Et si Israël déclenchait une guerre totale contre l’Iran !

L’attaque israélienne avait pour but de porter un coup sévère au programme nucléaire de l’Iran et à inciter ce dernier à riposter massivement, ce qui à son tour aurait justifié la fin des négociations sur l’avenir du nucléaire iranien – des négociations auxquelles Donald Trump tient particulièrement. Pour l’instant, la réponse de l’Iran a été relativement modérée, Téhéran semblant chercher à ne pas se laisser entraîner dans le piège d’une dégradation encore plus sévère susceptible de dégénérer en guerre totale.

Enseignant à Sciences Po Paris en Middle East Studies, Président-fondateur de l’Institut des Relations Internationales et de Géopolitique, doctorant en science politique – relations internationales au Centre Thucydide, Sciences Po


Dans la nuit du 13 juin 2025, Israël a lancé l’opération Rising Lion : plus de 200 avions ont frappé une centaine de sites en Iran, incluant des installations nucléaires (à Natanz, Fordow, Esfarayen), militaires (Kermanshah, Tabriz), mais aussi civiles, notamment à Téhéran. Cette agression constitue un recours à la force armée contraire au droit international, intervenant hors du cadre de la légitime défense (prévue par l’article 51 de la Charte des Nations unies) ou d’un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU.

Coté iranien, le bilan humain est lourd : environ 80 morts sont à déplorer, dont six scientifiques nucléaires et une vingtaine de cadres militaires de très haut niveau. Parmi ceux-ci figurent Mohammad Baqeri, chef d’état-major des forces armées iraniennes (remplacé par Abdolrahim Mousavi, ancien commandant en chef de l’armée iranienne, l’Artesh) ; Hossein Salami, commandant en chef des Pasdaran (le Corps des Gardiens de la Révolution islamique, les forces d’élite de la République islamique), remplacé par Mohammad Pakpour, jusqu’ici commandant en chef des forces terrestres des Pasdaran ; Amirali Hajizadeh, commandant de la force aérospatiale des Pasdaran ; ou encore Ali Shamkhani, conseiller spécial du Guide suprême Ali Khamenei sur les questions nucléaires.

Chacun a donc pu constater la profonde vulnérabilité stratégique de l’Iran sur son territoire : Téhéran n’est parvenu ni à prévenir ni à intercepter une attaque massive visant des sites et cibles de première importance. Le Mossad (les services secrets israéliens), se targuerait même d’être parvenu à infiltrer en Iran des drones qui auraient été utilisés pour effectuer des frappes depuis l’intérieur du pays.

En tout état de cause, l’attaque israélienne a occasionné de lourds dommages à l’Iran. Pourquoi une telle attaque maintenant, et quelles en sont les conséquences prévisibles ?

Saboter le dialogue, provoquer la riposte : le pari risqué de Nétanyahou

La décision du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou d’attaquer l’Iran ce 13 juin relève de raisons àla fois stratégiques et politiques.

Stratégiques d’abord : l’agression israélienne a eu pour but non seulement d’affaiblir les sphères décisionnaires iraniennes, mais aussi de freiner le programme nucléaire du pays. Israël ne saurait admettre que l’Iran puisse un jour obtenir l’arme nucléaire et voit toute normalisation du programme nucléaire iranien comme inadmissible (même à travers un accord bilatéral avec les États-Unis qui s’assurerait de la nature purement civile de ce programme).

Tout en voulant conserver le monopole de l’atome au Moyen-Orient, Tel-Aviv estime ainsi que le programme nucléaire iranien ne serait nullement civil mais bien militaire, l’État hébreu en étant, dans sa lecture, la cible première. À cet égard, il est avéré par l’Agence internationale pour l’énergie atomique que Téhéran accroît continuellement ses activités nucléaires et effectivement à un taux bien supérieur au seuil requis pour un usage strictement civil.

En cherchant à décapiter la chaîne iranienne de commandement scientifique et militaire, Israël s’inscrit dans une double tradition : d’une part, celle consistant à frapper des infrastructures nucléaires de pays de la région dont Tel-Aviv refuse absolument qu’ils puissent disposer un jour de l’arme suprême (d’où les destructions d’Osirak en Irak en 1981 et d’Al-Kibar en Syrie en 2007) ; d’autre part, celle visant à affaiblir l’Iran, perçu comme un adversaire stratégique actuellement acculé du fait des nombreux revers enregistrés dernièrement par ses alliés régionaux de l’Axe de la résistance avec la fuite de Bachar Al-Assad pour Moscou fin 2024 et les coups sévères portés au Hezbollah au Liban.ua décision de Nétanyahou répond également à des raisons politiques. Le calcul consistait à forcer l’Iran à répliquer massivement – faute de quoi, le régime de Téhéran serait apparu faible et peu réactif. Bien que cela puisse sembler contre-intuitif, le premier ministre israélien a, en réalité, tout intérêt à ce que l’Iran lance une contre-attaque majeure : dans ce scénario, qui n’est pas encore pleinement d’actualité, la réaction iranienne du 13 juin n’ayant pas causé de dégâts significatifs en Israël, les États-Unis seraient contraints d’interrompre les négociations qu’ils ont lancées avec Téhéran à propos de son programme nucléaire et les partenaires occidentaux n’auraient d’autre choix que de se ranger aux côtés d’Israël, comme ils l’ont d’ailleurs fait le 13 après les tirs de missiles iraniens.

