Envoyé spécial de Macron pour la reconfiguration de la présence militaire français en Afrique, Jean-Marie Bockel, soutient, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire panafricain Jeune-Afrique, les propos controversés du président français sur l’ingratitude des dirigeants africains et la demande de fermeture des bases françaises en Afrique.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Il y a donc ce qu’on voit, ce qui se dit et ce qu’on ne voit pas. Dans une interview qu’il a accordée à Jeune Afrique, l’ancien secrétaire à la défense de Nicolas Sarkozy, Jean-Marie Bockel, envoyé spécial de Macron pour la nouvelle configuration de la présence militaire française en Afrique, a affirmé son plein soutien à l’indignation du président français qui avait clairement dénoncé l’absence de reconnaissance des dirigeants africains à l’endroit de la France sans laquelle, selon lui, leurs pays seraient devenus des califats islamiques à l’heure actuelle
Nommé le 2 février 2024 dernier comme « l’envoyé personnel » d’Emmanuel Macron, Jean-Marie Bockel devait « refonder » les relations de la France avec les pays d’Afrique subsaharienne où se trouvaient encore des bases militaires françaises, notamment le Gabon, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Tchad. Environ 2 500 militaires sont stationnés dans ces pays. La feuille de route de sa mission lui imposait surtout de « revoir les formats et modalités d’action » du futur dispositif militaire français sur le continent, fortement mis à mal après les coups d’État successifs au Mali en 2021, au Burkina Faso en 2022 et au Niger en 2023. Ces changements de régime ont entrainé les départs successifs des forces françaises de ces trois pays sahéliens.,
Présence militaire appréciée
Jean-Marie Bockel était d’ailleurs fier d’annoncer le 7 novembre dernier sur RFI que ni le Tchad, ni le Gabon, ni la Côte d’Ivoire ne souhaitaient le départ des troupes françaises parce que, pour eux, « (…) partir comme ça, du jour au lendemain, c’est en fait tirer un trait sur un partenariat souvent très ancien et qui, à bien des égards, même s’il a vocation à évoluer, a été apprécié et a fait partie aussi de la qualité de la relation que nous avons dans tous les domaines avec ces pays. »
« Et donc, je pense que, si on avait fait ça simplement par peur d’être peut-être un jour chassé, mais comment nos partenaires l’auraient-ils perçu ? Mal, à juste titre. », avait conclu « l’envoyé personnel » d’Emmanuel sûr d’être sur la même longueur d’ondes que les dirigeants desdits pays.
Sauf que le 28 novembre, le Tchad et le Sénégal ont demandé le retrait des troupes françaises de leur pays avant le 1er février 2025. Cette déconvenue, monumentale au regard du monde de bisounours décrit par l’envoyé de Macron, puise ses raisons à la fois dans l’échec stratégique de la lutte contre le djihadisme et le mal-être des populations africaines. C’est donc une grosse déconvenue pour Jean-Marie Bockel qui était euphorique à bien des égards avant de rencontrer les dirigeants sénégalais.
Cela explique probablement sa frustration qu’on sent nettement dans cette interview où l’intéressé affiche son soutien à président Emmanuel Macron pour tenter un tant soit peu de valoriser son travail. « (…) Sur le fond, je suis d’accord avec ce qu’a dit le président de la République qui s’adressait, il faut le rappeler, aux opinions publiques, africaine mais aussi française. Il était normal qu’il exprime de l’amertume, voire une certaine exaspération, vis-à-vis des discours tenus par certains pays, notamment au Sahel. Ce sont leurs dirigeants qui ont fait appel à l’armée française. Des soldats français sont morts au Mali, j’en sais quelque chose, mon propre fils en fait partie. », s’est ensuite vite raidi M. Bockel.
Gueule de bois à l’Elysée
Pourtant, au regard de la volée de bois vert reçu par le président français de la part des dirigeants africains qui ne se sont pas gênés à le tancer, il n’y avait pas franchement de quoi pavoiser outre mesure. Dans ce registre, Ousmane Sonko, le premier ministre sénégalais, a d’ailleurs le plus fait sensation en affirmant que le Sénégal n’avait rien négocié sur ce sujet avec la France et que, de toute façon, ce pays n’a ni la capacité ni la légitimité à défendre les pays africains et qu’au contraire sans les milliers de soldats africains qui l’ont défendue durant la deuxième guerre mondiale, la France serait peut-être allemande aujourd’hui.
Mais même si l’ancien secrétaire à la défense de Nicolas Sarkozy refuse de comprendre que les propos de M. Macron aient pu choquer, « le souci du chef de l’État, après le départ de l’armée française du Sahel », étant « d’exprimer son amertume », Jean-Marie Bockel s’accroche tout de même aux deux bastions ivoirien et gabonais de son influence sur le continent en dehors de sa base de Djibouti qui constitue le pivot de sa présence militaire en Afrique.
Abidjan et Libreville ont en effet préféré faire profil bas ou simuler l’attitude de ceux qui n’étaient pas concernés par l’exercice de soumission favori d’Emmanuel Macron. Pour autant, ce discours restera probablement dans les annales, après l’invitation à la hussarde lancée à l’époque aux pays du G5-Sahel, comme l’un des plus insultants de la Macronie. Risque-t-il, pour cette raison, d’avoir des conséquences sur les relations avec ces deux pays ?
Langue de bois
Inutile de le demander à leurs dirigeants. En revanche, pour Jean-Marie Bockel, la France n’est pas expectorée d’Afrique, explique-t-il dans un mélange de langue de bois et de tentative de se rassurer sur le sens de son travail. « Quand je suis allé au Tchad en mars dernier, les discussions se sont bien déroulées. Les autorités tchadiennes étaient d’accord avec l’idée d’une baisse importante de la présence militaire au profit d’un partenariat, dont nous avons commencé à définir les contours lors de réunions de travail. Nous sommes allés loin dans les détails, jusqu’aux attentes de nos partenaires en matière d’équipements militaires par exemple. Le dialogue s’est ensuite poursuivi pendant plusieurs mois », dit-il pour expliquer son désarroi. Car les deux annonces de rupture « compliquent les choses, a reconnu le dirigeant français. Cela signifie que tout doit être remis à plat et que, pour le moment, tout le travail que nous avons fait, s’agissant du Tchad, est en suspens »,.