Congo, nos révélations sur le document interne des rebelles du groupe M23

Copyright 2010 Peter Greste

Larvée depuis au moins deux décennies, la crise à l’est de la République démocratique du Congo s’est imposée pour le pire au coaur de l’actualité de 2025. Notre site Mondafrique a mis la main sur le document interne de la rébellion congolaise, le groupe 23. Ce texte est plein d’enseignement sur la vision politique de l’alliance politico-militaire appuyée par le Rwanda et qui menace le pouvoir de Kinshasa.

 

Il aura fallu qu’à la catastrophe humanitaire de 7 millions de réfugiés qui attendent depuis des années un meilleur sort, la chute des grandes villes de Goma, puis de Bukavu et la conquête de pan entiers du territoire par un groupe politico-militaire, l’Alliance Fleuve Congo – M23, soutenu par un Etat étranger et son armée, le Rwanda, pour que les Grands Lacs se réinvitent au banquet de la géopolitique mondiale. Et que les exégètes se replongent dans le théâtre en 1994 du dernier génocide du XXe siècle, au pays des milles collines, petite contrée devenu un voisin si envahissant pour le gigantesque Congo, Etat continent grand comme l’Europe occidentale.

Minerais, guerre ethnique et corruption

Riches en minerais et terres rares essentielles à la révolution technologique ( chaque ordinateur, téléphone portable, serveur a un peu de Congo en lui) que lorgnent tant les multinationales, la Chine, les Etats-Unis  que les Etats limitrophes, le sous-sol congolais est victime de son opulence. Un pillage presque institutionnalisé qui n’explique qu’en partie la pérennité du conflit armée.

Se greffe à cette donnée bassement économique, une discrimination violente et réelle de la part du pouvoir de Kinshasa des populations rwandophones congolaises, accusés d’être une cinquième colonne du régime de Kigali, ainsi qu’une ancienne et durable complaisance des gouvernements congolais successifs à l’égard des auteurs du génocide rwandais, qui se sont réfugiés derrière ses frontières.

Ajoutez à tous ces éléments une corruption quasi-proverbiale des élites congolaises, une faiblesse endémique des structures étatiques – armée comprise- et voilà un bref aperçu de ce que les diplomates cherchent à désamorcer pour éviter un embrasement régional. Une quadrature du cercle équatoriale à laquelle, comme au Proche-Orient, Etats-Unis et Qatar ont choisi pour des raisons stratégiques de s’atteler.

Le Qatar, un utile médiateur

 

A la surprise générale, les présidents congolais et rwandais, Etienne Tshisekedi et Paul Kagame se sont même rencontrés le 18 mars à Doha, pour l’ouverture de pourparlers autour d’un cessez-le-feu. Depuis, les négociations se poursuivent entre les facilitateurs qataris et les trois parties, la RD Congo, l’AFC-M23 et son parrain le Rwanda. Des discussions particulièrement secrètes et pour l’heure, sans guère de résultat visible. Peut-être en raison de quelques angles morts de la part des belligérants.

Mondafrique est en effet parvenu à mettre la main sur un document d’une vingtaine de pages Sous le très universitaire intitulé « LES CAUSES PROFONDES DU CONFLIT ENTRE L’ALLIANCE FLEUVE CONGO (AFC/M23) ET LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO », les nouveau maîtres de Goma et Bukavu ne se livrent pas seulement à un plaidoyer pro domo. Ils livrent un petit cours d’histoire récente du pays, tout en évitant soigneusement de mentionner certaines responsabilités.

Remontant à 2006 et les accords de Sun City (Afrique du Sud) qui mirent fin à la 2e guerre du Congo, aussi nommée la première guerre mondiale africaine, le groupe armée se fait féroce. « Depuis 2003, une série d’accords internationaux, soutenus par l’Union africaine (UA), les Nations-Unies (ONU), l’Union européenne (UE) les États unis (USA) et d’autres acteurs, a tenté de ramener la paix en RDC. Tous ont été systématiquement sabotés par le gouvernement congolais, qui a fait preuve d’un mépris cynique pour ses engagements, alimentant la méfiance et légitimant les revendications de tous les mouvements de résistance, dont le dernier en date est  l’AFC/M23.» Et de lister le gentleman agreement de 2006, les actes d’engagement de Goma (2008) ou l’accord de Nairobi (2013).

