Avec Donald Trump revenu au pouvoir, la géopolitique des minerais a remplacé la géopolitique des pipes pétroliers. De l’Ukraine au Canada et au Groenland, la politique internationale de la nouvelle administration américaine peut se lire à l’aune de cette quête de tantale, de galium, de graphite et autres matériaux stratégiques pour garantir à la fois l’indépendance de l’Amérique et sa ré-industrialisation.
Leslie Varenne
En préambule, il convient de clarifier les termes. L’expression « terres rares » est un abus de langage trompeur les terres rares sont un groupe spécifique de 17 métaux qui ne sont pas si rares, tandis que les minerais critiques sont définis par leur importance stratégique et les risques liés à l’approvisionnement pour les pays qui n’en possèdent pas.
Acte 1. En décembre 2017, le premier mandat de Donald Trump,
L’United States Geological Survey (USGS), un organisme gouvernemental, publie un rapport alarmant en révélant la dépendance à 100% des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine pour 20 minerais critiques. La Russie, l’Afrique du Sud, le Brésil et le Canada apparaissent également comme des fournisseurs indispensables pour d’autres éléments. Hormis le voisin canadien, les Etats-Unis sont donc à la merci des pays des BRICS pour leur sûreté nationale comme pour leur économie.
Le locataire de la Maison–Blanche, qui à l’époque déjà, a fait de la Chine son premier adversaire, s’en émeut. Immédiatement après la publication dudit rapport, il signe un décret ordonnant au gouvernement américain de prendre plusieurs mesures pour limiter cet assujettissement. Sauf que ce programme ambitieux n’aboutit pas. Son successeur, Joe Biden, injecte 120 milliards de dollars pour redynamiser le secteur des nouvelles technologies, mais ne s’attaque pas aux racines du problème. Résultat : la dépendance s’accroit.
En décembre 2024, Washington édicte une nouvelle vague de restrictions sur l’industrie chinoise des puces électroniques. Le retour de boomerang ne se fait pas attendre. Pékin riposte immédiatement en interdisant l’exportation de gallium, germanium et antimoine, des matériaux indispensables dans l’électronique, la défense ou encore les semi-conducteurs. Tel est pris qui croyait prendre, l’USGS estime que cette décision pourrait entraîner une perte de PIB américain de 3,4 milliards de dollars.
Acte 2. Janvier 2025, Donald Trump revient dans le bureau ovale et prend ce dossier à bras le corps.
Faute de résoudre ce problème, il sait qu’il ne pourra mener à bien son programme MAGA, (Make America Great Again), qui consiste avant tout à se réindustrialiser et à contenir l’expansion de la Chine. Dès lors le Président américain veut aller vite, s’emparer de tous les sujets internationaux qui lui offrent des opportunités, quitte à passer en force.
Il conditionne l’accord de paix russo-ukrainien à un autre accord avec Kiev sur « les terres rares ». L’Ukraine possède, en effet d’importantes réserves de minéraux essentiels. Sauf que 40% de ces ressources en métaux sont contrôlés par la Russie, 100% du plus grand gisement de lithium d’Europe se trouve dans le Donbass.
Mais ô surprise, Moscou, qui a bien compris l’obsession de Washington, ne verrait pas de problème à l’implantation d’entreprises américaines dans les territoires ukrainiens qu’elle a annexés. Cette information est écrite noir sur blanc dans un document des services de renseignement russes qui a fuité le 13 mars dans la presse américaine et qui détaille les conditions dans lesquelles le Kremlin accepterait un accord de paix.
Si cet accord voyait le jour, ce qui à ce stade de l’histoire n’est pas assuré, il pourrait être gagnant-gagnant pour tout le monde. Pour Washington, qui desserrerait l’étau de son assujettissement à la Chine. Pour l’Ukraine, qui pourrait à la fois recréer une industrie et une économie mises à terre par trois années de guerre et donner des emplois à ses anciens soldats.
Quant à la Russie, si elle a toujours mis son véto à la présence de soldats de l’OTAN à ses frontières, même relookés en gardiens de la paix comme l’envisagent les Européens, elle n’a jamais tracé de ligne rouge sur l’implantation d’industries étrangères. Ce pourrait être même considéré comme une garantie de sécurité politiquement moins délicate. C’est probablement à cela que pensait Donald Trump lorsqu’il a dit à Volodymyr Zelensky, lors de leur désormais célèbre rencontre dans le bureau ovale, qu’avec son plan, l’Ukraine n’aurait pas besoin de garantie de sécurité.
Dans le même mouvement, Donald Trump a lancé une OPA sur le Groenland. Le 13 mars, il réitère en déclarant « nous avons besoin du Groenland pour notre sécurité nationale ». Dans sa logique éperdue de quête d’indépendance stratégique cela fait sens, l’île regorge de gisements de ressources minérales encore inexploitées. Une étude de 2023 a montré que 25 des 34 minéraux considérés comme des matières premières critiques par la Commission européenne s’y trouvent : titane, tantale, niobium etc.
Dans le cas de la République Démocratique du Congo, l’opportunité vient à Donald Trump puisque c’est le président Félix Tshisekedi qui lui propose un accord minier. Agressé par son voisin rwandais à l’Est, via le groupe armé M23, le Congo qui dispose d’immenses ressources minières et dont l’armée n’est pas en mesure d’assurer la sécurité du pays, verrait d’un très bon œil un pacte à l’ukrainienne : paix contre minerais. Cette offre n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd et des discussions préparatoires ont déjà débuté entre Washington et Kinshasa.
Sauf que dans le cas de Nuuk, comme dans celui de KInshasa, il y a loin de la coupe aux lèvres. Les Américains vont se retrouver devant une montagne de difficultés. Au Congo, il suffirait que des entreprises américaines s’installent pour refroidir les ardeurs du président Rwandais Paul Kagamé, mais d’autres problèmes se poseront. Les Chinois ont obtenu de nombreuses concessions minières et les contrats ne se dénouent pas du jour au lendemain. Les entreprises locales ne sont pas prêtes non plus à être spoliées.
Au Groenland, ce sera pire encore, il faudra se confronter au Danemark, allié de l’OTAN et membre de l’Union européenne, aux Inuits qui ne souhaitent pas voir leur écosystème détruit par l’extraction minière, aux difficultés techniques et aux investissements colossaux.
Au final, l’accord avec Kiev est celui qui paraît le moins difficile à mettre en œuvre. Mais s’il voyait le jour ce serait au détriment des Européens, qui eux aussi, ont des visées sur ces matériaux. En février dernier, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu a reconnu être en pourparlers avec Kiev sur ce dossier depuis l’automne. Paris et Bruxelles seraient les dindons de la farce, ils s’engagent à faire entrer l’Ukraine dans l’Union, financer la reconstruction, mais n’en verront aucun bénéfice. Or, tout comme les Etats-Unis, l’Europe est presque entièrement dépendante de la Chine pour ses minerais critiques. Les Européens, atteints de réunionites aigues, discourent sur un réarmement, mais comment reconstruiront-ils une industrie de défense alors qu’eux aussi sont à la merci de minerais venus d’ailleurs. D’autant qu’au vu de l’activisme de Donald Trump sur ce dossier, il y a fort à parier qu’il les devancera et ne leur laissera que des miettes…