Centrafrique, des graves dérives dans le secteur des hydrocarbures.

L’approvisionnement du carburant en Centrafrique est essentiel au bon fonctionnement de l’économie de ce pays enclavé. Pourtant, depuis que le Président Touadera (voir l’image ci dessus) est au pouvoir, le secteur des hydrocarbures centrafricain fait l’objet de graves dérives que Mondafrique met en lumière à travers cette enquête.

Un article de Thierry Simbi

.Réquisition de stations-services.

Par une lettre à son Directeur Général datée du 3 juin 2024 ayant comme objet « notification de pénurie », le ministre centrafricain de l’Energie Arthur Bertrand Piri – neveu du Président Touadéra – annonce sanctionner la société Tamoil. Dans sa missive, le ministre Piri signifie à Tamoil que depuis plusieurs semaines, ses stations-services « ne sont pas approvisionnées en produits pétroliers causant ainsi la pénurie et des dommages importants sur le plan économique, financier et social. »

L’accusation est assortie d’une amende de 200 millions de franc CFA, soit un peu plus de 300.000 Euros. Deux jours plus tard, le ministre informe la réquisition de 6 stations-services du réseau Tamoil à Bangui, pour une période de 45 jours.

Un contexte de pénurie de carburant qui affecte durement la population de Bangui et les opérateurs économiques de la capitale centrafricaine

Contexte de pénurie de carburant.

Cette décision intervient dans un contexte de pénurie de carburant qui affecte durement la population banguissoise et les opérateurs économiques de la capitale centrafricaine. En début de semaine, de longues files d’attentes se formaient devant les stations-services de Bangui, prises d’assauts. Les clients servis au compte-goutte se plaignaient de cette pénurie qui exacerbe les difficultés du quotidien. Les distributeurs eux – qui ne sont pas autorisés à approvisionner le marché national – ne peuvent pas avoir accès aux quantités de carburants nécessaires au bon fonctionnement de leurs stations tant les stocks sont bas. Le dépôt de Kolongo, situé en périphérie de Bangui, qui permet d’entreposer la majorité du carburant consommé dans le pays, est actuellement exsangue.

Des campagnes fluviales défaillantes, des réserves au plus bas.

Il y avait auparavant deux voies qui permettaient à la République Centrafricaine – pays enclavé – d’importer son carburant : la voie fluviale (de juin à décembre) depuis la République Démocratique du Congo et la voie routière (de janvier à mai) depuis le Cameroun. La saison des pluies permettait en général d’approvisionner 80% du carburant consommé dans le pays via le fleuve Oubangui depuis la République Démocratique du Congo. Cependant, la situation s’est particulièrement détériorée depuis que la Socatraf, filiale de Bolloré, a perdu la gestion du transport fluvial et du port de Bangui en 2022 affectant depuis la réalisation des habituelles campagnes fluviales. En fin de la saison sèche, la situation est actuellement très préoccupante tant les réserves stratégiques sont actuellement basses. Bangui observe en permanence les camions citernes arrivant par la route de Douala, une logistique insuffisante pour répondre aux besoins du pays mais aussi très coûteuse et plus difficile à taxer pour l’Etat centrafricain surtout lorsque que l’on sait que Wagner administre les douanes du pays.

Conflit commercial Tamoil – Neptune.

Cette nouvelle crise du carburant à Bangui s’inscrit dans un contexte commercial compliqué à la suite du départ dans la douleur de TotalÉnergies de RCA l’an dernier, alors que la compagnie était en conflit avec l’Etat centrafricain. En août 2023, les actifs de TotalEnergies en RCA ont été rachetés par la banque d’affaires Rochefort & Associés, à travers une société dénommée TransAfrica Market Oil (Tamoil).

