Dans le cadre de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025 en Côte d’Ivoire, Mondafrique propose une série d’entretiens avec les principaux candidats. Ce premier volet est consacré à Jean-Louis Billon, cet ancien ministre qui pourrait créer la surprise.
Correspondance Abidjan
Homme d’affaires devenu figure politique, Jean-Louis Billon s’impose comme une voix singulière dans un paysage encore marqué par le poids des deux figures historiques : Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Héritier d’une grande famille d’entrepreneurs et ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie, il a été ministre du Commerce de 2012 à 2017, bâtissant une réputation de gestionnaire attaché à la bonne gouvernance.
Une posture dissidente
S’il demeure officiellement membre du PDCI, Jean-Louis Billon n’a pas hésité à franchir le Rubicon en présentant sa propre candidature, en dehors de l’appareil, estimant que son parti n’avait pas su défendre une alternative solide. Cette posture dissidente, assumée, lui permet de se démarquer tout en gardant l’autorité d’un héritier du vieux parti d’Houphouët-Boigny. Il se lance donc dans la course présidentielle avec l’appui du Congrès démocratique (CODE), une plateforme politique créée en un temps record et regroupant dix-huit partis et mouvements. Il fait partie des cinq personnalités politiques dont la candidature a été retenue par le Conseil constitutionnel.
Avec cette candidature, il entend offrir une perspective nouvelle : dépasser les clivages hérités du passé, restaurer la confiance des citoyens dans les institutions et conduire la Côte d’Ivoire vers une alternance apaisée.
Mondafrique : Votre candidature a été validée par le Conseil constitutionnel. Est-ce une grande victoire pour vous ? Avez-vous été surpris ?
Jean-Louis Billon : Surpris, non. J’ai travaillé pour cela. Le système de parrainage est complexe et difficile à obtenir, mais j’ai anticipé : j’ai parcouru le pays, mobilisé des équipes d’informaticiens et de collecteurs dans vingt régions. C’est le fruit d’un travail considérable, en temps, en argent et en énergie.
Pourtant, certains candidats ont obtenu leurs parrainages sans un tel déploiement…
JLB: Chacun a sa méthode. Certains disposaient sans doute déjà de bases électorales ou d’appareils politiques structurés. Pour ma part, j’ai visé bien au-delà du seuil requis afin d’éviter les doublons.
Dans votre première déclaration, vous avez appelé les forces vives de la nation à rejoindre votre plateforme politique. Pouvez-vous préciser ?
JLB : Nous avons rassemblé dix-huit mouvements et candidatures dans ce que nous appelons le Congrès démocratique. C’est une véritable coalition, qui s’est constituée en un mois à peine et qui devient aujourd’hui une force crédible.
Comment situez-vous votre candidature dans le paysage politique ivoirien ?
JLB : Je suis issu du PDCI, dont je reste cadre. Malheureusement, le parti est affaibli par une gestion approximative du processus électoral, ce qui a conduit à l’élimination de son candidat Tidjane Thiam. J’avais d’ailleurs averti qu’il ne remplirait pas les conditions.
La liste électorale est critiquée par les partis d’opposition. Elle ne vous pose pas de problème ?
JLB : Beaucoup critiquent sans regarder la réalité démographique. La Côte d’Ivoire compte environ 30 millions d’habitants, dont 25 % d’étrangers qui ne votent pas, et plus de la moitié a moins de 18 ans. Arriver à 8,5 ou 9 millions d’électeurs est donc logique. Ceux qui contestent la liste s’en accommodent souvent lorsqu’ils gagnent.
Faites-vous le même constat pour la Commission Electorale Indépendante (CEI) ?
JLB : C’est une institution issue d’un compromis ancien entre partis politiques. J’aurais préféré une commission électorale réellement indépendante, composée de personnalités neutres. Mais aujourd’hui, il faut faire avec les règles en vigueur et les changer ensuite par les urnes.
Le climat politique est tendu. Comment l’appréhendez-vous ?
JLB : La tension est entretenue par les acteurs politiques. La population, elle, aspire au changement et à la paix. Les Ivoiriens sont fatigués des crises. Je refuse d’appeler à la violence : la seule arme légitime, c’est le vote.
Craignez-vous une nouvelle crise comme en 2010 ?
JLB: La Côte d’Ivoire n’a jamais connu de véritable transition démocratique. Nous sommes une nouvelle génération, et il est temps de tourner la page des duels entre anciens présidents qui cumulent déjà vingt-cinq ans au pouvoir. Nous voulons vivre une alternance apaisée.
Que répondez-vous à ceux qui appellent au boycott ?
JLB : C’est irresponsable. Envoyer des jeunes se faire tuer dans la rue, parfois depuis l’étranger, est criminel. Boycotter revient à maintenir le pouvoir en place. La seule voie de l’alternance, ce sont les urnes.
La Côte d’Ivoire est entourée de pays qui connaissent des situations sécuritaires et/ou politiques délicates, Mali, Burkina Faso, Guinée et même Libéria, ce contexte vous inquiète t-il à la veille d’une élection présidentielle possiblement agitée ?
JLB : La Côte d’Ivoire demeure un îlot de stabilité et de prospérité dans une région fragilisée. Nous devons préserver cela et redevenir une locomotive économique. Mais pour y parvenir, il faut changer de gouvernance et engager enfin une vraie transition démocratique.
Quel bilan faites-vous des trois mandats d’Alassane Ouattara ?
JLB : Des choses ont été faites, des infrastructures ont été construites, mais tout cela reste tiré par l’investissement public. Nous devons désormais miser sur le secteur privé, sur l’agriculture, les PME, l’artisanat, afin d’assurer une vraie souveraineté économique. En revanche, des secteurs ont été délaissés, la politique agricole, l’industrie, l’artisanat, par exemple.
Pour conclure cet entretien, quelles seraient vos premières mesures si vous étiez élu président ?
JLB : J’ai cinq piliers d’action : La souveraineté économique, en donnant plus de place au secteur privé ; le capital humain, avec une éducation et une santé de qualité ; la gouvernance et le développement durable, qui incluent une lutte résolue contre la corruption. Sur ce point, je veux engager une réforme en profondeur des régulateurs sociaux : justice, police, institutions souveraines. Ce sont eux qui sont aujourd’hui défaillants et qui ont fait perdre confiance aux citoyens. Les Ivoiriens doivent pouvoir se réconcilier avec leur système judiciaire et institutionnel. La sécurité, la cohésion sociale et la réconciliation nationale doivent constituer le socle garantissant une paix durable. Cela par une réforme des institutions, mais aussi par le règlement de toutes les questions sensibles et conflictuelles : le foncier, la justice et la réconciliation.
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