Et encore: « Cet échec a conduit à la résurgence du M23 déterminé à obtenir justice, rejoint par d’autres compatriotes congolais lassés par l’intransigeance et la gouvernance chaotique du régime de Kinshasa. Des politiques, des membres de la société civile, des militaires, des policiers et des Congolais de tout horizon et de toute tendance, ont formé une grande plateforme dénommée Alliance Fleuve Congo  (AFC), justifient les rebelles. Ces échecs répétés sont le fruit d’une absence criminelle de volonté politique de la part de Kinshasa, marquée par des trahisons, des assassinats ciblés, et un mépris total pour les garants régionaux et internationaux. »

La RDC, une gouvernance catastrophique

Naturellement le gouvernement central est accusé de tous les maux. « Népotisme», «tribalisme»,  «centralisme», «La gouvernance catastrophique de la RDC, sous la férule d’un régime corrompu et autoritaire, est au cœur du conflit. Les pratiques systémiques du gouvernement Tshisekedi – corruption, tribalisme, violations répétitives de la Constitution – ont plongé des millions de Congolais dans la misère et l’exclusion.» Pire selon les insurgés, le régime du président Tshisekedi serait illégitime en raison « de fraudes massives lors des élections de 2018 et 2023», et «  attise les tensions ethniques pour consolider son pouvoir, au mépris de la cohésion nationale », si bien que « les dysfonctionnements politiques de la RDC, marqués par l’illégitimité et l’autoritarisme, alimentent le conflit en marginalisant toute voix dissidente.»

Ce document présente le soulèvement armé comme une révolution patriotique. « Le conflit entre l’AFC/M23 et le gouvernement congolais n’est pas une simple rébellion, mais une crise existentielle de l’État-nation congolais, précipitée par un régime corrompu, autoritaire et incapable. Les échecs des accords passés, la complicité de la communauté internationale, la gouvernance désastreuse, l’insécurité ethnique, l’illégitimité politique, la crise des réfugiés et le pillage économique ont plongé la RDC au bord de l’abîme.»

Pour partisan qu’il soit, le plaidoyer  – comme tout bon argumentaire – repose sur des arguments tout à fait solides, mais parfois frappés de cécité.

L’État rwandais absent

Un premier élément tout à fait étonnant est l’absence totale de mention de l’Etat rwandais et de son rôle dans les divers conflits armés qui ont jalonné l’histoire de l’Est du Congo depuis 20 ans, tout comme dans le pillage des ressources congolaises. Un énorme et compréhensible  angle mort de la part des auteurs de la note, largement soutenus par Kigali.

Un deuxième détail peut prêter à sourire quand il s’agit d’évoquer l’élection à la présidence de Félix Tshisekedi en 2018. Comme l’a rappelé Mondafrique, l’architecte du chapardage électoral qui a permis l’accession à la magistrature suprême de Fathi, pourtant arrivé 2e du scrutin, n’est autre que Corneille Nangaa. L’actuel dirigeant de l’AFC-M23 était alors président de la commission électorale nationale indépendante qui a bidouillé les résultats….

 

L’ancien président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila (au premier plan à droite), rencontre des leaders religieux dans sa résidence de Kinyogote, située dans la partie de Goma contrôlée par le M23, dans l’est du Congo, le jeudi 29 mai 202
L’ancien président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila (au premier plan à droite), rencontre des leaders religieux dans sa résidence de Kinyogote, située dans la partie de Goma contrôlée par le M23, dans l’est du Congo, le jeudi 29 mai 202

Surtout, un nom manque tout au long des 20 pages qui étrillent la gestion du Congo des 20 dernières années : Joseph Kabila. L’ancien chef de l’Etat a pourtant été au pouvoir de 2001 à 2019, et s’avère dès lors en grande partie l’incarnation de ce pouvoir vilipendé par l’AFC-M23 pour le peu de cas qu’il a fait des accords de paix, le délabrement des institutions, la paupérisation de la population, la discrimination des populations rwandophones ou encore le trucage des élections. Un oubli qui confine à l’amnésie volontaire.

L’ex « Raïs» de Kinshasa est accusé depuis des mois par le nouveau pouvoir d’être l’un des commanditaires de la rébellion. Depuis avril, sa formation, le Parti pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) a été suspendue. Ses domiciles ont été perquisitionnés, son immunité de sénateur à vie levée. En réponse, Kabila a lancé une véritable adresse à la nation sur les réseaux sociaux, avant de visiter en toute tranquillité la ville de Goma la dernière semaine de mai, accueillie à bras ouvert par les rebelles et leur chef supposé Corneille Nangaa.

Une forme de consécration. 

 

 

 

 

 

 

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)