présidentielle. Pour Pastef, même si Bassirou Diomaye Faye, n’a pas en encore dévoilé ses ambitions, il est hors de question de rater l’occasion de placer Ousmane Sonko, à la tête du pays. Mais pour le moment, son éventuelle candidature bute sur une décision de justice datant de 2023, et qui le rend inéligible.
C’est pour cette raison, que ses avocats ont tenu le lundi 22 décembre, une conférence de presse pour demander la révision de son procès pour diffamation l’opposant à l’ancien ministre sous Macky Sall, Mame Mbaye Niang. Il s’agit d’un droit inaliénable selon l’un des avocats Me Ciré Clédor Ly.
« Cette procédure exceptionnelle est le seul moyen offert à une victime d’une erreur judiciaire pour remettre en cause l’autorité de la chose jugée, pour l’annulation de la condamnation devenue définitive. Celle-ci vise tout simplement au rétablissement de la vérité sur des accusations et une condamnation injustes. Cette voie de recours, qu’on dit extraordinaire, est aussi une voie de recours exceptionnelle qui efface la condamnation. Elle est ouverte, figurez-vous, même pour des personnes décédées. Que tout le monde le sache. C’est un droit », a-t-il martelé.
Récemment le concerné, lui-même, Ousmane Sonko a déclaré que « rien ne peut l’empêcher d’être candidat en 2029 ». Et cette semaine, les choses ont bougé, puisque ces partisans ont lancé, une campagne « ma carte appartient à Ousmane Sonko ». En première ligne de cette initiative, Yarga Sy confie que l’ambition est de le porter à la tête du pays en 2029. « Nous sommes des Sénégalais d’ici et de la Diaspora et notre vision est de changer les choses. Nous allons mobiliser et massifier pour réussir cette mission », renseigne-t-il.
Le scénario Senghor Dia
À Dakar, d’une matinée du jeudi, la place de l’Indépendance grouille de monde. Si certains apprécient les décorations préparer la fête des fins d’année, Ousmane Faye, huissier de formation, lui, est plongé dans la lecture d’un journal. Très au fait de l’évolution de l’actuelle politique, il dit redouter les conséquences sociales et économiques d’une crise au sommet de l’État. Cette situation dit il, lui rappelle la crise entre Mamadou Dia, alors président du Conseil et Léopold Sédar Senghor alors président de la République. On était en 1962.
« Ce conflit entre les deux hommes forts de l’État du Sénégal a retardé le pays. Il a freiné l’économie et provoque des dissensions sociales. Aujourd’hui, la situation est comparable. Et nous n’avons pas besoin d’une crise politique. Déjà l’économie du pays est à terre. Les gens souffrent. Les jeunes sont à la quête d’emplois. Certains n’hésitent pas à rallier l’Europe, en pirogue, risquant leurs vies. Donc les priorités sont ailleurs », diagnostique Ousmane.
Amsata Gaye est du même avis. Pour lui, l’économie est assez fragile pour supporter une crise profonde au sommet de l’État. « La dette est excessive. On parle même de plus de 120%. Donc nous ne pouvons pas nous permettre des crises successives. La priorité du Gouvernement doit être de régler les problèmes économiques et sociaux du pays. Ces conflits politiques nous retardent. Il est temps qu’on se mette au travail. Les spéculations ne peuvent pas developper un pays », indique Amsata, comme pour dire qu’il en a ras-le-bol des combats politiques dans un contexte où l’économie flanche.




























