L’élection à la tête de la Commission de la CEDEAO a connu un rebondissement spectaculaire. Alors que le Sénégalais Bassirou Diomaye Faye était donné favori, c’est finalement le candidat sierra-léonais, Julius Maadda Bio, qui l’a emporté. Cette issue inattendue est un coup de tonnerre qui rompt avec les traditions diplomatiques régionales et soulève des questions.
Leslie Varenne
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Lorsque, le dimanche 22 juin, le président Bassirou Diomaye Faye arrive à Abuja, il est assuré de prendre la tête de l’organisation sous-régionale. Mais patatras, le président sierra-léonais, Julius Maada Bio, lui a damé le pion. Cette défaite a été très mal vécue à Dakar. Le journal sénégalais Le Quotidien a titré « Gros ratage diplomatique » et de signaler dans la foulée que c’était le deuxième revers sénégalais en moins d’un mois, après que le poste de la présidence de la Banque Africaine de Développement ait été confié au Mauritanien Sidi Ould Tah.
La sortie des pays de l’AES
Déçu mais élégant, Bassirou Diomaye Faye a néanmoins salué la victoire de son homologue en l’appelant à renforcer l’unité et l’efficacité de la Cedeao. Tout un programme, qui ne sera pas simple à mettre en œuvre. La tradition veut qu’après un anglophone à la tête de la Cedeao, vienne le tour d’un francophone, c’est ce qui aurait dû se produire et c’est la raison pour laquelle le président sénégalais était certain de gagner. Mais rien ne s’est passé comme prévu et « le camp francophone » sort très fragilisé de cette 67ème session de l’organisation qui marquait également son cinquantenaire. La défaite du Sénégal s’inscrit dans un contexte de profondes divisions internes à la CEDEAO. Le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger, regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), a encore fragilisé une organisation déjà affaiblie par des crises institutionnelles et une perte de légitimité. Ces trois pays, qui représentaient une force géopolitique et sécuritaire majeure, ont choisi de tourner le dos à l’organisation, remettant en cause sa capacité à incarner l’unité ouest-africaine.
Désormais, sur les 15 pays membres, il n’y a plus que 5 francophones, moins la Guinée Conakry, mise sur la touche en raison du coup d’État. Les anglophones se retrouvent donc à égalité, mais surprise, sur ce vote, grâce au lobbying du Nigérian, Bola Tinubu, ils ont été rejoints par les lusophones, le Cap Vert et la Guinée-Bissau.
Alassane Ouattara, l’absent
Cerise sur le gâteau, des poids lourds de la région comme Alassane Ouattara et Faure Gnassingbé n’ont étrangement pas fait le déplacement. Plusieurs explications sur ces absences circulent en coulisses, notamment le probable 4ème mandat du président ivoirien, le changement de constitution pour le Togolais, qui mettrait ces chefs d’Etat en difficulté par rapport aux textes de la Cedeao. Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de noter que le mandat de la présidence 2025-2026 est axée sur le « renforcement de la démocratie et de l’ordre constitutionnel dans la région. »
Les limites de Julius Maada Bio
Certains observateurs voient dans le président sierra-léonais un acteur qui pourrait se réconcilier avec les pays de l’AES, ayant été, lui aussi, un ancien putschiste reconverti dans la démocratie. Rien n’est moins certain : Diomaye Faye, qui dès son élection s’était rendu au Mali et avait prôné le dialogue avec les récalcitrants, aurait, de ce point de vue, été un meilleur facilitateur.
Quant à la démocratie en Sierra Leone, le compte n’y est pas. Les dernières élections de 2023 ont, pour le moins, manqué de transparence et ont été suivies d’une tentative de putsch. La bonne gouvernance laisse également à désirer : la Sierra Leoneest souvent accusée d’être « un narco-État ». En janvier 2025, des images ont montré Jos Leijdekkers un trafiquant néerlandais recherché par les autorités de son pays, présent lors d’un événement familial du président Maada Bio ! La Cedeao a encore du pain sur la planche…