Alors que son mandat de cinq ans devait s’achever le 27 février dernier pour l’opposition et le 4 septembre 2025 pour la Cour suprême bissau-guinéenne, le président Umaro Sissoco Embalo a annoncé la tenue de la prochaine présidentielle le 30 nombre 2025. Outre l’organisation du scrutin en dehors du délai légal, le président Embalo a déclaré lundi 3 mars 2025 qu’il revenait sur sa promesse de ne pas être candidat à sa succession. Entre mobilisation interne contre sa volonté de confisquer le pouvoir et bras de fer avec la CEDEAO, le président Embalo s’est lancé dans un pari à hauts risques. Pour lui-même, la Guinée-Bissau et la sous-région.
Par Seidik Abba
C’est une de ces graves crises politiques dont la Guinée-Bissau, ancienne colonie portugaise, située aux larges du Sénégal, est coutumière depuis son indépendance en 1974. A la surprise générale, le président Umaro Sissoco Embalo a décidé que la prochaine présidentielle ne se tiendrait que le 30 novembre 2025.
Pour l’opposition, qui se base sur la date de la prestation de serment du président Embalo le 27 février 2020, son mandat de cinq ans a pris fin le 27 février 2025. La Cour suprême de Guinée-Bissau a eu une autre lecture de la situation politique et estimé que le mandat du président prendrait fin le 4 septembre 2025. Mais le président Embalo a choisi de n’écouter ni l’opposition regroupée autour du Parti pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC), ni même la Cour suprême.
Coup d’Etat civil
Le passage en force du président pour se maintenir au-delà de la date légale de la fin de son mandat ouvre une page de profondes incertitudes politiques. C’est un véritable saut dans l’inconnu dans une Guinée-Bissau abonnée aux coups d’Etat militaires. Depuis 1974, date de de son accession à l’indépendance, le pays a enregistré au moins dix tentatives de coups d’Etat.
Le passage en force du président Embalo pour se maintenir s’ajoute à d’autres contentieux politiques. En effet, il avait déjà dissous en décembre 2023 l’Assemblée nationale, après la victoire de l’opposition aux élections législatives. Il avait fixé le nouveau scrutin législatif à décembre 2024 avant de le reporter sine die. Cette fois, l’opposition n’entend pas se laisser conter. Elle s’est fédérée dans un regroupement unitaire appelé Alliance populaire inclusive qui appelle à la paralysie totale du pays.
« Nous appelons la population à rester à la maison. Tous les marchés, boutiques et les bureaux seront fermés. Nous demandons aux transports de cesser toute activité demain« , a exhorté mercredi dernier l’ancien Premier ministre Nuno Gomes Nabiam, parlant au nom de la coalition d’opposition Alliance populaire inclusive.
La CEDEAO défiée
Dans une sous-région confrontée à la menace terroriste et à une instabilité politique marquée par la succession des coups d’Etat militaires au Burkina Faso, en Guinée-Conakry, au Mali et au Niger, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest a vite pris les devants pour éviter que la Guinée-Bissau ne bascule à nouveau dans la crise. Conduite par l’ancien ministre nigérian des Affaires étrangères l’ambassadeur Bagudu Hirse, une mission de la CEDEAO, associant le Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest (UNOA), est arrivée le 21 février à Bissau pour jouer les bons offices et aider à trouver une date consensuelle pour la tenue de la présidentielle. Au prétexte qu’elle serait sortie de son mandat en prévoyant de rencontrer les confessions religieuses et la société civile, le président Embalo a donné 24 heures à la mission pour quitter son pays. Celle-ci s’est aussitôt exécutée en repartant de Bissau samedi 1er mars 2025. La posture de confrontation avec la CEDEAO est un pari hautement risqué pour le chef de l’Etat guinéen qui jouait il n’y a pas longtemps le rôle d’émissaire de l’organisation régionale auprès des juntes sahéliennes.
Parapluie russe
Derrière les « problèmes techniques et financiers » invoqués pour justifier le report de la présidentielle au 30 nombre 2025, se cache l’agenda de la confiscation du pouvoir par le président Emballo. Il compte y arriver en s’appuyant sur l’armée qui l’avait sauvé miraculeusement d’une tentative de coup d’Etat en 2023.
Le président Emballo compte surtout sur le parapluie de la Russie déjà présente au Burkina Faso, au Mali et au Niger. En pleine crise politique, il s’est rendu le 26 février 2025 à Moscou pour rencontrer son homologue russe Vladimir Poutine. Embalo a ensuite fait escale lundi 3 mars à Paris où il a rencontré au Palais de l’Elysée le président français Emmanuel Macron. Comme si de rien été.
Reste à savoir si tous ses soutiens extérieurs suffiront pour sortir la Guinée-Bissau de l’impasse politique dans laquelle son président a délibéré choisi de la conduire.