De graves fissures au sommet du régime en Tunisie

Alors qu’il y a peux de temps leur mutisme face aux arrestations arbitraires et aux procès politiques indignait les milieux des droits de l’homme et ce qui reste de l’opposition, certains députés tunisiens, pourtant jusqu’alors fervents défenseurs de Kais Saied, viennent de rompre le silence de façon aussi surprenante que fracassante, alors que les récentes mobilisations populaires à Gabès ont montré à quel point le régime est impopulaire. Seul le s,directeur général de la garde présidentielle et des personnalités officielles  depuis le 31 octobre 2019,  Khaled Yahyaoui, une sorte de vice roi qui concentre l’essentiel du pouvoir sécuritaire et des leviers du renseignement, semble protéger encore le président Kaïs Saïed, mais comme la corde soutient le pendu.

Signe avant coureur d’une chute du régime ou manœuvre pour redorer son blason à une ARP (Assemblée des représentants du peuple) totalement inerte, que la Constitution bis de Kais Saied a de toute façon dépouillé de tout pouvoir réel, nul ne peut l’attester. Une certitude, le régime autoritaire se fissure de l’intérieur et les langues y compris au sein des cercles favorables au pouvoir commencent à se delier pour dénoncer, pas tant d’ailleurs les atteintes aux droits de l’homme, ni la mise au pas des organisations nationales,  notamment la puissante centrale syndicale (UGTT) er récemment la célèbre association des femmes démocrates. Sur fond d’une incompétence manifeste des gouvernements successifs, voire du président lui-même, devant la grave crise économique, sociale et désormais politique que traverse le pays.

Parmi ces députés dépités, certains comme Mohamed Amine Ouerguii, justifient leur démission par « la répétition des violations du règlement intérieur et par le non respect des délibérations du bureau du Parlement lors de prises de décisions « 

La députée Majda Ouerghi a dénoncé l’absence de la cheffe du gouvernement au débat actuel, ce qui représente, pour elle, un signe d’incapacité et d’impossibilité de répondre aux questions des députés… parce que « la moitié des Tunisiens n’a pas compris » le discours qu’elle avait prononcé, la journée précédente.

La députée a, dans ce sens, fustigé l’absence de communication et d’information, avec les médias ce qui n’est pas de nature à faciliter l’obtention d’une information juste et crédible. Elle a évoqué « le nombre de fois ou la question de la corruption a été évoquée par le président Saïed, lors de ses rencontres avec les ministres, toutefois, rien n’a été fait », tirant de son siège tout un porte-documents plein à craquer de dossiers qui lui étaient parvenus à propos des méfaits des corrompus… mais, pour elle, la conséquence en est que « les corrompus courent toujours… alors que les dénonciateurs de leurs méfaits sont persécutés et harcelés »

« Une gestion hors sol » »

La charge la plus violente est venue du député de la coalition « Voix de la République « , Ahmed Saidani.  D’emblée, Saïdani a posé la question qui structure son propos : « La question aujourd’hui en Tunisie : jusqu’à quand cette folie va-t-elle durer ?» — une formule qu’il a reprise tout au long de son intervention pour souligner, selon lui, l’absurdité des pratiques du pouvoir. «L’État en Tunisie perd la raison : le régime a perdu son orientation et son sens», a-t-il lancé.

Il a fustigé la «déconnexion» du chef de l’État : «Tous les indicateurs montrent que monsieur le président de la République est un homme déconnecté de la réalité — déconnecté politiquement, socialement, historiquement et géographiquement. Il vit sur une autre planète, comme il l’a dit lui-même ».

Énumérant les leviers de l’État placés selon lui sous contrôle direct du président, Ahmed Saïdani a insisté : «Vous avez le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Défense, la garde présidentielle, le service de sécurité présidentielle, la présidence, les prisons… Toutes les forces armées et les services de renseignement du pays sont sous son autorité ».  «Et pourtant, il accuse des fantômes de comploter contre lui», a-t-il ironisé. Pour le député, la contradiction est flagrante : « On nous parle de complots, de traîtres, d’agents — mais je ne crois pas qu’il y ait douze millions de comploteurs en Tunisie ».

Toujours à propos de ces députés contestataires, « ont-ils senti le vent tourner, le bateau prendre de l’eau, ou cherchent ils à se repositionner au cas où ? » se demandent nos confrères de Kapitalis. Ou « Ont ils enfin pris conscience que la réalité  du pouvoir n’est pas à la Kasbah (siège du gouvernement) mais à Carthage ? »

Une guerre des clans

Malgré ce ton qui monte, l’essentiel et le plus symptomatique ne se joue pas au sein de l’ARP, mais dans les antichambres du palais de Carthage ! S’y déroule en effet une véritable guerre des clans entre d’une part la famille du président -qui est elle-même divisée entre le clan du frère (Naouefel Saied) er celui de la belle sœur (Atka Chebil), appelé par les Tunisiens les nouveaux Trabelsi, et d’autre part l’ancienne garde rapprochée et soutien de la première heure du candidat Saied, à savoir Ridha dit Lenine et Kamel Fekih, l’éphémère ministre de l’intérieur. Ces deux derniers auraient été récemment écartés par la puissante belle sœur.

Côté institution militaire, la grande muette ne semble pas non plus satisfaite d’une situation de plus en plus inconfortable pour elle et, surtout, de ce qu’elle représente chez les Tunisiens qui lui ont fait confiance. Chambre d’écho des inquiétudes venues des Américains inquiets des dérives pro iraniennes du régime, l’armée tunisienne est sans doute l’ultime bastion d’une certaine résistance aux dérives les plus graves du président Kaïs Saïed. 

Le général Mustapha Ferjani, seul ministre (Santé) qui beneficiait d’une certaine popularité, subit depuis quelques jours une campagne de dénigrement bien orchestrée, en raison d’une déclaration maladroite sur la crise sanitaire à Gabes. Voit on en lui un éventuel remplaçant de Kais Saied? Ou s’agit il plus simplement d’une cabale menée par d’autres rivaux politiques…au sein même de l’armée ?