La colère sénégalaise contre la reconnaissance de six tirailleurs morts pour la France

Le président des patriotes sénégalais pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), Ousmane Sonko, ne pardonne pas à Emmanuel Macron d’avoir reconnu six tirailleurs comme morts pour la France, à cinq mois de l’anniversaire de l’attaque de leur camp, à Thiaroye, près de Dakar, le 1er décembre 1944. Car ce n’est pas à la France de fixer unilatéralement ce nombre, a-t-il sèchement rétorqué.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

 C’est une affaire de chiffre qui a des conséquences monumentales. Le dimanche 28 juillet, le secrétariat d’Etat français chargé des anciens combattants a décidé de reconnaître six tirailleurs sénégalais dont 4 sénégalais, 1 ivoirien et 1 burkinabè comme morts pour la France en 1944, estimant que « ce geste s’inscrit dans le cadre des commémorations des 80 ans de la Libération de la France comme dans la perspective du 80ᵉ anniversaire des évènements de Thiaroye ».

Le 1er décembre 1944, des soldats africains ayant participé à la libération de la France ont en effet été massacrés par leurs congénères français sur ordre d’officiers de l’armée de l’Hexagone pour mettre fin à la mutinerie des soldats africains. Communément été appelés « tirailleurs » par souci de nier le caractère décisif de leur contribution, ces soldats africains réclamaient leur solde de fin de guerre qu’ils attendaient dans ce camp appelé Thiaroye, à quelques kilomètres de Dakar, la capitale sénégalaise.

 

Déconstruire la tragédie de Thiaroye

Mais longtemps après ce massacre, leur nombre a toujours fait polémique. Officiellement, 35 tirailleurs sénégalais ont été exécutés le 1ᵉʳ décembre 1944, mais les historiens ont toujours contesté ce bilan donné, à l’époque, par les autorités françaises. Signe de cette gêne, François Hollande avait reconnu en 2014 au moins 70 morts. Au total, 1300 tirailleurs étaient encasernés à Thiaroye en attendant le payement de leurs arriérés de soldes. Pendant des décennies, l’armée française a défendu la ligne d’une riposte de l’armée française à une « mutinerie » de rebelles africains « lourdement armés », alors qu’il s’agissait, en réalité, de la répression sanglante d’une manifestation visant à obtenir salaire et prime de démobilisation.

On peut donc dire que c’est pour couper court à ce discours confus et contradictoire qu’Emmanuel Macron a décidé de déconstruire l’ensemble de la tragédie de Thiaroye en minimisant le nombre d’africains massacrés ce jour-là. Selon le secrétariat d’Etat français qui explique malgré tout le bien-fondé de la démarche du président français, Emmanuel Macron souhaite que « nous regardions notre histoire en face », en attendant éventuellement qu’elle soit « complétée dès lors que l’identité exacte d’autres victimes aura pu être établie », a-t-il indiqué.

Certains observateurs ont analysé l’approche du président français comme une diplomatie mémorielle entre la France et le Sénégal alors que les deux pays sont dans une situation géopolitique compliquée. « Donc, il y a bien sûr un intérêt de l’État français à prendre cette décision et je pense que, pour les communautés africaines, et en tout cas pour le Sénégal, c’est un geste qui était important », a reconnu l’historien Martin Mourre qui a consacré de nombreuses études sur le sujet.

 

Une reconnaissance suspecte pour Sonko

La présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais, Aïssata Seck, a également réagi positivement la décision du secrétariat d’État français puisqu’elle la considère comme « un choix cohérent qui permet de regarder l’histoire en face d’une page très douloureuse de l’histoire franco-sénégalaise ». Pour elle, il faut maintenant « travailler « à ce qu’on l’on permette que les fouilles archéologiques des fosses communes permettent d’avoir le chiffre réel du nombre de victimes », a-t-elle ajouté.

Mais si Martin Mourre évoque un « pas important après des décennies de mensonges face à un crime d’Etat », il pense également que la démarche française reste « ambiguë », car seulement six soldats ont été reconnus comme tués lors de la répression du camp de Thiaroye, alors qu’il en existe « au moins une dizaine d’autres qui pourraient prétendre à une (telle) reconnaissance ».

L’historien sénégalais souligne aussi l’inadéquation de l’expression « Mort pour la France, pour des hommes tués par la puissance coloniale ». Et c’est sans doute toute cette confusion qui a mis le Premier ministre sénégalais en colère. Ousmane Sonko a en effet vivement réagi sur ses différents réseaux sociaux en condamnant l’attitude de la France qu’il a sommée de « revoir ses méthodes », parce que « ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent », a-t-il dénoncé dans une tribune publiée par Seneplus, un média en ligne sénégalais. Ousmane Sonko trouve même suspecte « cette subite prise de conscience », vu que le Sénégal s’apprête à célébrer le 80è anniversaire de cette tragédie pour « donner un nouveau sens à ce douloureux souvenir ».

 

 

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