Derrière l’affichage de la volonté d’organiser des élections transparentes et inclusives lors de la présidentielle d’avril prochain, se cache un vrai agenda du président de transition Brice Oligui Nguema, auteur du coup d’État du 30 août 2023 contre Ali Bongo, pour se maintenir au pouvoir. Le scénario se décline en plusieurs étapes que Mondafrique vous explique.
Par Jocksy Ondo-Louemba
Depuis son arrivée au pouvoir à la suite du coup d’État qui a renversé Ali Bongo, Brice Oligui Nguema n’a qu’une seule obsession: légitimer sa présence à la tête du Gabon à travers un scrutin qu’il organiserait et qu’il gagnerait. Pour ce faire, l’ancien patron de la Garde républicaine, qui a auparavant dirigé la Direction générale des services spéciaux (DGSS – Garde républicaine), suit un plan méthodique visant à assurer son maintien au sommet de l’État gabonais.
Mainmise sur les institutions
Après le coup d’État, le Gabon s’est doté d’institutions dites « de transition », dont les membres ont tous été nommés par… Brice Oligui Nguema. Ainsi, peu après le renversement d’Ali Bongo, le pays s’est doté d’une Cour constitutionnelle, dont les membres sont également désignés par le « général-président ». Il en va de même pour les deux chambres du Parlement (le Sénat et l’assemblée nationale dites « de transition »), où siègent d’anciens membres du parti au pouvoir, d’anciens opposants politiques et d’anciens membres de la société civile.
Prenant leur rôle au sérieux, ces parlementaires sans légitimité, même de façade, ont validé, comme une lettre à la poste, la nouvelle Constitution qui a tout de même été soumise à référendum dans un scrutin où le « oui » a officiellement triomphé à plus de 91% voix, mais où des incohérences sur le taux de participation notamment ont été constatés.
Cette nouvelle constitution gabonaise qui ferait pâlir d’envie la plus extrême des droites européennes tellement qu’elles prévoient des dispositions clairement xénophobes. Ainsi, l’article 43 de la nouvelle constitution prévoit que peuvent être candidats à la Présidence de la République tous les Gabonais, hommes et femmes, qui remplissent les critères suivants : être né Gabonais avec au moins un parent lui-même né Gabonais, posséder uniquement la nationalité gabonaise, être âgé de 35 à 70 ans, être marié à un(e) Gabonais(e) répondant aux mêmes critères de filiation et …maîtriser au moins une langue nationale !
Cette Constitution, présentée comme issue de la volonté populaire, provient en réalité d’un comité de rédaction nommé par Brice Oligui Nguema. Ce dernier affirme qu’elle intègre les propositions du « dialogue national inclusif », dont les participants ont, là aussi, été choisis par… Brice Oligui Nguema !
Si officiellement d’autres personnes ont œuvré dans ce processus de transition, en réalité, les ficelles ne sont tirées que par un seul homme : le général-président.
Exclure les rivaux potentiels
Un des éléments du plan secret de Brice Oligui Nguema pour verrouiller le scrutin présidentiel et le gagner haut la main, c’est éliminer un maximum de rivaux potentiels. Ainsi, il ne sera plus possible à tout Gabonais marié à une personne de nationalité étrangère de briguer la présidence de la république. Il ne sera pas non plus possible de solliciter le suffrage des électeurs lors de la présidentielle à toute personne ayant vécu hors du Gabon durant les trois dernières années précédant le scrutin. Le texte taillé sur mesure prévoit également que l’on ne soit pas éligible si l’on a plus de 70 ans ou encore si l’on a été ministre dans le gouvernement de transition.
Ce dernier point pourrait théoriquement exclure Brice Oligui Nguema lui-même, puisqu’il a été ministre de la Défense et de l’Intérieur dans le premier gouvernement post-coup d’État. Mais il est peu probable qu’on lui tienne rigueur, puisqu’aucune institution ne semble en mesure de la faire respecter.
Grâce à ce dispositif, Brice Oligui Nguema réussit ainsi à écarter plusieurs candidatures sérieuses et nombre de rivaux potentiels, notamment Pierre Claver Maganga Moussavou, ancien vice-président du Gabon, ainsi que Daniel Mengara, opposant historique installé aux États-Unis.
Reste Albert Ondo Ossa, que Brice Oligui Nguema lui-même avait désigné comme le véritable vainqueur de l’élection présidentielle de 2023, laquelle a servi de prétexte au coup d’État. Mais l’universitaire et ancien leader syndical n’entend pas participer à l’élection présidentielle prévue pour le 12 avril 2025. Albert Ondo Ossa espère encore que les militaires, qui ont déjà goûté aux délices du pouvoir, l’y installeront uniquement parce que Brice Oligui Nguema a admis publiquement lors d’un meeting le 21 décembre 2023 à Oyem dans le nord du Gabon qu’il avait remporté l’élection.
Vers une présidence à vie ?
Dernier point essentiel pour le général-président, toujours commandant en chef de la Garde républicaine : éviter toute surprise liée au scrutin présidentiel. Ainsi, le ministère de l’Intérieur a repris la main sur l’organisation des élections, en supprimant la commission électorale au Gabon. Une grande première dans le pays. Le ministère de l’intérieur, dirigé par Hermann Immongault un ancien ministre d’Ali Bongo et membre de l’ex-parti au pouvoir, est chargé d’organiser et de proclamer les résultats des scrutins, notamment l’élection présidentielle.
Désormais, les candidats à l’élection présidentielle ne disposeront plus de procès-verbaux officiels permettant de contester les résultats. Et si, malgré tout, des irrégularités sont constatées, les candidats malheureux seront priés de déposer leurs recours devant la Cour constitutionnelle de transition, dont le président est – sans surprise – lié à Brice Oligui Nguema !
Toutes ces manœuvres, soutenues par de nombreux courtisans, ne visent qu’un seul objectif : assurer le maintien au pouvoir de Brice Oligui Nguema aussi longtemps que possible.
Lors d’un discours en région parisienne, le 1er juin 2024, Brice Oligui Nguema avait d’ailleurs prévenu ses compatriotes, installés majoritairement en France : « On sait quand un pouvoir commence, on ne sait pas quand il finit. »