L’instauration d’un visa pour les Ivoiriens se rendant au Maroc devrait « assécher les sources d’approvisionnement » du trafic de faux passeports, assure le ministère de l’intérieur ivoirien. Mais pour les ressortissants ivoiriens installés au Maroc, cette mesure pourrait tout simplement détruire des « dynamiques familiales ».
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Le 14 août 2024, la Côte d’Ivoire a annoncé la réinstauration d’un visa pour ses ressortissants souhaitant se rendre au Maroc. Cette mesure qui prenait effet le dimanche 1er septembre sera exécutée à titre « expérimentale » durant deux ans, a précisé le ministère ivoirien de l’intérieur.
Autant dire que c’est une décision inattendue. Il est en effet inhabituel qu’un Etat veuille volontairement compliquer la vie à ses ressortissants vivant à l’extérieur. La Côte d’Ivoire et le Maroc ont en effet noué de longue date un accord autorisant la libre circulation de leurs citoyens. Mais le gouvernement ivoirien est persuadé que c’est le seul moyen d’enrayer « l’afflux de migrants africains vers les côtes méditerranéennes ».
Dans un communiqué, il assure que « sur 14 800 migrants débarqués à Lampedusa se présentant comme des citoyens ivoiriens, seuls quelques dizaines ont été identifiés comme ressortissants de la Côte d’Ivoire ». Le ministre dit avoir trouvé une mesure anti-fraude implémentée à l’aéroport d’Abidjan avec des agents spécialement formés. « Comment font-ils ?, interroge-t-il. Quelqu’un vient, il dit que sa maman s’appelle Jeanne Kouassi. Et puis quand on remonte […] dans cette lignée, il y a un nom Anango [terme péjoratif pour désigner les Yoruba et par extension les Nigérians] ou non ivoirien qui sort. Et on coince l’individu. »
Ses explications un tantinet tendancieuses rejoignent celles fournies par un influenceur libanais Hassan Hayek, naturalisé ivoirien en 2023. Il affirme avoir vu au Maroc de nombreux « Subsahariens » prétendant être son « frère » ou sa « sœur » ivoiriens. « Mais par leur accent, j’étais sûr que la plupart de ces personnes n’étaient en aucun cas ivoiriennes », affirme-t-il.
Ces vrais faux migrants ivoiriens
Les autorités ivoiriennes avaient déjà contredit ce rapport de l’agence européenne Frontex qui établit que 14.000 migrants de nationalité ivoirienne ont atterri sur les côtes italiennes en 2023. Le général Vagondo Diomandé dénonce des accusations sans fondement portées contre son pays alors qu’« aucune vérification préalable n’a été faite avec le concours des services compétents de la Côte d’Ivoire pour s’assurer de la réalité de la nationalité ivoirienne de ces migrants ».
De nombreux témoignages recueillis au Maroc confirment en effet que l’usage de faux passeports est répandu. « Ce sont le plus souvent des gens qui viennent des pays limitrophes de la Côte d’Ivoire », a indiqué Sébastien Toahi, un Ivoirien qui réside à Casablanca depuis huit ans. En revanche, il regrette que la décision de réinstaurer les visas ait été prise sans concertation avec la communauté ivoirienne locale.
Car la population n’a pas à payer le prix de « l’utilisation frauduleuse de passeports ivoiriens », s’insurge Marie-Noëlle Ebia, une entrepreneuse installée depuis 2012 dans la capitale économique marocaine. Pour elle, cette mesure est « trop brusque » sans compter qu’elle pousse ceux qui n’ont pas de titre de séjour à se hâter alors qu’ils passent leurs vacances en famille. D’ailleurs, ceux qui ont tenu à revenir précipitamment à Casablanca avant le 1er septembre ont dû débourser plus d’argent que le prix habituel qui plus est en aller simple avec la compagnie Royal Air Maroc.
Des Ivoiriens par milliers au Maroc
Entre 20.000 et 25.000 ivoiriens vivent au Maroc selon plusieurs organisations de ressortissants de Côte d’Ivoire, dont la majorité en situation irrégulière. Des femmes surtout, employées comme personnel de maison qui ne sont pas déclarées. « On ne leur fait pas signer de contrat car ça impliquerait de les payer davantage », rappelle-t-il.
De nombreux Ivoiriens protestent également contre la décision de réinstauration des visas parce qu’elle va induire des démarches administratives qui étaient déjà jugées compliquées. « Quand on arrive à la préfecture, on nous réclame un contrat de travail, tandis que les employeurs exigent un titre de séjour. C’est un cercle vicieux », se plaint Jacques Loua. Pour lui, cette décision ne fera que favoriser l’immigration clandestine des ressortissants ivoiriens.
Le 29 août dernier, un collectif d’associations d’Ivoiriens a ainsi évoqué les « graves conséquences » que fait craindre la réinstauration des visas. A commencer par « priver la communauté ivoirienne au Maroc de la possibilité de voyager librement entre les deux pays » et de « risquer de briser des dynamiques familiales ». Au plan économique, cela fait enfin peser de l’incertitude sur le volume des transferts financiers envoyés en Côte d’Ivoire. Or, « ces fonds représentent une source importante de revenus pour les ménages et contribuent à l’amélioration des conditions de vie » en Côte d’Ivoire, a déploré ledit collectif d’associations au cours d’une conférence de presse.