Emprisonné puis libéré, le fils de Khadafi, Saif al-Islam, persiste et signe

De nombreux Libyens estiment que le « dauphin » de l’ex-Jamahiriya a disparu : ses apparitions publiques sont rarissimes et on ignore où il habite ni quel est son son activité. La photographie, publiée ces dernières heures sur les réseaux sociaux, montre Saif avec sa main droite appuyée sur un bâton, mettant en valeur la phalange de son majeur droit amputé après sa capture en 2011.

Le fils du défunt colonel  Khadafi porte une casquette de baseball noire de la marque américaine Under. Armure et esquisse un sourire sous une longue barbe noire et blanche. Son regard paraît fatigué derrière ses lunettes claires, mais il lève quand même le pouce levé de la main droite, imité par le jeune homme à côté de lui.

Bechir Jouini, chercheur en relations internationales

  1. Enfance et formation (1972–2000)

Saif al-Islam Kadhafi est né le 25 juin 1972 dans le complexe militaire de Bab al-Azizia à Tripoli. Il est le deuxième fils du colonel Mouammar Kadhafi et de sa seconde épouse, Safia Farkash. Après des études d’architecture en Libye (diplômé en 1994), il obtient un doctorat en économie à l’Université de Londres en 2000, bien que des doutes aient été émis sur la légitimité de son diplôme en raison de donations libyennes à l’université.

Bien qu’il n’ait jamais suivi de formation militaire, il reçoit le grade de commandant dans l’armée libyenne. En 1998, il prend la tête de la Fondation Kadhafi pour le Développement, une organisation caritative par laquelle il mène diverses activités et participe à des négociations politiques majeures.

  1. Rôles politiques et négociations internationales (2000–2011)

Saif al-Islam Kadhafi s’est impliqué dans plusieurs dossiers internationaux, renforçant son image de médiateur capable de résoudre des crises sensibles. Cela lui a valu une certaine popularité en Libye et à l’étranger. Parmi ses interventions marquantes :

  • Libération d’otages étrangers aux Philippines (2000)

À l’été 2000, il négocie avec le groupe Abu Sayyaf, qui détenait des otages allemands, et obtient leur libération contre une rançon de 25 millions de dollars.

  • Règlement politique et financier de l’affaire de Lockerbie

Il contribue à un accord coûteux concernant l’attentat du vol Pan Am 103, qui explosa au-dessus de Lockerbie (Écosse) en 1988, faisant 270 victimes. La Libye reconnaît sa responsabilité et verse 2,7 milliards de dollars d’indemnisation.

  • Résolution de l’affaire des enfants contaminés par le VIH

Entre 1998 et 2007, cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien sont accusés d’avoir délibérément infecté 393 enfants libyens avec le VIH à l’hôpital Al-Fateh de Benghazi. Condamnés à mort, ils sont finalement libérés après des pressions internationales et des négociations menées par Saif al-Islam, qui reconnaît les tortures subies par les accusés et les manipulations des enquêteurs libyens.

  • Abandon du programme nucléaire libyen (2003-2004)

En décembre 2003, après neuf mois de négociations secrètes avec les États-Unis et le Royaume-Uni, la Libye renonce à ses ambitions d’armes de destruction massive. Saif al-Islam défend cette décision, affirmant que le pays n’avait jamais possédé d’armes nucléaires mais seulement un programme de recherche.

  • Réformes limitées et « Libye de demain »(libya al ghad)

Porteur d’un projet de modernisation (« Libye de demain »), il propose une nouvelle constitution, une économie diversifiée et des droits humains renforcés. Il nomme même Choukri Ghanem, un réformateur, comme Premier ministre. Cependant, ses initiatives se heurtent aux conservateurs du régime, notamment après un discours critique en 2008 qui entraîne la fermeture de sa chaîne de télévision.

Malgré son influence, Saif al-Islam reste soumis aux volontés de son père. En 2009, il est officiellement nommé coordinateur du Comité populaire général, devenant ainsi la deuxième figure la plus puissante du régime – mais sans pouvoir réellement réformer un système verrouillé.

