Depuis un mois, les groupes djihadistes du Sahel affiliés à Al Qaida ont lancé une offensive majeure contre les armées des trois pays du Sahel central, mettant ces dernières sous pression intense et donnant lieu à de spectaculaires images de camps miliaires défaits, de soldats prisonniers et de djihadistes triomphants posant dans des emprises militaires saccagées. Selon l’organisation ACLED, la région n’avait jamais enregistré autant de victimes en un mois depuis août 2024.
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Les images font partie de la guerre psychologique. Elles n’attestent d’un rapport de forces qu’à un moment donné : aucune de ces emprises n’est restée durablement sous contrôle djihadiste.
Les combattants des groupes armés continuent la même guerre que par le passé : une guerre de harcèlement contre les forces armées et les symboles de l’Etat, à partir de zones de brousse sous leur contrôle. La tactique du «hit and run» a pour premier objectif d’user le moral de l’ennemi et de donner l’illusion de la puissance. Le Groupe de Soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) fait cependant une démonstration de force, en enchaînant des attaques massives et complexes sur plusieurs pays.
La période était doublement propice, parce qu’elle précédait la fête de l’Aïd, célébrée vendredi, et surtout, la saison des pluies, qui coïncide toujours avec une mise en sommeil des combats à cause de la montée des eaux et de ses effets sur les axes de circulation, même pour les motos.
Burkina Faso, le maillon faible
La déferlante a démarré au Burkina Faso, sans aucun doute le maillon le plus faible des trois pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). A l’aube du 11 mai, le camp militaire de la capitale du nord, Djibo, a été attaqué par des centaines d’hommes, pour la plupart membres d’Ansaroul Islam, la cadette burkinabè de la katiba Macina, qui impose un très dur siège à la ville depuis 2023. En même temps que sept autres localités dans le nord, le centre-nord ou le centre-est, Djibo a subi des assauts spectaculaires contre son camp, ses postes de police et de gendarmerie et plusieurs quartiers de la ville.
On déplore des dizaines de victimes civiles et militaires. En guise de provocation abondamment relayée sur les réseaux sociaux, des djihadistes coiffés de turbans et de bonnets à pompons se sont photographiés sous le portrait officiel du chef de la junte militaire au pouvoir, le capitaine Ibrahim Traoré, dans le bureau du commandant de la caserne, et sur un rond point aux couleurs de l’AES.
Deux jours plus tard, ils s’en sont pris au camp de Diapaga, à l’est du pays, dans le département de la Tapoa, près du parc transnational du W qui chevauche les frontières du Burkina Faso, du Niger et du Bénin, devenu une base arrière solide de la nébuleuse affiliée à Al Qaida. Au total, toujours selon ACLED, plus de 300 personnes auraient péri dans ces deux opérations. Des images du retour nocturne de l’armée burkinabè à Diapaga ont cependant circulé ces dernières heures.
Niger, le fils du chef de l’armée tué
Fin mai, c’est le Niger qui a essuyé des attaques. La plus meurtrière a été revendiquée par l’Etat islamique au Sahel contre une position de la garde nationale dans le nord-ouest du pays, à Eknewane, dans le département de Tillia. Le groupe dit avoir tué une quarantaine de gardes le 25 mai. Le lendemain, c’est le Groupe de Soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), à travers sa nouvelle katiba nigérienne (Hanifa), qui s’en est pris à une patrouille fluviale à Falmey, à deux pas de la frontière du Bénin. Huit hommes ont péri, parmi lesquels le fils de l’ancien chef d’état-major général du Niger, le capitaine Aziz Tchanga.
Mali, des drones de surveillance djihadistes
Début juin, c’était le tour du Mali, avec les mêmes modes opératoires qu’au Burkina et sans doute, les mêmes hommes. En effet, Ansaroul Islam et la katiba Macina, parfois renforcées par d’autres groupes venus de plus loin, ont l’habitude d’unir leurs forces pour certaines grandes opérations.
