Escalade politique, corruption généralisée et crises humanitaires en Libye

Khalifa Belqasim Haftar / Montage : Mondafrique

La Libye reste empêtrée dans ses crises structurelles. La surenchère politique de Khalifa Haftar est une tentative délibérée de reconfigurer les équilibres sociaux au profit de l’Est. Les scandales de corruption révèlent l’ampleur du pillage des ressources nationales. Face à cela, le gouvernement de Tripoli tente de se maintenir par la promesse de services et le renforcement sécuritaire. 

1) La stratégie d’influence du maréchal Haftar 

Le maréchal Khalifa Haftar, commandant de l’Armée nationale libyenne (ANL) qui contrôle l’Est et une partie du Sud, a mené une offensive politique remarquée, visant à étendre son influence au-delà de son fief traditionnel.

  • L’appel à la rue comme levier politique :
    • Le 2 novembre, recevant une délégation de notables de la ville de Tarhouna– une localité stratégique de l’Ouest –, il a lancé son message le plus percutant : « Nous disons au peuple que l’heure est venue de son mouvement pacifique pour décider de son propre destin ». Il a assorti cette déclaration d’une promesse lourde de sens : ses forces « garantiraient tout accord rassemblant les Libyens », instrumentalisant clairement la force militaire comme garant d’une éventuelle transition.
    • Le 9 novembre, il a réitéré cet appel devant des tribus de Beni Walid, mettant en garde contre les « divisions qui ravagent le pays » et affirmant que « la solution véritable réside dans la voie que le peuple décidera lui-même ».
  • La conquête des coeurs et des allégeances :
    • Le 5 novembre, c’est une délégation de la ville de Zintan(Ouest) qui a été reçue à Benghazi, ses membres saluant le « projet de dignité » incarné par l’ANL.
    • Ces visites n’ont pas manqué de provoquer un tollé. Dès le 10 novembre, la municipalité de Beni Walid a officiellement désavoué la délégation l’ayant rencontré, menaçant de poursuites ceux qui « usurpent le titre de notables ». Le 17 novembre, la « Dar Al-Ifta » de Tripoli, institution religieuse alignée sur le pouvoir occidental, est allée jusqu’à qualifier ces visites de « complaisance envers les injustes ».
  • La réaction de Tripoli : le clientélisme comme parade :
    • Face à cette percée, le chef du gouvernement d’unité nationale (GUN), Abdelhamid Dbeibah, a réagi avec célérité. Le 19 novembre, il a courtisé les notables de Tarhouna, leur promettant l’achèvement de l’hôpital de la ville, la résolution de la crise de l’eau et la fourniture de 10 000 arbres, une tentative transparente d’étouffer dans l’œuf l’influence gagnée par Haftar.Corruption : l’hémorragie des ressources nationales

2) Une corruption endémique

Les scandales de corruption ont dominé l’actualité, peignant le tableau d’un État pillé de l’intérieur, au bord du gouffre financier.

  • Le scandale du carburant : 20 milliards de dollars évaporés :
    • Le 20 novembre, un rapport de l’organisation d’enquête « The Sentry » a révélé une estimation vertigineuse : les pertes liées à la contrebande de carburant entre 2022 et 2024 s’élèveraient à près de 20 milliards de dollars. Le document pointait du doigt l’implication de « personnalités influentes, politiques et militaires », tant dans l’Est que l’Ouest, utilisant les revenus de ce trafic pour consolider leur emprise.
    • Un membre de la commission Défense et Sécurité du Parlement, Ali Al-Takbali, a confessé que ces chiffres avaient provoqué un « choc profond » dans la population.
  • L’état des finances libyennes : la banqueroute en ligne de mire :
    • Le 4 novembre, le gouverneur de la Banque centrale, Naji Issa, a tiré la sonnette d’alarme : les dépenses cumulées des deux gouvernements s’élèvent à 3 milliards de dollars par mois, pour des revenus pétroliers ne dépassant pas 1,5 milliard. Il a averti qu’une baisse des cours du pétrendrait l’État « incapable de payer les salaires ».
    • Le même jour, Abdelhamid Dbeibah a dévoilé une dette publique abyssale de 300 milliards de dinars libyens.
  • Une lueur d’espoir fragile :
    • Une lueur d’espoir, aussi ténue soit-elle, a pointé le 18 novembreavec l’annonce d’un accord entre les Chambres des Représentants et de l’État pour mettre fin aux « dépenses parallèles » et unifier la voie financière. Les Nations Unies et les États-Unis ont salué cette avancée.
  • Des arrestations qui font sensation :
    • Preuve que la justice tente, ponctuellement, de réagir, le 2 novembre, le ministère public a ordonné l’incarcération du ministre de l’Éducation, Ali Abed, et du directeur des Programmes scolaires, pour des « irrégularités financières et administratives » dans des contrats d’impression de manuels scolaires d’une valeur de plus de 11 millions de dinars, ayant retardé la distribution des livres à 2 millions d’élèves.

3) Crises humanitaires : la dignité en suspens

En marge des jeux de pouvoir, la tragédie humaine quotidienne se poursuit, implacable.

  • La route migratoire, un cimetière maritime :
    • Le 12 novembre, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a annoncé qu’au moins 42 migrantsavaient péri dans le naufrage de leur embarcation au large des côtes libyennes. Parti de Zouara le 3 novembre, le bateau transportait 49 personnes.
    • La veille, le 11 novembre, le chercheur en droits de l’homme Tarek Lamloum alertait sur le seul centre de détention de « Bir al-Ghanam », où 600 migrantsde 10 nationalités différentes étaient entassés dans des conditions décrites comme un « surpeuplement extrême et de la torture ».
  • Un système de santé à l’agonie :
    • Le 19 novembre, la commission Santé du Parlement a publié un communiqué virulent, dénonçant des « complexités administratives épuisantes » et des « violations financières et administratives » dans le secteur, réclamant une enquête urgente et globale du procureur général.
  • Liban : la libération d’Hannibal Kadhafi :
    • Le 6 novembre, la justice libanaise a ordonné la libération d’Hannibal Kadhafiaprès dix ans de détention, réduisant sa caution de 11 millions à 900 000 dollars. Cette décision est intervenue après qu’une délégation libyenne de haut rang eut remis aux autorités libanaises une copie des enquêtes libyennes sur la disparition de l’imam Moussa Sadr.
  • Les voisins tentent une médiation :
    • Le 6 novembre, les ministres des Affaires étrangères de l’Égypte, de l’Algérie et de la Tunisie se sont réunis à Alger, pressant les parties libyennes de « mettre fin à la division » et de rejeter les « ingérences extérieures », tout en réaffirmant leur soutien à une solution politique.