3. La révolution du 17 février 2011 et ses conséquences

• Un rôle controversé

Lorsque la révolution du 17 février éclate, tous les regards se tournent vers Saif al-Islam après le discours de son père. Certains espèrent qu’il apaisera la colère populaire, tandis que d’autres prédisent qu’il restera fidèle à la ligne dure tracée par le Guide. C’est finalement cette seconde option qui se concrétise.

Le 20 février 2011, Saif al-Islam apparaît à la télévision nationale, alternant menaces et promesses de réformes. Il déclare que son père « combattra la révolution jusqu’au dernier homme » et avertit : « L’armée rétablira l’ordre à tout prix. Nous ne lâcherons pas la Libye. Nous nous battrons jusqu’au dernier homme, à la dernière femme, à la dernière balle. »

Il accuse des exilés libyens d’avoir attisé les violences, tout en promettant un dialogue sur les réformes et des augmentations de salaires. Mais il n’hésite pas à menacer les révolutionnaires, qualifiant les membres du Conseil national de transition (CNT) de « poubelles » et déclarant : « Quand tout allait bien, j’étais un opposant et un réformateur. Mais quand les gens franchissent les lignes rouges, je les frappe avec ma chaussure, et je frappe leur père aussi. »

• Le procès : condamné à mort par contumace (2015)

En mai 2011, la Cour pénale internationale (CPI) émet un mandat d’arrêt contre lui pour répression de manifestants. Capturé en novembre 2011 près d’Obari, il est emprisonné à Zintan. La Libye refuse de le transférer à la CPI, et un tribunal libyen le condamne à mort par contumace en juin 2015 pour crimes de guerre et corruption, aux côtés de huit autres figures du régime.

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU exprime alors de « vives inquiétudes », jugeant que le procès ne respectait « pas les normes internationales d’équité ».

• La libération : un mystère politique (2017)

Le 12 avril 2016, son avocat annonce sa libération, bénéficiant d’une « amnistie générale » décrétée par le Parlement de Tobrouk. Mais les autorités locales démentent. Finalement, en juin 2017, la brigade Abou Bakr al-Siddiq (pro-Khalifa Haftar) le libère après cinq ans de détention.

Son gardien, Ajmi al-Atiri, déclare à France 24 : « La majorité des Libyens regrettent l’ancien régime, même ceux qui l’ont combattu. Saif al-Islam jouera un rôle clé pour unifier la Libye. »

La veille de sa libération, le président du Parlement, Aguila Saleh, appelle à « libérer tous ceux détenus sans preuve », dans un discours perçu comme un soutien indirect à Saif al-Islam. Des rumeurs évoquent alors une alliance secrète entre lui et Haftar, renforcée par le soutien public d’Ahmed Gaddaf al-Dam, un cousin proéminent des Kadhafi, au maréchal.

• Un retour qui trouble les équilibres

Pour de nombreux observateurs, la survie de Saif al-Islam malgré sa condamnation à mort est un signal politique fort. Soutenu par des tribus (comme les Warfalla et les Al-Zintan) et des milices, il pourrait rejouer un rôle majeur.

La Russie, notamment, plaide pour son inclusion dans le processus politique. Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, déclare à Sputnik : « Saif al-Islam doit faire partie de la solution. Personne ne devrait être exclu des élections. »

À l’inverse, les États-Unis et le Royaume-Uni y sont fermement opposés.

Conclusion : Un fantôme encombrant
Sa réapparition ravive le spectre de l’ancien régime. Pour ses partisans, il incarne une stabilité perdue ; pour ses détracteurs, un retour à l’autoritarisme. Quoi qu’il en soit, son retour brouille les cartes en Libye – et au-delà.

