Le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Tidjane Thiam, qui effectuait, samedi 22 juin, sa première sortie politique depuis son élection, dans la ville de Soubré, a estimé que les Ivoiriens sont malheureux parce qu’ils ne tirent pas profit de la croissance économique du pays.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
On se demandait comment Tidjane Thiam aborderait son premier meeting politique avec sa bienveillance et sa pondération habituelles. Mais on a eu, samedi 22 juin à Soubré, à 369,6 km d’Abidjan, un aperçu de ce que sera la tonalité de son discours, puisque, pour sa première, le président du PDCI a réussi à embarrasser le gouvernement en expliquant à ses hôtes qu’il sait qu’ils sont malheureux. « Ce n’est pas un secret aujourd’hui que les Ivoiriens sont malheureux. Ce n’est pas un secret que la situation du pays est difficile », a-t-il dit à un auditoire majoritairement composé de paysans, de planteurs de cacao et de jeunes déscolarisés.
Quand on sait que le mardi 18 juin dernier, le président Ouattara s’était amusé à dresser un bilan élogieux de son action et à décrire une situation économique idyllique de la Côte d’Ivoire, on réalise à quel point cette charge de l’ancien patron de l’ex-Crédit peut potentiellement déconstruire la communication du président Ouattara qui se gargarise d’ordinaire des chiffres de la croissance économique nationale. D’autant qu’à Soubré, le nerf de la guerre s’appelle le cacao. Or, cet or local n’arrive plus à nourrir ses producteurs en raison du prix d’achat qui est déconnecté de l’inflation galopante et de la hausse du prix des produits de première nécessité et, donc, du coût de la vie.
D’ailleurs, malgré la revalorisation du prix du kilogramme de cacao qui est passé de 1.000 FCFA à 1.500 FCFA, des associations de producteurs demeurent majoritairement insatisfaites. En revanche, elles veulent, d’une part, obtenir un coût minimum bord-champ de 3500 FCFA, et entrer au conseil d’administration du Conseil café-cacao dont elles sont jusque-là exclues. Et c’est justement ce sentiment d’injustice qui prévaut au sein des producteurs de l’or brun que Tidjane Thiam a capté en revenant sur la notion de croissance économique qui, selon lui, n’est pas une prouesse gouvernementale mais la somme de ce que les populations ont produit. Or, celles-ci, selon lui, ne sont pas récompensées de leurs efforts.
« On vous parle de croissance économique à 6%, 7%, mais la croissance économique, c’est vous qui la produisez. Ce sont les planteurs qui font le cacao, qui font l’hévéa, les commerçants qui sont au marché… Bref, c’est le résultat du travail des citoyens. Ce n’est pas le gouvernement qui produit la croissance économique. Ce que le gouvernement doit faire, c’est utiliser cette croissance pour la mettre au service des citoyens », a affirmé le président du PDCI.
La Côte d’Ivoire parmi les 30 derniers pays mal classés
Ce qui n’est pas le cas, a indiqué Tidjane Thiam en commentant l’indice de développement humain (IDH) qui montre que Côte d’Ivoire a encore régressé de ce côté, passant de la 159e place à la 166e. « Ce n’est pas Tidjane Thiam qui le dit mais ce sont les chiffres officiels. Nous sommes 166e sur 193. C’est-à-dire que nous sommes dans les 30 derniers du monde. Ce n’est pas une attaque politique, c’est un fait », a enfoncé le président du PDCI.
D’ailleurs, pendant que les médias locaux, largement dominés par ceux du gouvernement, font de la propagande sur les infrastructures réalisées par le président Ouattara, l’espérance de vie en Côte d’Ivoire a chuté d’un an, passant de 40 ans à 39 ans, a insisté Tidjane Thiam dont le discours va vraisemblablement embarrasser le président Ouattara qui n’aime pas, d’ordinaire, que son storytelling selon lequel la Côte d’Ivoire est sortie de l’ornière grâce à son action soit contredit. Les leçons de morale de Tidjane Thiam seront par ailleurs d’autant plus difficiles à supporter que le président du PDCI se croit capable de « changer c’est ça » et de faire en sorte que « le développement humain en Côte d’Ivoire soit le même que le développement économique ».