Le 22 janvier 1879 lors de la bataille d’Isandhlwana, à l’extrême sud de l’Afrique, la plus puissante armée de l’époque, celle de l’Empire britannique, s’est fait écraser en trois heures par quelques milliers de « sauvages à demi-nus » et armées seulement de sagaies et de flèches !
Un récit d’Eric Laffitte
Lorsque début février la nouvelle parvient en Europe, c’est la sidération.Comment diable un tel désastre a-t-il été rendu possible. En cette fin du XIXesiècle en effet, l’Angleterre est au fait de sa puissance. Son empire colonial s’étend aux quatre coins du globe, sa marine règne sans partage sur les océans. La perle de ces colonies, ce sont les Indes et sur la route des Indes, il y a Le Cap, escale stratégique au commerce britannique.Dès 1806, les Anglais en ont chassé les Hollandais.
Désormais en pleine révolution industrielle, l’Empire a un besoin effréné de matières premières et de main-d’œuvre pour les exploiter. Le sud africain en est riche. En 1867 sont découvertes les premières mines de diamant à Kimberley, mais aussi des mines d’or, du charbon, etc.De quoi stimuler l’appétit de la petite colonie anglaise du Cap qui, au fil des ans s’applique à annexer les territoires de ses voisins.
L’un d’entre eux irrite particulièrement sir Bartle Frerele, le haut commissaire britannique à l’Afrique australe : le Zoulouland ou Royaume zoulou. Fondé au début du siècle, c’est un état voisin de la colonie du Natal déjà sous tutelle britanniqu
Les spartiates de l’Afrique
A sa tête, le roi Cetshwayo entend faire respecter sa souveraineté politique et économique, ambition qui apparaît vite insupportable aux appétits britanniques.
L’éditorialiste du Times(11 février 1879) résume ainsi les enjeux du conflit : “Je considère cette guerre comme absolument essentielle pour la sécurité en Afrique du Sud. Si le Natal veut devenir une colonie prospère, ou même exister, il est nécessaire qu’une nation aussi barbare que l’est le royaume zoulou avec un roi capricieux et sanguinaire comme Cetswayo soit assujetti”.
Une des spécificités du royaume zoulou, c’est d’être une société fortement militarisée.
C’est en quelque sorte la Sparte du continent où « l’Impi » l’armée joue un rôle prépondérant.
Dés l’âge de 6 ans les enfants sont pris en main et appelés à suivre un parcours très strict jusqu’au statut de guerrier. Les hommes ont interdiction de se marier sans avoir au préalable effectué de longues années de service militaire. Quinze ans pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de « laver leur sagaie dans le sang de l’ennemi ».
L’entraînement, constant, est particulièrement rigoureux. De très longues courses, notamment pour fortifier l’endurance.
Shaka, le prédécesseur de Cetswayoa interdit à ses soldats de porter des chaussures. L’idée est de gagner en vitesse, en souplesse, en agilité, au combat. Pour se durcir les pieds, les jeunes Zoulous s’habituent à marcher sur des ronces…
Impopulaire, la suppression des chaussures conduit le Roi à frapper de la peine de mort les récalcitrants…
L’armement traditionnel est constitué d’une sagaie (iklwa), d’un lourd poignard pour le corps à corps (assagai,)ou encore du « knobkirrie » qui tient lieu et de canne et de casse-tête. Pour se protéger, un bouclier en peau de vache.
La tactique dite de « la tête de buffle »
Les Zoulous possèdent aussi quelques fusils acquis auprès de colons allemands. La tactique de l’armée zoulou est résolument fondée sur la rapidité et l’offensive. Au combat, « l’impi » applique la tactique dite de la « tête de buffle ». Les cornes figurent les ailes de l’attaque où sont placés les guerriers les plus jeunes et les plus agiles. Charge à eux d’encercler l’ennemi et de percer ses flancs. Au centre – le front du buffle – les soldats les plus murs, les plus solides. Leur rôle est d’enfoncer le centre adverse. L’ensemble agit dans un mouvement rapide et coordonné.
Enfin, en réserve, se trouvent les guerriers les plus âgés. Ils tournent eux le dos à la bataille. Une mesure destinée, dit-on, à refreiner leur ardeur au combat et à leur rappeler qu’ils n’ont plus 20 ans !
En décembre 1878 les Britanniques, sous prétexte d’incidents frontaliers mineurs, adressent un ultimatum à Cetswayo : une suite d’exigences inacceptables. Dont le licenciement de l’Impi. Soucieuse des libertés individuelles (!) Londres exige « la liberté de se marier » pour tous les sujets mâles « quand ils le souhaitent », disposition qui vise à ruiner la mobilisation quasi-permanente de cette armée zoulou.
Cetswayo refuse en bloc. C’est la guerre.