Cependant, peu après ce rachat, le ministère des Hydrocarbures centrafricain a confié en septembre 2023 l’exclusivité d’importation des produits pétroliers à l’entreprise camerounaise Neptune Oil via une « convention exclusive » d’une durée de dix ans. Rochefort & Associés qui misait sur l’importation et la revente de carburant se voit donc obligé d’acheter son carburant auprès de Neptune Oil et de revendre à ses stations à des prix de vente réglementés par l’État centrafricain. Il faut d’ailleurs noter que Neptune Oil est exempté de taxes… Cette situation a engendré une situation très tendue entre Tamoil et Neptune parasitant encore plus l’approvisionnement de carburant depuis Douala. Dans ses dernières recommandations à l’exécutif centrafricain, le Fonds monétaire international (FMI)  a réclamé une analyse de conformité du contrat passé avec le pétrolier camerounais dans l’objectif de prendre, si besoin, « toutes les actions nécessaires pour assurer un traitement égal, vis-à-vis du droit, des entités opérant du secteur des produits pétroliers. »

Le dépôt de carburant Kolongo, Bangui, RCA

Le secteur des hydrocarbures sous surveillance du FMI.

En avril 2024, la facilité élargie de crédit (FEC) de 191 millions de dollars du FMI signée en avril 2023 faisait l’objet d’une deuxième revue. Dans un communiqué du 20 avril 2024, le FMI appelait à l’exécutif centrafricain à « la mise en œuvre effective des réformes, notamment dans le secteur des hydrocarbures qui sera cruciale pour relever les nombreux défis économiques et sociaux auxquels font face les autorités dans un contexte de marge budgétaire limitée. » L’organisation internationale soulignait que la réalisation des perspectives de croissance dépendra notamment « de façon cruciale de la réussite de la campagne d’importation de carburants par le fleuve Oubangui. » Concernant les prix, le FMI demande « plus de transparence » soulignant que « le salaire minimum journalier en Centrafrique est au même niveau que le prix régulé d’un litre d’essence », une situation qui « encourage le marché noir et les importations illégales depuis les pays voisins. »

Marché informel et enrichissement personnel de caciques du régime Touadéra.

Cela fait plusieurs années que prospère un trafic informel de carburant qui implique et bénéficie notamment aux protagonistes suivants : Arthur Bertrand Piri (Ministre de l’Energie), Ernest Batta (DG de la Société Centrafricaine de Stockage des Produits Pétroliers – SOCASP), Rameaux-Claude Bireau (Ministre de la Défense nationale), Frédéric Inamo (DG des Douanes de Centrafrique), Le Président du Conseil d’Administration du Bureau d’Affrètement Routier Centrafricain (BARC) Sani Yalo ainsi que le Président Touadéra lui-même qui en tire de large dividendes.

Richissime homme d’affaires et acteur majeur de la scène politique centrafricaine, Sani Yalo a souvent défrayé la chronique en RCA et au-delà de ses frontières. Discret et mystérieux, il est pointé du doigt par certains, à tort ou à raison, comme le mouton noir de la République. D’autres le dépeignent comme un patriote, qui a su se hisser au sommet

 

Le conseiller de l’ombre du Président Touadéra Sani Yalo a ainsi monté avec des relais aux Km5 et à Garoua-Boulai, un vaste trafic de carburant importé en toute illégalité en RCA sans que ne soit versé de taxe ni payé de droit de douane à l’Etat centrafricain. Il a d’abord commencé à détourner du carburant stocké au dépôt de Kolongo géré par la SOCASP (dont 51% du capital est détenu par l’Etat Centrafricain). En 2022, la société dénommée COPRENAPE-ECO-CONSTRUCTION SARL administrée par Sani Yalo en lien avec les éléments du Groupe Wagner en Centrafrique a obtenu du ministre Arthur Bertrand Piri le droit d’importer et de vendre les produits pétroliers. Des points de stockage sauvage dans Bangui ont d’ailleurs occasionné des incendies à diverses endroits de la capitale centrafricaine.

Selon les données du FMI, le marché informel représente désormais 40 % des ventes de carburant de RCA. Cette situation affecte de manière très conséquente les recettes fiscales de l’Etat centrafricain. Les taxes sur le carburant qui représentent habituellement un tiers des recettes de l’Etat seraient désormais à peine de 10 % aujourd’hui.