Ce que je pourrais donner comme conseil à ceux qui voudraient voyager dans des pays de la Cedeao comme le Ghana, est de le faire en avion ou en car de transport public. Mais si vous le faites en car, laissez le passeport pour ne montrer que la carte d’identité. Vous aurez seulement à descendre du car pour traverser la frontière à pied pendant que le conducteur règle les formalités de traversée de la frontière. Si vous présentez un passeport vous paierez 1000 Francs à chaque coup de tampon.
Venance Konan
A l’occasion de l’enterrement d’un parent à Ouidah au Bénin, j’ai décidé de me rendre dans ce pays par la route en voiture avec trois amis. Ce voyage par la route, nous en rêvions depuis longtemps. Juste pour nous donner du bon temps, flâner dans les pays voisins. J’avais déjà fait la route d’Abidjan à Lagos plusieurs fois lorsque j’étais jeune journaliste, mais cela datait de plus de vingt ans, et si je me rendais souvent au Bénin et au Togo ces dernières années, c’était par avion, et je ne connaissais plus l’intérieur de ces pays. Pour ce qui était du Ghana, je ne m’y étais pas rendu depuis au moins quinze ans.
Nous nous renseignâmes et l’on nous dit de prendre une « assurance et une carte grise CEDEAO » pour la voiture, ainsi qu’un permis international pour le conducteur. Nous fîmes ces formalités, revisitâmes la voiture et prîmes la route dans la matinée du 25 novembre. Nous achetâmes du pain, du fromage, des fruits et de la charcuterie pour nous restaurer en route, parce que nous n’avions pas confiance en la nourriture ghanéenne. Si à Accra on trouve de bons restaurants de cuisine internationale, pour le reste, la nourriture ghanéenne n’a jamais eu bonne réputation en Côte d’Ivoire. Il faut dire que les pauvres ont été colonisés par les Anglais dont la cuisine n’est pas connue pour être parmi les meilleures du monde.
Mises en garde
Avant de quitter Abidjan, j’envoyai un message à un groupe d’amis avec qui j’échangeais souvent sur WhatsApp pour les informer de mon voyage. Voici l’échange que j’eu avec quelques-uns d’entre eux qui avaient récemment fait cette route.
Francis : « vive le racket de la police ghanéenne. Tu vas apprécier encore une fois la réalité de la libre circulation des biens et des personnes au Ghana. »
Moi : « quel est le tarif là-bas pour chaque contrôle ? »
Francis : « c’est à la tête du client et selon le nombre de cylindres de ta bagnole. S’ils décident de te coller un excès de vitesse, ils peuvent te coller jusqu’à 40000 FCFA négociable (attention : 20 mn de négociation pour passer à 20000 si tu prononces quelques mots twi ou si tu parles anglais. »
Moi : « Ils prennent le CFA ? »
Francis : « ils préfèrent de loin le CFA, nos frères Ghanéens, malgré la rhétorique de la fierté sur le Cedi, monnaie de souveraineté. Paradoxal non ? »
Moi : « j’ai fait la monnaie de 20000 francs en billets de 1000 francs. Ça peut aller ? »
Ismaël : « Oui, ça pourrait aller. C’est déjà pas mal, mais c’est le terrain qui décide. »
En route pour Noé, le poste frontière ivoirien
C’est donc avec ces mots pas très rassurants que nous avons pris la route de Noé, le poste frontière ivoirien. Rien à signaler jusqu’à destination. Aucun contrôle de police, excellente route. Nous atteignons Noé vers 11 heures. Nous traversons le poste frontière ivoirien sans être arrêtés ou contrôlés, et nous sortons du territoire ivoirien.
