Avec l’article 185 nouveau du code pénal qui met en cause quiconque conteste son autorité, le président ivoirien est déterminé à intimider ses adversaires pour rester encore cinq ans à la tête du pays.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Les funérailles d’Henri Konan Bédié, 89 ans, avaient permis à la classe politique ivoirienne d’afficher son meilleur visage, un tantinet dans la continuité de l’élan patriotique induit par la campagne victorieuse des Eléphants à la Coupe d’Afrique des nations. Malheureusement, une nouvelle poussée de tension a vu le jour à 14 mois de l’élection présidentielle qui se tiendra en octobre 2025. Celle-ci fait suite à l’adoption, le 6 juin dernier, de l’article 185 nouveau du code pénal par le parlement qui rend désormais passible de poursuites judiciaires « tout individu qui lance un appel public à l’effet de contrarier l’autorité en solidarité avec M. Gbagbo », a précisé Abdoulaye Ben Méïté sur le plateau de la Nouvelle chaîne ivoirienne (NCI).
Cet avocat de l’Etat aux prises avec Laurent Gbagbo durant ses longues années de procès pour crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale a en effet tenu à expliquer que l’article 185 nouveau ne vise pas d’autres Ivoiriens que l’ancien président qui espérait un retour d’ascenseur de la part d’Alassane Ouattara qu’il avait rendu éligible en 2005 à l’issue de la médiation de l’ex-président sudafricain Thabo Mbéki.
Gbagbo-Ouattara : l’éternelle rivalité
A une semaine du discours sur l’Etat de la nation du président Ouattara prévu devant les deux chambres du parlement réuni en congrès, c’est l’histoire de la confrontation singulière entre Gbagbo et Ouattara qui se répète, le premier se retrouvant désormais dans la position du second. En revanche, ce nouveau tour de vis ôte tout suspens à cette déclaration attendue le 18 juin prochain puisque le président Ouattara montre, via cet article 185 nouveau, qu’il est déterminé à jeter toutes ses forces dans la pré-campagne électorale pour intimider ses adversaires et rester encore au pouvoir les cinq prochaines années.
Signe des temps, le patron de la gendarmerie nationale ne cache d’ailleurs plus son agacement puisqu’il est déjà monté au créneau, le week-end dernier, pour expliquer qu’aucun désordre ne sera toléré dans le pays. Si l’un des bras armés du gouvernement bande ainsi les muscles, c’est parce qu’aux problèmes personnels de Laurent Gbagbo s’ajoute également la contestation des réformes électorales initiées par le gouvernement. Neuf partis politiques d’opposition dont le Mouvement des générations capables (MGC) de Simone Gbagbo, Génération des peuples solidaires (GPS) de Guillaume Soro et le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep) de Blé Goudé et plusieurs associations de la société civile font chorus pour demander l’arrêt desdites réformes au profit d’une concertation préalable avec l’opposition. Tous dénoncent en effet une initiative non consensuelle qui se déroule « sans qu’aucune autorité de la Commission Electorale Indépendante (CEI) et ou du Ministère de l’Intérieur n’ait songé à en informer officiellement, ni les partis politiques, ni les organisations de la société civile, encore moins les populations », note leur déclaration.
L’opposition encore très divisée
Or, même si le gouvernement met à profit un contexte où l’opposition ivoirienne est fortement divisée par des problèmes d’égo, de leadership et par toutes sortes de vieilles rancunes, il aurait en revanche tort de trop insister. Car malgré leur humour habituel, les Ivoiriens font face à de nombreuses difficultés existentielles qui sont rendues rédhibitoires par l’inflation des denrées alimentaires, la crise du logement ainsi que la grave de l’emploi qui frappe les jeunes diplômés. Un ivoirien sur trois arrive désormais à se nourrir correctement et la jeunesse dont une partie avait été séduite par le profil d’ancien banquier du président Ouattara se montre de plus en plus sceptique.
Les rancœurs des populations pourraient donc servir d’élément propagateur à un nouvel embrasement général que le gouvernement aurait d’ailleurs tort de circonscrire par un nouveau passage en force du président de la République le 18 juin prochain. Au risque d’embraser de nouveau le pays tout entier qui n’avait retrouvé la paix en 2020 qu’après des violences électorales qui ont fait 80 morts et 300 blessés, de triste mémoire.
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