Guinée, l’agenda caché du général Doumbouya en 2025

Alors que la transition militaire entamée en Guinée après le coup d’Etat de septembre 2021 contre le président Alpha Condé devait prendre fin le 31 décembre 2024, comme convenu avec la CEDEAO, le général Mamadi Doumbouya a décidé de la prolonger pour une durée indéterminée. Une décision qui plonge le pays dans l’inconnu.
 
Un article de Seidik Abba
 
En Guinée, les militaires, auteurs du coup d’Etat qui a renversé le 5 septembre 2021 le président Alpha Condé, ont décidé de s’éterniser au pouvoir, invoquant « une situation exceptionnelle ».

Une année à risque

Derrière l’argument de « situation exceptionnelle » que les militaires eux-mêmes ont de la peine à définir, apparait l’agenda de moins en moins caché du président de la transition guinéenne Mamadi Doumbouya de confisquer le pouvoir. Même si lui-même ne l’a jamais indiqué ouvertement, plusieurs signes attestent de la volonté de l’ancien caporal de la Légion étrangère française de ne plus quitter le fauteuil présidentiel. Alors qu’ils se sont engagés auprès de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à remettre le pouvoir aux civils au 31 décembre 2024, les militaires n’ont fourni aucun effort dans le sens de la préparation des différentes élections.
 
Rien n’a ainsi été entrepris pour mettre à jour les listes électorales, mettre en place des organes indépendants en chargé des scrutins. Autre signe de cette absence de volonté de retourner dans les casernes : les partis politiques demeurent toujours interdits en Afrique. Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, les deux figures emblématiques de la vie politique, tout comme l’ancien président Alpha Condé ont été contraints à l’exil respectivement à Dakar, Abidjan et Ankara. Pendant ce temps, les partisans du général Doumbouya peaufinent sa candidature. Des comités de soutien s’activent à Conakry et à l’intérieur du pays pour mettre en scène la candidature du président de la transition et lui donner un caractère populaire. Des pagnes, des tee-shirts et autres gadgets à l’effigie du général guinéen ont déjà été fabriqués et attendant d’être distribués en temps opportun. Mais l’agenda des partisans de la junte pourrait ne pas être déroulé avec la facilité qu’ils espèrent

La mobilisation programmée

 
Plusieurs partis politiques interdits depuis le coups d’Etat de septembre 2021 se sont fédérés avec des organisations de la société civile pour contester la décision des militaires de ne pas honorer leur engagement de remettre le pouvoir aux civils le 31 décembre 2024. Sous le nom « des forces vives de la Guinée », le regroupement a annoncé des actions de contestation du pouvoir à partir du 6 janvier 2025.
 « Il n’y a aucune démarche pertinente, visible et perfectible de retour à l’ordre constitutionnel. La responsabilité voudrait que nous nous engagions à travailler, à informer et à mobiliser le peuple pour aller vers une transition civile, en respectant et donnant du contenu à cet engagement. Donc, une fois encore, nous sommes face à une situation où c’est le ras-le-bol à tous les niveaux », a expliqué Abdoul Sacko, Coordinateur du forum des forces sociales de Guinée, une des organisations membres de la Plate-forme des forces vives.
 
Tout porte à croire que les militaires opposeront la force à cette contestation de leur pouvoir inédite par son ampleur et sa nature inclusive. Selon plusieurs sources, la répression des tentatives de manifestation contre la transition militaire a fait des dizaines de morts depuis l’arrivée du général Doumbouya à la tête de la Guinée. A ces morts s’ajoutent les disparitions forcées des voix critiques et l’emprisonnement des opposants. Parmi les disparus figurent Foniké Mengué et Bilo Bah, deux dirigeants du Front la défense de la Constitution (FNDC) arrêtés à leur domicile en juillet 2024 et qui n’ont plus donné signe de vie. Les deux opposants auraient été transportés sur l’île de Kassa à quelques kilomètres aux larges de Conakry où ils seraient décédés des suites de mauvais traitements.
 
« On pense que ces deux-là sont morts », déplore une personnalité politique guinéenne désormais en exil à Abidjan, après avoir échappé elle-même à un kidnapping. Même l’armée n’est pas épargnée par la gestion du pays d’une main de fer. Arrêté en novembre 2023, le colonel Celestin Bilivogui est décédé un an plus tard en détention sans que les circonstances exactes de sa mort ne soient précisées à sa famille. Son corps a été rendue en septembre 2024 à son épouse sans aucune forme d’explication. Ancien homme fort du régime, le colonel Sadiba Coulibaly, ex-chef d’état-major des armées, est décédé, lui aussi, en juin 2024, en détention sans que les conditions de sa mort ne soient véritablement élucidées.  Une chape de plomb semble s’être abattue sur le pays.

Une communauté internationale tétanisée

 
En dépit de la dégradation de la situation des droits de l’homme dans le pays caractérisée par des disparitions forcées et des arrestations d’opposants, dont celle Aliou Bah, président du parti MoDeL, intervenue le 27 décembre 2024, la communauté internationale fait preuve d’une grande mansuétude envers le pouvoir militaire guinéen. Sur l’autel de leurs intérêts, les partenaires économiques de la Guinée, y compris les Etats-Unis et la France, ont renoncé toute forme de remontrance ou de rappel à l’ordre envers le général Doumbouya. En effet, la Chine, les Etats-Unis et la France ont de gros intérêts dans le méga projet guinéen baptisé « Simandou 2040 », un investissement de près de 20 milliards de dollars pour sortir à terme des terres près de 60 millions de tonnes de fer chaque année.
 
Dans ce méga projet, la Chine s’est vu confiée la construction du cher de fer long de 650 km pour évacuer le minerai ; les Etats-Unis se sont vu attribuer la construction du port ad hoc et la France a hérité de toutes études de faisabilité. De quoi ne pas hausser la voix pour ne pas fâcher les militaires guinéens.
 
Outre son profil bas face aux violations documentées des droits de l’homme, la France poussé la mansuétude envers Doumoubya jusqu’à obtenir la levée en septembre 2024 de la suspension qui frappait depuis le coup de 2021 la Guinée au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).  
 
À Conakry, plus personne ne compte sur le soutien de la Communauté internationale pour imposer le retour à l’ordre constitutionnel et empêcher que Mamadi Doumbouya se succéde à lui-même, après troqué son uniforme de général contre le costume civil. La confrontation entre les forces vives guinéennes et le pouvoir militaire s’annonce périlleuse pour le pays, surtout dans le contexte actuel d’une Afrique de l’Ouest marqué par l’instabilité politique et le défi sécuritaire.