Entre frustrations politiques et financières, l’ancien patron de la commission électorale s’est mué en chef d’un mouvement rebelle qui occupe toute une partie du Congo et menace le pouvoir de Kinshasa avec l’appui du Rwanda. Retour sur le parcours de Corneille Nangaa, emblématique des turpitudes qui rongent la classe politique congolaise.
Barbe blanche, tenue militaire, casquette. Depuis qu’il est devenu le visage de l’Alliance Fleuve Congo/ M23 – l’organisation politico-militaire qui entend renverser le pouvoir en République démocratique du Congo et occupe depuis janvier de larges pans de l’est du territoire, notamment les villes de Goma et Bukavu -, Corneille Nangaa, 55 ans, soigne son style de maquisard. Loin, très loin de l’image de fonctionnaire besogneux et replet qu’il a laissé aux Congolais, du temps où il officiait comme président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
C’était entre 2015 et 2018, une décennie en arrière.Une éternité dans l’espace-temps de la nation-continent.
L’artisan du glissement
Chargé d’assurer le bon déroulement du scrutin présidentiel, largement financé par les bailleurs de fonds internationaux, le simple licencié en sciences économiques va suivre à la lettre les recommandations du pouvoir de Joseph Kabila qui l’a mis en place. Chef de l’Etat depuis 2001, réélu en 2006 puis en 2011, le « Sphinx» ne peut se représenter, limitation des mandats oblige.
Alors son camp organise un « glissement », auquel Nangaa participe allègrement. Retard dans l’enregistrement du corps électoral, délai de livraison des machines à voter, dispute sur la date du vote, polémique autour de la nationalité de certains candidats ou de leur droit de concourir. Tant et si bien qu’au lieu de 2016, date prévue par la constitution, les opérations électorales sont décalées de loin en loin jusqu’à décembre 2018, et le mandat de son mentor d’être prorogé de facto de deux longues années.
Un coup de génie politicien bientôt suivi d’un escamotage de haut vol.
Le parrain du «frappage électoral»
A l’issue du décompte des voix d’une présidentielle enfin organisée le 30 décembre 2018, les résultats paraissent clairs. Martin Fayulu, candidat de l’opposition unifiée arrive en tête, suivi de Félix Antoine Tshisekedi, fils d’Etienne, opposant historique, puis le candidat du pouvoir Emmanuel Ramazani Shadary. Inconcevable pour le régime, qui charge Nangaa de trouver une solution plus conforme à ses envies.
Le natif du Haut-Uele (au Nord Est du pays), devient l’architecte d’un accord totalement baroque. « Fayulu ne voulait rien entendre à une alliance ou un partage de pouvoir avec Kabila, il l’a envoyé paitre, se rappelle un proche de Nangaa. Mais Félix Antoine Tshisekedi a immédiatement accepté le deal, à lui la présidence, au parti de Kabila le parlement.» Après des jours d’incertitude, les résultats sont enfin proclamé dans la nuit du 9 au 10 janvier et le tiercé a tout bonnement été changé. Tshisekedi est officiellement investi le président de la République démocratique du Congo le 25 janvier, malgré les protestations de la Conférence épiscopale des églises du Congo, qui avait dépêché 40 000 observateurs.
Un « frappage» (un vol en argot kinois, ndr) électoral en bonne et dûe forme que revendique Nangaa. « Il avait l’habitude de parader en expliquant “C’est moi qui ait fait la mayonnaise”, se rappelle un ancien collaborateur. Et il voulait sa récompense, il se rêvait en Premier ministre ou en gouverneur de la banque centrale».
Sanctions américaine pour «corruption»
Las, l’ambitieux Corneille, tout parrain de l’élection de Felix Tshisekedi qu’il est, se retrouve avec un bien encombrant fil à la patte. Le département du Trésor américain le place sous sanctions pour «corruption», soupçonné d’avoir détourné près de 100 millions d’euros et « entrave au processus démocratique» le 21 mars 2019. Des mesures qui lui interdisent l’entrée sur le territoire américain, de manipuler des dollars quand l’économie du pays est presque entièrement dollarisé et dès lors d’occuper un quelconque poste officiel.