Nous traversons un pont sur le fleuve Tanoé et nous voici à Elubo, au Ghana. A l’entrée du poste de contrôle nous sommes abordés en français par un jeune homme en civil. Nous lui expliquons que nous allons à Accra. Il se propose aussitôt pour nous aider à faire les formalités. Nous devons payer un laisser-passer, mille francs chacun pour nos cartes d’identité, payer pour la vaccination, payer des autocollants rouges à fixer à l’arrière et à l’avant de la voiture, un extincteur, un triangle…
« Vous ne nous prenez pas pour des pigeons ? » « Oh, se récuse-t-il. Si vous ne payez pas tout ça, ils vous embêteront sur la route. Et la route est très longue. Ce sera dix mille francs à chaque contrôle. Faites-moi confiance. Tout le monde me connaît ici » Nous finissons par céder après quelques hésitations et lui donnons l’argent ainsi que tous les papiers de la voiture pour aller faire es formalités. Il nous demande de rester dans la voiture. Nous l’observons faire des allers retours entre différents bureaux et revient nous donner tous les papiers, avec le fameux sésame, le laisser-passer. « Avec ça vous ne serez plus embêtés. » Juste avant de sortir du poste, un policier ghanéen contrôle les papiers et nous demande de partir. Notre intermédiaire nous demande de lui donner quelque chose. Nous lui remettons 1500 francs pour sa peine et prenons la route. Nous faisons les calculs. Nous avons dépensé pas loin de cinquante mille francs.
La route est excellente au début mais complètement dégradée et en travaux un peu avant Takoradi, et de Winneba jusqu’à Accra. Mais à ces désagréments que l’on pourrait dire conjoncturels, il faut ajouter la présence des policiers. Après Winneba nous rencontrons un barrage policier pratiquement tous les deux kilomètres, parfois même moins. Nous finissons par demander à un policier s’il y a une raison à une telle présence de policiers sur la route. Il nous explique qu’à cause des travaux qui ralentissent la circulation, il y a eu de nombreuses attaques de bandits sur cette route. Et c’est en roulant au pas que nous atteignons Accra aux environs de 21 heures, après neuf heures de route. Pour 356 kilomètres. Si nous avons dû nous arrêter à chaque barrage de policier, une seule fois ils nous ont exigé 2000F. Les deux autres fois où nous avons donné des billets de 1000 F, ils nous demandaient simplement « de quoi boire de l’eau. »
Nous reprenons la route d’Aflao le lendemain tôt le matin. Des travaux sur la route ralentissent encore la circulation pour sortir d’Accra. Mais par la suite la route est excellente jusqu’à la frontière. Mais il y a autant de barrages de police qu’entre Elubo et Accra. Au dernier contrôle de police, un jeune policier prend tout son temps pour contrôler tous les papiers, regarder dans nos bagages, l’intérieur de l’habitacle, visiblement à la recherche de la faute. Et il remarque que Bamba le conducteur porte des sandales en plastique. « Il est interdit de conduire avec ce genre de chaussures ici au Ghana. Vous êtes en état d’arrestation. » Nous pensons à une blague et tentons de l’amadouer. Il reste de marbre. Et ordonne au conducteur de descendre. Bamba le suit sous un arbre où l’attend son collègue. Après de longues minutes de négociations, il demande à voir le propriétaire du véhicule. Je vais les voir et négocie, supplie. Celui qui a l’air d’être le chef finit par lâcher : « j’accepte de pardonner votre faute, mais vous donnez quoi ? ». Nouvelle négociation. Je finis par lâcher 100 cedis, soit environ cinq mille francs CFA. Au total nous avons dépense moins de 10000 francs pour traverser le Ghana. Nous nous disons que mon ami Francis avait exagéré un peu, ou n’avait pas eu de chance lui, lorsqu’il traversait le pays. Nous déchanterons au retour.