Le 1er juin, encore une fois à l’aube, le vaste camp de Boulikessi, dans le cercle de Douentza (région de Mopti), a subi une défaite cuisante. Si les soldats se sont défendus «jusqu’à leur dernier souffle», selon les termes des forces armées maliennes (FAMA), ils ont été submergés par le nombre très important des combattants ennemis. Ces derniers ont utilisé des mini drones de surveillance pour traquer les soldats maliens cherchant à se cacher, puis communiquer, ensuite, avec les vidéos filmées par ces mêmes drones, sur leurs victoires.
On a donc pu voir des images de dizaines de cadavres de soldats dans des tranchées défensives et d’une dizaine d’autres soldats en uniforme ou en tenue de sport, visage fermé, emmenés à moto, le plus souvent en sandwich entre le conducteur de l’engin et un djihadiste armé. Cette attaque aurait été dirigée par un Mauritanien, Abou Hamaza Chinguetti, et ses deux adjoints touareg et peul. C’est l’une des pires subies par les FAMA depuis des années en termes de pertes en vies humaines et en matériel militaire. Le GSIM affirme avoir tué 100 soldats et en avoir capturé 22 autres. Certains s’interrogent sur l’absence de soutien aérien parvenu à temps sur les lieux. Dans la foulée, quelques jours plus tard, les FAMA et leur allié russe d’Afrika Corps ont diffusé des communiqués de représailles et annoncé que deux hélicoptères de combat russes avaient mené des frappes dans la même zone. Le camp a toutefois été vidé par l’armée dans le cadre de ce qu’elle qualifie de «repli tactique.»
Le lendemain, c’est à Tombouctou que les djihadistes ont mené une attaque complexe, pour asséner un coup symbolique à Bamako, s’agissant d’une des plus grandes villes du nord du Mali et de l’ancienne capitale de l’occupation djihadiste de 2012. Cependant, cette opération dirigée par un autre Mauritanien, Abou Dar Dar Chinguetti, et son adjoint malien Abou Qatada, n’a pas été couronnée de succès. Les kamikazes n’ont pas réussi à pénétrer dans le camp militaire après l’assaut des postes avancés autour de la ville et le lancement d’une roquette contre l’aéroport. Des images de deux kamikazes engoncés dans leur tenue et leur ceinture d’explosifs, marchant lourdement dans le sable, ont circulé sur les réseaux sociaux, semant la terreur dans la population.
Calfeutrés chez eux pendant des heures, les Tombouctiens ont pleuré la mort de trois civils, tués par des balles perdues ou lynchés par les habitants les ayant pris – à tort – pour des complices des assaillants. Des vidéos de l’entraînement de cette brigade spéciale Al Bara Ibn Malick ont circulé par la suite. Six des kamikazes y figurant ont perdu la vie à Tombouctou.
La contre attaque des FAMA
L’état-major des Forces armées maliennes (FAMa) s’est résolu, sous la pression de la communication soutenue de l’ennemi, à publier des comptes-rendus plus détaillés de ses propres actions. On a ainsi appris, le 7 juin, que cinq bases en cours d’installation dans l’ouest du Mali avaient été détruites par des raids aériens, dans la forêt du Baoulé, au nord de Sandaré et aux environs de Bafarara, dans la région de Kayes.
Deux jours plus tôt, un précédent communiqué avait dénoncé «une recrudescence des attaques lâches et barbares menées contre des localités, des paisibles populations ainsi que des emprises militaires du Mali et de la confédération de l’AES.» «Ces actes sont commis par une coalition de groupes armés terroristes de toutes obédiences, disposant d’appuis internes et externes notamment d’ordre opérationnel, logistique, financier et informationnel», insistait l’état-major.
La contre-offensive menée par les FAMA «sur l’ensemble du territoire national» a «pour priorité absolue de sécuriser les populations et d’éviter tout amalgame ou dommage collatéral», affirme le document, qui revendique les opérations suivantes : la destruction, le 4 juin, «de refuges et plots logistiques terroristes dans la région de Menaka» ; la neutralisation de «cellules de plusieurs dizaines de terroristes localisées dans le secteur de Boulikessi (…) en appui aux unités FAMA engagées au sol» ; la destruction préventive de «refuges terroristes localisés dans la forêt de Soussan, région de Koulikoro» ; celle d’un «échelon logistique composé de véhicules de transport de troupes à Yenchechi, à 50 km à l’ouest de Kidal. Vaste programme!