« Cela a créé en lui une énorme déception, se remémore un ex de la CENI. Il pensait être investi d’une mission, le grand pacificateur, et voulait être dûment récompensé par cela. Et il ne comprenait pas que Félix ne fasse pas tout pour que les sanctions soient levées. Et ce n’était que la première de ses frustrations….»
A cet empêchement politique s’ajoute un désagrément financier. Durant son mandat à la tête de la commission électorale, Nangaa est parvenu à acquérir des droits miniers dans sa région natale, riche en minérais précieux, et compte bien les faire fructifier ou les vendre au plus fort. Miracle et turpitudes de la politique congolaise, « la propriété de ces mines a été transférée au Qatar qui a souhaité investir au Congo », souligne une source gouvernementale. Une compensation de 20 millions de dollars est prévu pour le malheureux Corneille. Elle n’arrive jamais à ses comptes. « L’argent a bien été retiré à la banque, mais des conseillers de Félix l’ont intercepté, sans que le président soit au courant, détaille-t-on à la présidence. Il a même dépêché François Beya, alors son tout puissant patron des services de sécurité pour savoir ce qui s’était passé. Beya a donné les noms des fautifs….et peu après il a été faussement accusé de coup d’Etat et a quitté le pays. Cette affaire est maudite… Il y a même un directeur de banque qui est mort.»
Traitement familial
Sans poste officiel (et rémunérateur), délesté de son pactole minier, Nangaa se voit tout de même « traité » par le pouvoir. Un proche devient ministre de l’Agriculture, son propre frère gouverneur du Haut-Uélé. « Le président a pensé que ses proches le traiteraient, mais il n’a pas saisi que Nangaa se prenait pour un homme d’Etat qui ne voulait pas dépendre de ses intimes pour subsister ou faire des affaires, peste un ancien ministre. Il se voit en patron, voire en messie du Congo.»
Des braises sur lesquelles le gouvernement congolais est persuadé qu’a soufflé Josheph Kabila, rebaptisé le grand marionnettiste. « Il a fait croire à Nangaa qu’il était menacé de mort, souffle un proche de la présidence. Si bien qu’en décembre 2023, Nangaa a fui au Kenya. Là bas, il a été pris en charge par les services rwandais de Paul Kagame, qui avaient besoin de congoliser leur opération militaire dans l’Est du pays.» Et voilà Corneille bombardé porte-parole et figure politique du de l’AFC/M23 qui endosse le costume de sauveur de la RD Congo en assurant que son objectif est de renverser le pouvoir de Kinshasa.
L’otage de Paul Kagamé
Mieux, l’ex patron de la CENI a revendiqué officiellement la combine électorale de l’élection de 2018 sur X en septembre 2023, avant de réitérer le 30 janvier 2025, lors d’une conférence de presse organisée à Goma, tombe aux mains de ses hommes.…. En parlant de Felix Tshisekedi, le désormais chef rebelle se fait lyrique. « Si j’ai créé le monstre, c’est à moi de le défaire.» Tout un programme, sans guère de possibilité de retour en arrière.
« Nangaa, on peut presque le voir comme un otage désormais. Il est prisonnier de Kagamé qui est le vrai patron de la rebéllion et de la situation », regrette un de ses anciens partenaires. « Si la guerre prend fin, il ne pourra pas revenir à Kinshasa. Les Kinois ne lui pardonneront pas les morts, ses propos, même s’il bénéficie d’une amnistie.»
Pour l’heure Nangaa demeure condamné à mort pour haute trahison. L’est de la République démocratique du Congo est toujours occupée. Et la population contrainte d’assister à cet étrange conte, où l’homme qui lui a volé son élection et fait président Félix Tshisekedi, entend désormais la sauver, en étant financé et équipé par un pays étranger le Rwanda. Au prix de milliers de victimes.