Les Ivoiriens vivent mal les détournements de fonds qui s’accumulent au fil des années dans leur pays en raison de l’inflation toujours en hausse et de la stratégie gouvernementale qui mise sur la prochaine Coupe d’Afrique des Nations pour calmer les frustrations.
Bati Abouè
À dix jours de la Coupe d’Afrique des nations de football, Abidjan vient de s’offrir une mauvaise polémique sur fond de détournement de fonds publics qui ne va pas aider à soigner son image que l’organisation de la CAN était sensée polir. Depuis le début de la semaine, un rapport de la Cour des comptes qui circule en effet sur les réseaux sociaux montre que la comptabilité publique n’a reçu que respectivement 86.713 Fcfa soit 133 euros au titre de la fabrication de la carte nationale d’identité et de la carte de séjour, et 792.000 fcfa, l’équivalent de 1210 euros pour celle des passeports et des CNI pour l’année 2022.
Les deux activités ont été concédées à la Société nationale d’édition de documents administratifs et d’identification (Snedai) qui est la propriété d’Adama Bictogo, actuel président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire et un proche d’Alassane Ouattara. Déjà éclaboussée par le scandale du trafic illicite du passeport ivoirien qu’on retrouve sur la plupart des migrants qui affrontent les vagues de l’Atlantique, Snedai a pourtant continué à conserver cette activité, le gouvernement se contentant de promettre une réforme qui va contribuer à sécuriser l’émission de cette pièce vitale pour le voyage international. Le passeport ivoirien coûte 40.000F et sur cette somme, la moitié est rétrocédée à l’Etat ivoirien. Cette somme est logiquement détenue dans un compte-séquestre via deux banques nationales qui l’alimentent.
Mais visiblement, la Cour des comptes n’a pas eu de réponse satisfaisante pendant que Snedai a affirmé, dans un bref communiqué rendu public mercredi, que les quotes-parts de l’Etat ont toujours été versées conformément à la convention contractuelle en vigueur. Cette situation dans laquelle on se renvoie la balle d’un détournement de fonds publics importants agace les populations qui doivent, à partir de ce mois, se coltiner une augmentation de 10% du coût de l’électricité qui risque de faire exploser l’inflation déjà trop élevée et, en conséquence, le coût de la vie totalement insupportable pour la majorité de la population qui vit avec moins d’un dollar par jour.
Une dette problématique
En revanche, cette disparition assez cocasse des recettes de l’Etat n’est pas un malheureux épisode. Le Trésor public ivoirien a en effet de plus en plus de mal à collecter les recettes publiques à cause de la corruption endémique dans laquelle baigne le pays. Ainsi en 2022, la Côte d’Ivoire s’est retrouvée face à un déficit record de 3103 milliards, son budget prévisionnel de 4935 milliards ayant été exécuté à 8039 milliards. Bref, pour payer ses créanciers, le gouvernement est obligé d’aller emprunter sur les marchés financiers, problématisant encore plus le surendettement de la Côte d’Ivoire.
C’est dans ce contexte que les Ivoiriens se mobilisent pour recevoir la CAN qui a nécessité des financements publics record de plus de 500 milliards de Fcfa. Mais à l’approche du début des compétitions, les supporteurs ivoiriens s’inquiètent des pluies qui continuent de s’abattre sur Abidjan. La dernière fois où les précipitations avaient arrosé la pelouse du stade Alassane Ouattara, celle-ci avait été totalement inondée. Plusieurs fois refaite pour cette raison, ladite pelouse avait finalement coûté son poste à l’ancien ministre des sports, Paulin Danho, un transfuge du PDCI qui avait rallié le parti du président ivoirien pour garder son poste. Mais même les partisans de Ouattara se montrent désormais inquiets de la tournure que prend la corruption dans le pays. N’dja Boka, inspecteur vérificateur au Trésor public s’est même épanché sur les réseaux sociaux où il a dénoncé, mercredi, sa radiation non motivée de la liste des candidats au poste de Directeur général du Trésor public par le cabinet Deloitte.fr chargé de recrutement d’un haut cadre par appel à candidature. Evoquant une pratique endémique de « malversations financières excessives d’environ deux milliards dans la gestion des dépenses publiques », N’dja Boka, militant du RHDP s’est convaincu que la motivation principale de cet appel à candidature n’est pas de rechercher une expertise avérée du Trésor public où « la mauvaise qualité générale et l’absence de résultats comptables satisfaisants » sont devenus chroniques.