Fin mai déjà, des destructions de véhicules logistiques et de regroupements avaient été rendues publiques près de Hombori et de San, ainsi que des interceptions d’équipes mobiles «y compris des opérateurs de drones» au sud-ouest de Nioro du Sahel et au nord de Sandaré.
La junte du Niger au chevet de son armée
Le 7 juin, la communication vidéo hebdomadaire des forces armées nigériennes a mis l’accent sur les visites effectuées par la hiérarchie militaire à l’occasion de la Tabaski dans les casernes de toutes les régions du pays, pour encourager les hommes, honorer le courage des soldats tombés pour la patrie et «aborder les grandes orientations stratégiques et les priorités tactiques pour les mois à venir», dans le cadre d’une volonté appuyée des autorités militaires de Niamey de «rester proches des unités et d’assurer un appui moral permanent».
La même vidéo a rendu compte des exercices multinationaux annuels «Tarha Nakal» organisés par l’AES dans le département de Tillia, au nord-ouest du Niger, du 21 au 28 mai. Des manoeuvres conjointes y ont réuni des troupes nigériennes, maliennes, burkinabè, tchadiennes et togolaises. Il s’agit là d’une «étape clé dans la consolidation de l’architecture de défense de la force unifiée de l’AES en construction», au service d’un double objectif à court terme : «accroître l’interopérabilité entre les contingents engagés et renforcer les capacités collectives de réponse face aux menaces sécuritaires transfrontalières.»
La montée des tensions
Ces efforts témoignent de l’accélération de la construction d’une réponse armée commune des Etats du Sahel central aux attaques des deux franchises djihadistes. Il le faut pour faire face à une armée de fantassins qui a grandi en nombre d’hommes et en moyens, y compris d’armement. Mais la pression ne s’exerce pas que sur les armées nationales, exposées, avec ces lourdes pertes, à un risque de démoralisation ou de fronde, dans un contexte de disette économique qui complique l’achat et le renouvellement du matériel.
La pression se fait aussi sentir, malgré les apparences, sur les groupes djihadistes. Sur les vidéos récentes diffusées par le GSIM, on distingue des combattants très jeunes, parfois même des enfants. Le recrutement d’enfants soldats atteste sans doute d’un besoin de troupes fraîches. Et si le matériel pris aux armées, lors des raids contre les camps, permet de subvenir à leurs besoins en armement, les groupes semblent soumis, eux-aussi, à une certaine pression financière : les routes sahéliennes ne sont plus aussi ouvertes que par le passé aux trafics en tous genres sur lesquels les djihadistes prélevaient leur dîme. C’est sans doute, d’ailleurs, l’un des mobiles clé des enlèvements d’otages étrangers commis par l’Etat islamique depuis le début de l’année. Enfin, après l’observation d’une longue trêve, les hostilités ont repris entre le GSIM et l’Etat islamique, à Tessit, dans la région de Gao, dans les premiers jours de juin. Des dizaines de combattants y auraient perdu la vie, à l’avantage, pour le moment, de l’Etat islamique. Le pillage de la caserne voisine le 4 juin a sans doute permis à l’organisation de se procurer de l’armement de nature à lui permettre de poursuivre sa guerre contre son rival. D’autres fronts pourraient surgir par la suite dans le nord ouest du Niger et dans le sud, à la frontière du Bénin.
La faiblesse fondamentale du GSIM, c’est sans doute sa croissance territoriale. A force de s’étendre sur un espace désormais immense, il risque de fragiliser le maillage qui a jusqu’ici fait sa force dans ses bastions. Et en choisissant de défier frontalement les armées nationales, de s’exposer à des coups redoublés de leur part. Certes, encore sous-équipées, ces dernières sont engagées dans des processus de recrutement massif et elles bénéficient d’un fort soutien politique et d’une coordination régionale qui monte en puissance.