Cette jeunesse qui, à Madagascar et au Maroc, brandit le manga japonais Monkey Luffy

Le fait que nombre de ces jeunes « révolutionnaires », pour la plupart manifestant dans le cadre de mouvements « gazeux », à l’organisation minimale, brandissent dans les rues de Katmandou, de Casablanca ou d’Antananarivo la même effigie d’un manga japonais, Monkey Luffy -personnage rêvant de devenir le roi des pirates-, n’est sans doute pas anodin : il sert de symbole visuel à une cause commune que les réseaux sociaux amplifient et argumentent.
 
Une chronique de Bruno Philip
 
 
Philippines, Népal, Indonésie : la jeunesse se révolte contre la corruption et le népotisme sous la bannière "One Piece"
Philippines, Népal, Indonésie : la jeunesse se révolte contre la corruption et le népotisme sous la bannière « One Piece »
 
Une jeunesse mondialisée défilant contre les pouvoirs en place, s’insurgeant contre les mêmes maux et affichant les mêmes exigences : à rebours des tendances nationalistes en cours dans de nombreux pays, à commencer par l’Europe, les membres de la « génération Z » ( des personnes nées après 1995) semblent s’être récemment donné le mot, au niveau mondial, et sont descendus dans les rues de leurs villes, de l’Indonésie au Maroc en passant par Madagascar et le Népal. Comme s’il existait désormais une « internationale » des revendications de la jeunesse, les mêmes causes de leurs frustrations provoquant les mêmes effets : une colère planétaire.
 
Le bilan de ces explosions populaires est lourd: 72 morts en septembre au Népal, 22 à Madagascar et 3 au Maroc
 

Katmandou, la corruption au coeur  

 
 
À chaque fois les forces de l’ordre ne savent pas comment répliquer, dépassées par ces bouffées de violence qui ont pris de court les autorités. À Katmandou, les jeunes ont défilé en septembre contre une élite monopolisant le pouvoir depuis les avancées démocratiques du début des années 90 et se sont révoltés contre les inégalités croissantes entre les familles des ministres ou des députés et le reste de la population. 
 
Auparavant les jeunes Indonésiens avaient organisé de violentes manifestations dans Djakarta et d’autres villes après avoir appris les indemnités faramineuses de logement attribués aux députés : dix fois le salaire minimum en vigueur dans l’archipel! Même chose aux Philippines, où le train de vie des proches de capitaines d’industrie ou des politiciens a fait scandale , poussant  des milliers de personnes à défiler dans les rues de Manille en septembre.

Madagascar, la pénurie d’eau en accusation

 
Le jeune Mi-Kolo, étudiant, devenu l'icône des manifestations des Zen Z, à gauche, et le fils du président Rajoelina à droite ‎<Ce message a été modifié>
Le jeune Mi-Kolo, étudiant, devenu l’icône des manifestations des Zen Z, à gauche, et le fils du président Rajoelina à droite ‎
 
 
Les émeutes qui viennent de se produire  à des milliers de kilomètres plus à l’ouest, à Madagascar et au Maroc , ont les mêmes causes , ou presque : à Madagascar, où les jeunes demandent la démission immédiate du président Andry Rajoelina, ce sont les services publics en déshérence, notamment l’insuffisance en eau et une alimentation en électricité insuffisante, qui ont mis le feu aux poudres.
 
Idem au Maroc, où les fonds pharamineux alloués en prévision de la Coupe du monde de football 2030 ont été déboursé au détriment des secteurs de l’éducation et de la santé. Les jeunes exigent le départ du premier ministre Aziz Akhannouch, deuxième fortune du pays.
 
Ainsi que vient de résumer le New York Times, « toutes ces protestations sont les dernières d’une série de manifestations menées par les jeunes à travers le monde ces dernières semaines qui, si elles ne semblent pas liées entre elles, reflètent la colère croissante des jeunes face à la corruption gouvernementale et aux opportunités économiques limitées. Ces mouvements ont pris de l’ampleur sur les réseaux sociaux, exploitant les angoisses partagées et incitant les gens à manifester »‘

Le Maroc, la coupe du monde contestée

 
 
Le grand quotidien new yorkais explique que « les jeunes Marocains sont confrontés à des pressions économiques difficiles, le taux de chômage des moins de 25 ans s’élevant à 36,8% selon l’agence nationale de la statistique. » Dans un tel contexte, poursuit le « NYT », « la décision du gouvernement d’investir massivement dans la préparation de la Coupe du monde, que le Maroc co-organisera avec le Portugal et l’Espagne, a attisé la colère des manifestants : ces derniers ont scandé des slogans critiquant les dépenses du gouvernement et les clubs de supporters de certaines équipes professionnelles ont déclaré qu’ils n’assisteraient pas aux matchs dans les stades nouvellement construits ou rénovés ». 
 
Lors de ces manifestations qui se sont déroulés dans des villes aussi diverses que Rabat, Casablanca, Tanger ou Agadir, « des slogans tels que ‘la santé avant tout! on ne veut pas de la coupe du monde’!’ ont été scandés », rapporte de son côté le Financial Times« Ces manifestations sont apparemment sans leaders », ajoute le quotidien de la « City » , « mais sont encouragés par un groupe de jeunes anonymes se faisant appeler « genZ 212, en référence à la jeune génération et à l’indicatif du Maroc ». Comme si, dans le royaume chérifien, les jeunes se réclamaient certes d’un mouvement mondial, mais tout en exprimant avec virulence qu’il s’agit bien là d’une lutte très marocaine…
 
La mondialisation des esprits n’empêche pas que le terreau des rébellions reste lié à des contestations propres aux Nations.