Début janvier 1879, les troupes britanniques franchisent la rivière Buffalo qui marque la frontière entre le Natal et le Zoulouland. « Business as usual », pensent alors les officiers, émissaires de la plus puissante armée de l’époque et venus éteindre ce qu’ils imaginent n’être qu’un simple « feu de brousse ». 17 922 hommes scindés en trois colonnes sous le commandement de Frederic Augustus Thesiger, Baron deChelmsford, marchent vers le Kraal royal d’Ulundi, la capitale de Cetswayo.Le sentiment de supériorité des tuniques rouge est d’ailleurs conforté par un premier affrontement le 12 janvier, au cours duquel une centaine de Zoulous sont tués.
Mobilisation exceptionnelle
De son côté, Cetswayo, au prix d’une mobilisation exceptionnelle a levé une armée de 24 000 guerriers et marche à la rencontre de l’envahisseur. Les deux armées se cherchent.
Chelmsford qui a pris la tête de la colonne centrale s’enfonce péniblement en pays zoulou. C’est cette colonne qui charrie toute l’intendance de la campagne entassée dans des charrettes tirées par des bœufs. Au total, 30 000 bêtes de somme, 977 chariots et 56 charrettes.
La région est parsemée de collines et de vallons. La troupe se dirige vers Isandlwana Hill, un point de repère facile, une colline d’une centaine de mètres de hauteur et à la forme originale.
Pour les Zoulous, c’est « la colline qui ressemble à un bœuf». Pour les Anglais qui décident d’y établir leur camp, elle a la forme d’un « lion accroupi ». On est donc vraiment d’accord sur rien…
Le 21 janvier 1879, le major Dartnell à la tête d’une centaine de cavaliers envoyés en reconnaissance, repère un groupe de guerriers zoulous, qu’il prend aussitôt en chasse. Sur le point de les rattraper, alors que les poursuivants atteignent le sommet d’une colline, l’escouade tombe alors nez à nez avec plusieurs milliers de Zoulous qui, tapis dans un repli du terrain, paraissent attendre leur heure.
Chelmsford est informé de cette présence vers 1 heure du matin.Il donne alors l’ordre à Dartnell de « fixer » les Zoulous, tandis que lui-même se met en marche dès l’aube du 22 janvier à la rencontre de l’armée zoulou.Pour garder le camp et le train des équipages, il laisse derrière lui, le 1erbataillon du 24erégiment et 400 recrues indigènes, soit 1 800 hommes.
Une certaine confusion s’installe chez les Anglais. Des renforts appelés par Chelmsford auprès d’une des autres colonnes pour renforcer le camp d’ Isandlwana arrivent bien sur place, mais cette troupe certainement soucieuse de « prendre toute sa part » à la bataille et à la victoire qui s’annonce multiplie les sorties à la recherche des Zoulous plutôt que d’assurer solidement la défense du camp. Lorsque vers 11 heures surgissent de l’Est les avant-gardes zoulous, il est trop tard pour y pallier.
Furieux corps à corps
En fait, les forces de Chelmsford et de Cetswayo se sont croisées de très près, mais sans se rencontrer. L’armée zoulou est parvenue habilement à se glisser sur la gauche de la colonne britannique sans être repérée, pour déboucher sur le camp britannique.
Comme à l’exercice, l’assaut zoulou est fulgurant. Les tuniques rouges ont beau disposer de fusils et d’artillerie (qui taillent tout de même des coupes sombres dans les rangs zoulous) l’effet de surprise a joué à plein et très vite, c’est un impitoyable corps à corps qui s’engage. A la baïonnette et au sabre côté anglais, à coups d’iklwa côté zoulou. On ne fait pas de prisonniers. Fidèle à sa tactique, l’impie a enveloppé son adversaire par les ailes puis a refermé l’étau. Il n’y guère de survivants. Tant bien que mal quelques anglais parviennent à retraverser la Buffalo river. Au soir du 22 janvier, de retour à Isandlwana Hill, Lord Chelmsford ne peut que constater le carnage et la fin de sa campagne militaire. Sur les 1800 hommes quittés le matin, 1300 ont péri.Parmi eux, 52 officiers et 806 sous-officiers.
Le camp a bien sûr été pillé, et les Zoulous se sont emparés d’un butin considérable : pas moins de 250 000 cartouches.Plus grave, le drapeau du 24e régiment est tombé aux mains de l’ennemi.
Quant au pavillon de la Reine Victoria il a été – miraculeusement – récupéré flottant à la dérive dans la rivière Buffalo…Jamais les troupes coloniales britanniques n’ont connu un revers aussi cinglant face à une armée « indigène ».
L’Europe incrédule
Lorsque la nouvelle parvient en Europe, elle stupéfie la presse, les opinions publiques.
Cetswayo ne va disposer que de peu de temps pour savourer sa victoire.
Son armée a payé un lourd tribut lors du combat : environ 2000 guerriers, non compris les morts décédés des suites de leurs blessures.
Pour laver l’affront, le Gouvernement de Sa Majesté met le paquet et expédie d’urgence 10 000 hommes en renfort au Natal afin de soumettre définitivement le royaume de Cetswayo.
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