 

 

  1. Le retour politique et la candidature aux élections (2021–2024)
  • Candidature à la présidentielle de 2021

Après dix ans de disparition, Saif al-Islam Kadhafi rompt le silence en juin 2021 lors d’une interview exclusive à Zintan avec le journaliste américain Robert F. Worth (The New York Times). Il explique avoir volontairement disparu : « J’ai passé dix ans loin des Libyens. Il faut y retourner pas à pas, comme une danseuse effeuilleuse. »

Ses propos reflètent une position inchangée depuis 2011 : aucun regret envers la révolution, qualifiant les manifestants de « terroristes, démons et idiots » et critiquant les printemps arabes : « Les Arabes stupides ont détruit leurs pays. » Il ne remet pas en cause les 40 ans de règne de son père, admettant seulement que *« certaines politiques socialistes des années 80 ont peut-être dévié, mais il les a corrigées. »* Il défend même « le Livre Vert », affirmant que « des idées occidentales comme les référendums ou l’actionnariat salarié en sont inspirées. »

Le 21 novembre 2021, il dépose sa candidature à la présidentielle à Sebha, mais la Commission électorale le rejette trois jours plus tard, invoquant « des condamnations pénales » (Article 10 de la loi électorale) et « l’absence de certificat de bonne conduite » (Article 17). Le 2 décembre, un tribunal de Sebha annule cette décision, relançant l’espoir de ses partisans.

  • Manœuvres politiques

Saif al-Islam accuse les « élites au pouvoir d’avoir saboté les élections ». En décembre 2022, il dénonce « des disputes artificielles pour exclure des candidats gênants » et propose un report de la présidentielle au profit de législatives, afin « d’éviter une nouvelle guerre civile ». Son avocat, Khaled Zaidi, publie en janvier 2023 une initiative détaillant cette solution, soulignant « l’urgence de sauver la feuille de route et de respecter la volonté de 2,5 millions de Libyens ».

 

 

 

  1. Évolutions récentes (2023–2024)
  • Prise de position après les inondations de Derna (septembre 2023)

Il attribue la catastrophe à *« l’effondrement de l’État post-2011 »*, dénonçant « des budgets volés et des gouvernements corrompus »« Les Libyens paient pour des conflits absurdes entre des dirigeants sans légitimité », déclare-t-il, soulignant « l’absence totale d’institutions capables de gérer les crises ».

  • Rupture avec Haftar (printemps 2024)

Les tensions éclatent publiquement lorsque des milices de Zintan (pourtant pro-Haftar) annoncent leur soutien à Saif al-Islam, menaçant de « recourir à la force si on l’exclut des élections ». En réponse, Haftar fait arrêter Ali Bousbayha al-Hasnawi, chef d’un comité de réconciliation pro-Kadhafi, provoquant des protestations dans le Sud.

  • Dernière apparition (juin 2024)

Une photo de lui, souriant et faisant le signe de la victoire dans les montagnes de Zintan, relance les spéculations. Vêtu d’une casquette et d’un t-shirt, la barbe grisonnante et les doigts mutilés visibles, il semble en bonne santé.le fils  Son protecteur, Ajmi al-Atiri (commandant de la brigade Abou Bakr al-Siddiq), est à ses côtés.

Ce retour symbolique intervient alors que des factions militaires et tribales (Warfalla, Zintan, etc.) et des capitales étrangères (Moscou, Le Caire, Abou Dabi) poussent pour sa réintégration politique, malgré l’opposition occidentale et son statut de « criminel de guerre » pour la CPI.

Conclusion : Un fantôme encombrant

Saif al-Islam incarne une contradiction libyenne :

  • Pour ses supporters, il est le « réformateur pragmatique »des années 2000, capable d’unifier le pays.
  • Pour ses détracteurs, un symbole de l’ancien régime, lié à la répression de 2011.

Entre alliances tribales, soutiens militaires et obstacles juridiques, son avenir dépendra de la capacité des Libyens à trancher :

  • Réconciliation nationaleavec lui ?
  • Ou rejet définitifd’un héritage controversé ?

Avec un pays toujours divisé et des élections sans cesse reportées, une chose est sûre : le nom « Kadhafi » n’a pas fini de faire parler en Libye.