L’autre aspect politique qui a pu présider à la décision de lancer l’attaque, est qu’elle permet (temporairement) à Nétanyahou de détourner l’attention à la fois de la crise politique que connaît Israël, où l’opposition a récemment tenté de faire tomber le gouvernement ; de la dramatique situation à Gaza qui lui a notamment valu de faire l’objet d’un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre ; et de l’enlisement de son armée dans sa confrontation avec le Hamas.

Riposte symbolique, calcul réaliste : la réponse mesurée de Téhéran

L’Iran a été secoué par l’attaque israélienne du 13 juin, qui a entraîné, globalement, un «effet de ralliement autour du drapeau» de la population autour de la défense nationale (symboliquement, un drapeau rouge représentant la vengeance à venir a été hissé à la mosquée de la ville sainte chiite de Qom). Quelques rares Iraniens se sont réjouis de l’attaque israélienne, à l’image de l’activiste Masih Alinejad ou encore de Reza Pahlavi, fils du dernier shah d’Iran, sans que de massifs échos jaillissent au sein de la population en Iran.

Téhéran a aussitôt réagi à l’attaque israélienne en lançant une centaine de drones et missiles balistiques sur Tel-Aviv – sans, semble-t-il, causer de dégâts majeurs.hIci, l’Iran fait preuve de mesure et d’une très grande méticulosité dans sa réaction. Attribuer la faiblesse de la réponse apportée à ce stade à la désorganisation de l’Iran minimiserait le degré de préparation des protagonistes à toute crise, ainsi que la réalité de leurs arsenaux. Il apparaît plutôt que Téhéran comprend qu’il est poussé à la faute par Tel-Aviv, une riposte massive ne pouvant lui être profitable à moyen terme dans le contexte actuel, alors que les négociations avec Washington sur son programme nucléaire semblent avancer sur le fond.

Au risque de paraître relâché et peu réactif, Téhéran devrait vraisemblablement se cantonner à une réponse substantielle mais de faible ampleur, la négociation bilatérale avec les États-Unis lui étant évidemment plus profitable qu’une guerre ouverte avec Israël.

L’inconfortable position américaine, entre réprobation muette d’Israël et solidarité forcée avec Tel-Aviv

Les États-Unis sont et resteront assurément le plus grand allié d’Israël, ne l’ayant jamais désapprouvé explicitement jusqu’à ce jour. Cependant, quelques signaux faibles laissent entrevoir un réel inconfort au sein de l’administration Trump quant à l’attaque israélienne contre l’Iran.

Le degré d’implication de Washington semble assez bas et flou, le président n’hésitant pas à affirmer « avoir tout su » à l’avance de l’attaque, sans pour autant revendiquer une quelconque aide directe apportée à Israël.

Au surplus, Marco Rubio, le secrétaire d’État, a explicitement déclaré juste après l’attaque non seulement que les États-Unis ne sont pas impliqués (alors qu’une posture silencieuse sur ce point aurait été suffisante en soi), mais aussi que Washington se tient prêt à défendre toutes les forces américaines stationnées dans la région : aucune mention n’est faite du soutien habituellement indéfectible des États-Unis à la sécurité d’Israël.

Washington ne veut pas remettre explicitement en cause son partenariat avec Tel-Aviv ; pour autant, Trump est particulièrement attaché à la conclusion d’un accord avec Téhéran pour encadrer le programme nucléaire de celui-ci. Le président des États-Unis se retrouve donc dans une situation nouvelle pour lui : il s’est placé de facto en médiateur entre Israël et l’Iran, incitant Téhéran à conclure au plus vite un accord par lequel le pays pourrait poursuivre un programme nucléaire civil mais se retrouverait dans l’impossibilité d’obtenir l’arme nucléaire, et déclarant dans le même temps que Tel-Aviv ne devrait plus attaquer l’Iran, tant un accord serait « proche ». En réponse, le ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi, a estimé que, à ce stade, il serait « injustifié de reprendre les discussions » avec les États-Unis, rendant incertaine la poursuite du cycle de négociations entre Iraniens et Américains à Oman, ce dimanche 15 juin 2025.

Nétanyahou a joué une de ses dernières cartes pour empêcher tout accord nucléaire entre l’Iran et les États-Unis ; le temps montrera si sa stratégie belliciste se sera révélée justifiée ou non.