La fresque de Michel-Ange, La Création d’Adam, traverse les siècles non seulement par sa puissance artistique et spirituelle, mais parce qu’elle touche à l’essence même de l’humanité. Deux mains s’y tendent sans se toucher ; dans cet infime espace se jouent la liberté, la conscience, la dignité et l’élan vital. Cette scène, devenue universelle, exprime une philosophie de l’élévation humaine. Et si cette image offrait aujourd’hui aux peuples africains une clé de lecture pour penser la dignité, la responsabilité politique et la renaissance de leurs nations respectives ?
Bernardin Dilou
À l’heure où l’Afrique cherche sa place dans un monde en recomposition, La Création d’Adam nous rappelle que la renaissance d’une nation ou d’un continent commence toujours par la reconnaissance de la dignité humaine. L’œuvre de Michel-Ange n’est pas une relique du passé, mais une invitation permanente à repenser le sens du pouvoir. L’avenir africain ne se construira pas par l’accaparement, mais par la transmission ; non par la peur, mais par la confiance ; non par la domination, mais par l’élévation. C’est de cet espace entre deux mains que peut surgir une renaissance politique africaine authentique, durable et profondément humaine.
Ce tableau n’est pas qu’un chef-d’œuvre artistique ; il est une véritable proposition de société. Il suggère ce que pourraient être les relations entre le pouvoir et les citoyens : non pas la domination, mais la transmission ; non pas la confiscation, mais l’émancipation ; non pas l’enfermement, mais la responsabilité partagée. À travers cette œuvre, s’impose l’idée qu’un autre rapport au pouvoir est possible, en Afrique comme ailleurs : un pouvoir qui élève au lieu de contraindre.
Dans de nombreux pays africains, et notamment en Afrique centrale, les trajectoires politiques des dernières décennies se sont éloignées de cette vision. Les systèmes de gouvernance se sont souvent construits autour de la centralisation extrême, du contrôle des institutions et de la conservation du pouvoir, parfois au détriment de la dignité citoyenne et du dynamisme collectif. Là où la main devrait transmettre, elle retient ; là où elle devrait ouvrir, elle confisque. Michel-Ange nous rappelle pourtant que le véritable pouvoir est celui qui rend possible, celui qui permet à l’être humain de devenir pleinement acteur de son destin.
Dans La Création d’Adam, Dieu ne contraint pas : il propose. Il n’impose pas : il invite l’homme à se lever dans sa propre force et à assumer sa dignité. Ce geste fondateur suggère une responsabilité partagée entre celui qui donne l’élan et celui qui le reçoit. À l’inverse, nombre de gouvernances africaines entretiennent des systèmes où la responsabilité est confisquée par une minorité, tandis que les citoyens sont maintenus dans la dépendance politique, économique ou sociale. Le geste d’émancipation devient alors un geste de captation, et la promesse de naissance se transforme en étouffement des potentiels.
On pourrait s’interroger sur la pertinence d’un tableau du XVIᵉ siècle pour analyser les défis contemporains du continent africain. Pourtant, cette œuvre rappelle l’essence même de la mission politique : créer les conditions d’une humanité accomplie. Gouverner, ce n’est pas seulement administrer ou maintenir l’ordre ; c’est permettre l’émergence d’un peuple digne, instruit, créatif et responsable. Partout où le pouvoir se réduit à sa propre conservation, les sociétés s’immobilisent, l’innovation se fige et l’avenir se rétrécit.
La fresque de Michel-Ange est également un appel à la responsabilité historique des dirigeants. Celui qui détient le pouvoir répond de ce qu’il transmet aux générations futures. Lorsque les ressources nationales servent davantage à consolider des loyautés politiques qu’à investir dans l’éducation, la santé, la culture ou la créativité de la jeunesse, l’espace entre les deux mains cesse d’être une promesse : il devient un vide, voire un gouffre. Ce constat dépasse les frontières d’un seul pays et interroge une partie du leadership africain face aux attentes croissantes des peuples.
Pourtant, rien n’est irréversible. La main d’Adam, dans la fresque, n’est pas passive : elle est prête à répondre. C’est cette disposition qui confère à l’œuvre sa force intemporelle. Les peuples africains, malgré les blessures de l’histoire, les inégalités persistantes et les désillusions politiques, ne demandent qu’un espace pour se déployer. Le continent regorge d’intelligences, de talents, d’énergies créatives et d’initiatives citoyennes capables de transformer durablement les sociétés africaines. Ce qui manque encore trop souvent, c’est un geste politique qui reconnaisse cette dignité au lieu de la contenir.
Ce texte n’est donc pas un acte d’accusation, mais un rappel : une autre voie est possible. Une politique inspirée de cette tension féconde entre deux doigts — une politique fondée sur la transmission, le respect de la dignité humaine et la responsabilité partagée. Une politique qui élève plutôt qu’elle n’abaisse, qui ouvre plutôt qu’elle ne ferme, qui libère plutôt qu’elle ne capture. Une politique où le pouvoir cesse d’être un privilège personnel pour redevenir un service rendu à la collectivité.
L’Afrique ne manque ni de ressources ni de talents. Elle manque encore, dans de nombreux contextes, de cet espace vital entre les deux mains : cet espace où naissent la liberté, la responsabilité et la confiance. Cet espace ne se décrète pas ; il s’ouvre. Il ne se manipule pas ; il se respecte. Tout dirigeant soucieux de l’avenir du continent devrait méditer ce geste fondateur : une main tendue n’est pas une main qui retient, mais une main qui accompagne, qui inspire au lieu de commander.

