Les péages à l’entrée du Togo
Sortir du Ghana et entrer au Togo est aussi une autre épreuve. Il faut payer pour le laisser-passer, les vaccinations (l’agent voulait nous faire payer 5000 F chacun pour défaut de vaccin de la méningite. Nous avons négocié un forfait à 5000F), les cartes d’identité, etc. Au moment où nous croyions en avoir fini, après plus d’une heure de tracasserie, au moment de démarrer, un policier surgit d’on ne sait où et se plante devant la voiture en clamant « police anti-drogue. Vous devez payer 5000F. » « Mais pourquoi ? Nous ne transportons pas de drogue. » « Dans ce cas je vais fouiller vos bagages. » Nous comprenons qu’il va nous perdre encore du temps et négocions pour payer 3000F. Combien avons-nous payé là ? Nous ne savons plus. Nous nous perdons dans les calculs.
La traversée du Togo est rapide. La distance entre la frontière avec le Ghana et celle avec le Bénin est d’environ 50 km. Et aucun contrôle policier. Il faut encore payer avant de pouvoir sortir du Togo. Le passage au Bénin est le plus rapide. Moins de quinze minutes. Pas d’intermédiaire douteux, pas de policiers véreux, les prix à payer sont affichés. Et aucun contrôle de police jusqu’à Ouidah, notre destination, puis jusqu’à Cotonou où nous allons le lendemain saluer des amis.
Au retour, trois jours plus tard, c’est la même galère pour entrer au Togo, en sortir et entrer au Ghana. Et toujours ce policier anti-drogue qui surgit lorsque vous croyez que tout est fini. Cette fois-ci il ne réclame que 1000F.
Les choses se gâtent au Ghana. D’abord nous tombons sur le policier qui nous avait verbalisé pour conduite avec des sandales en plastique. Nous le lui rappelons, il s’en souvient et en rigole. Puis nous demande de lui donner de quoi boire. Mais après lui, au contrôle suivant, on nous demande le triangle et l’extincteur. Nous les montrons. Le policier nous explique qu’il faut deux triangles, un à placer devant la voiture et un autre derrière, et que notre extincteur n’est pas homologué. Et il nous montre sur son téléphone des photos de l’extincteur règlementaire, de couleur rouge. Le nôtre est jaune. Il nous déclare en état d’arrestation, et fixe l’amende à 50 000 F. « Vous êtes des Ivoiriens et je sais que vous pouvez payer. » Longues négociations pour s’accorder sur 100 cedis. Est-ce lui qui a prévenu au téléphone ses autres collègues que nous rencontrerons ? Ils nous demandent tous les deux triangles et l’extincteur règlementaire. Et la barre est toujours fixée à 50000F ou 30000F. Nous perdons un temps fou à négocier à chaque fois. Un policier refuse les cedis et exige 10000 francs CFA que nous finirons par payer. Pour ne pas perdre plus de temps. Nous lui demandons de nous indiquer où nous pourrons acheter ce fameux triangle et cet extincteur. Il nous dit que ce n’est pas son job de nous le dire. Nous allons fouiller les magasins de la petite localité et finissons par en trouver. Nous nous retrouvons donc avec deux extincteurs et deux triangles. Et comme il fallait s’y attendre, plus aucun policier ne nous les demandera.
Des embouteillages démentiels
Nous traversons Accra en fin d’après-midi dans des bouchons démentiels. Plus de trois heures. Et nous mettrons encore près de quatre autres heures pour atteindre Winneba, à moins de cent kilomètres, où nous passerons la nuit. A Elubo, il faut évidemment payer pour passer en Côte d’Ivoire. Nous décidons de nous débarrasser de nos derniers cedis qui sont inutilisables chez nous. Le policier ne veut pas les prendre. Il exige des Francs CFA. Nous ne cédons pas et il finit par les prendre. Mais il nous faudra payer encore pour les vaccinations.
Nous sortons enfin du Ghana. Et à notre grande surprise, nous ne subissons aucun contrôle lorsque nous traversons notre poste frontière. Et ce, jusqu’à Abidjan Est-ce parce que notre voiture porte une immatriculation ivoirienne ? Est-ce à dire que nous aurions pu être de dangereux terroristes, transporter n’importe quoi ? Après toutes les tracasseries subies au Ghana, cela nous semble complètement irréel.





























