Servis par les réseaux sociaux tels que WhatsApp, vidéos Tik-Tok, captations de prêches diffusés sur YouTube, ou live sur Facebook, les pasteurs évangéliques voient les rangs de leurs adeptes se gonfler tous les jours en Côte d’Ivoire. Sous couvert de la religion, leurs activités sont devenues un business et un levier d’influence. L’Etat, de son côté, est décidé à exercer un contrôle financier strict sur les « entreprises » de ces ouvriers de Dieu.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Depuis l’apparition de la pandémie du Covid-19, certains pasteurs ont élu domicile sur la plateforme facebook pour prêcher quotidiennement pour leurs ouailles. La plupart le font depuis leur église ou dans leur maison, assis dans un bureau de leur villa et entouré de tablettes et de téléphone smartphone.
Grâce à ces moyens, ils arrivent à capter des milliers de fidèles de Côte d’Ivoire mais aussi d’autres pays. Chaque jour, le programme est le même : louanges, prières, chants… La petite équipe autour du pasteur prie et bat des mains pour donner de la cadence aux chants que celle-ci exécute quand il faut donner la guérison à des malades probablement postés derrière l’écran de leur téléphone. Mais il y a aussi les bien-portants qui attendent un petit miracle financier pour se sortir d’affaire, créer un business. Le live dure généralement soixante-quinze minutes et est entrecoupé de réactions des personnes connectées.
Dons et applications de transfert d’argent
Quelques minutes avant la fin du programme de prières, le pasteur sollicite les offrandes des personnes connectées. Afin de soutenir l’Église dans sa mission, se justifie-t-il. Pour envoyer ces dons, essentiellement de l’argent, il suffit de recourir aux applications de transfert d’argent telles qu’Orange money, Mtn money, Wave ou MoMo. Mais parfois, sur les 1000 personnes connectées, seulement une vingtaine met vraiment la main à la poche. En un mois, ces dons cumulés peuvent atteindre jusqu’à 655000 francs CFA (1000 euros), une bagatelle pour le pasteur qui arbore sans gêne des montres de luxes, des chemises flambant neuves et des SUV, BMW X-3 et Range Rover dans son garage.
Ces live ont surtout pour but de fidéliser de nouvelles personnes. Alors, pour mieux les intéresser, les prédicateurs multiplient les appels au partage et montrent leur disponibilité. « Quand j’ai commencé à organiser des programmes à Paris ou à Denver par exemple, ça a été très facile. Dès que je lance sur ma plateforme qu’il y a prière tel jour, à tel endroit, il n’y a plus de place », assure le pasteur Martial Aké M’bo, bien connu à Abidjan.
Ce chef de l’Église Mission Chrétienne Réconciliation compte 120 000 followers sur Facebook uniquement. Mais son influence n’est rien à côté de celle de Camille Makosso dit le « Général », l’un des influenceurs évangéliques ivoiriens les plus connus sur les réseaux sociaux. L’ensemble de ces réseaux sociaux, facebook, instagram et Tiktok confondus afficheraient 5 millions d’abonnés en janvier 2025, affirme-t-il.
Pasteur exubérant et clinquant
L’audience est cruciale sur ces plateformes, car elle peut s’avérer lucrative. Et même s’il ne faut jamais se fier à ses déclarations, le pasteur Makosso qui n’a pas d’Eglise en réalité et qui n’hésite jamais à exhiber des liasses d’argent et son soutien au parti d’Alassane Ouattara, a récemment assuré, sur le plateau de l’émission Peopl’Emik diffusée sur la chaîne 3, avoir reçu une « dîme » de 140 millions de francs CFA (213 000 euros) de la part d’un footballeur professionnel. Cette « richesse », la plupart des pasteurs ne la cachent jamais.
C’est aussi l’attitude d’autres influenceurs évangéliques tels que Gédéon de la Tchetchouvah. Ce dernier a littéralement pu bâtir des lieux de cultes dans des conditions pour le moins opaques. Selon les rumeurs, il aurait réussi à lever d’importants fonds grâce à son influence sur les réseaux sociaux. Parmi les plus fortunés figure le pasteur Mohammed Sanogo, fondateur de la puissante Église Vases d’Honneur. Il y a aussi le youtubeur et podcasteur évangélique burundais Chris Ndikumana. Les deux hommes ont récemment organisé un énorme rassemblement de 300 000 personnes à Songon, dans l’ouest de la capitale économique ivoirienne, baptisé croisade kanguka. Sans campagne de publicité et avec la seule promesse de « miracles » et de « guérisons », des milliers de personnes ont accouru sur le lieu de la croisade.
100 millions de francs CFA
Officiellement, ce rassemblement n’aurait rien coûté aux organisateurs et aux participants. Mais sur la base du devis obtenu par nos confrères Radio France Internationale (RFI), auprès de sociétés d’évènementiel, le coût paraît énorme. Car la seule location des équipements aurait demandé au moins 100 millions de francs CFA (150 000 euros). Mais l’un des prestataires de l’évènement ne l’a pas confirmé. Il dit avoir offert « une remise » compte tenu du caractère religieux du rassemblement, sans dire le montant de sa facture. Chris Ndikumana avait, pour sa part, répété que ce sont les offrandes des croyants qui ont permis cette organisation, puisqu’aucun appel aux dons n’aurait été lancé durant l’évènement.
La raison : les ressources des Églises évangéliques demeurent un tabou, leur poids réel dans l’économie du pays aussi. Certaines églises sont pourtant de véritables entreprises comme les Vases d’Honneur, ou encore l’Église Protestante Baptiste Œuvres et Mission Internationale qui emploie un peu plus de 800 personnes.
Cette église rémunère la grande majorité de ses pasteurs à hauteur de 200 000 francs CFA par mois, en plus des avantages qui sont liés à la fonction de prêcheur. L’Eglise possède aussi des écoles de formation, un centre médical, ainsi qu’une radio et une télévision. Selon son fondateur Robert Dion, cela demande « une bonne gestion administrative et financière » et de transparence dans l’usage des dons. Le pasteur Dion n’hésite pas à tacler ses confrères qui s’illustrent sur les réseaux sociaux. « Beaucoup de jeunes Églises fonctionnent avec les réseaux sociaux, ça fait de la publicité, c’est à la mode. C’est plus facile pour attirer les gens et les inciter à donner. Souvent [sur les réseaux sociaux], on met en avant que tu vas guérir, que tu vas voyager… et dans l’euphorie, les gens donnent. Moi, à mon humble avis, je peux appeler ça de l’escroquerie ».
Contrôle et géolocalisation
Alors pour y mettre un terme, les autorités ivoiriennes ont décidé de procéder au suivi des activités des cultes. La première étape qui est en cours de réalisation consiste en un recensement de toutes les Eglises sur toute l’étendue du territoire national et leur géolocalisation. En 2018, près de 7 500 communautés religieuses avaient été dénombrées rien que dans le district d’Abidjan, dont 4 250 Églises évangéliques.
En juin 2024, l’Assemblée nationale a adopté une ordonnance qui impose aux organisations religieuses, de présenter chaque année un rapport d’activités, de déclarer leurs impôts et d’avoir un compte en banque dans un établissement financier de la place. Afin d’obliger les pasteurs à justifier leur train de vie luxueux.