Jamais dans toute son histoire le Burkina Faso n’avait vécu autant de massacres provoqués pour la plupart par les groupes djihadistes sans que la junte militaire au pouvoir semble trouver les ripostes appropriées.
Depuis 2015, les gouvernements qui se sont succédé au Burkina Faso luttent contre une insurrection islamiste qui se propage depuis le Mali voisin, et qui a fait des milliers de morts et provoqué le déplacement forcé de près de deux millions de personnes. Les combats se sont intensifiés ces dernières années, au point que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda, et, dans une moindre mesure, l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) contrôlent désormais jusqu’à 40 % du territoire du Burkina Faso, selon la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’augmentation du nombre de victimes civiles et militaires et la perte de territoires tenus par le gouvernement ont provoqué deux coups d’État militaires au Burkina Faso depuis 2022.
« Les groupes armés islamistes font des ravages au Burkina Faso en attaquant des villages et des villes et en commettant des atrocités contre les civils », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, Directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les autorités de transition devraient travailler avec les organismes régionaux et les gouvernements préoccupés pour fournir une meilleure protection et une assistance renforcée aux personnes en danger. »
Un article de Leslie Varenne
L’attaque de Barsalogho revendiquée par les djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM, ou encore GSìm en français) survenue le 24 août 2024 aurait fait entre 200 et 600 victimes selon les différentes sources. Cette tragédie est d’autant plus déchirante qu’elle aurait pu être évitée.
À ce drame s’ajoutent des dizaines d’autres, pas un jour ne passe sans que des morts civils et militaires ne soient enregistrés. Le pays s’enfonce dans la crise sécuritaire en raison d’une stratégie politico-militaire absurde où l’incohérence le dispute à l’arrogance.«
Le plus grand massacre de civils de l’Histoire du Burkina
Barsalogho, le drame de trop
Quelle mouche a piqué le Président Ibrahim Traoré qui a décidé de faire creuser des tranchées autour de Barsalogho ? Une idée insensée, en effet comment imaginer qu’un fossé aurait permis de livrer des combats contre les terroristes et libéré la ville ? Le Burkina Faso n’est ni Verdun, ni l’Ukraine, ce pays est confronté à un conflit asymétrique et non à une guerre de haute intensité comme semble le penser le capitaine Traoré. Le plan était d’autant plus aventureux que cette commune est déjà sous blocus djihadiste depuis deux ans. Les populations, qui connaissent le danger de s’aventurer hors de la commune ont été enrôlés de force par l’armée pour participer aux travaux à 3 kilomètres de la ville. En prime, selon le Collectif justice pour Barsalogho « l’opération n’a pas été préparée avec minutie et tout le sérieux qu’elle exigeait surtout dans cette zone rouge. » Aucun appui aérien n’était prévu pour protéger les civils qui participaient aux travaux, mieux les drones burkinabè étaient en mission dans le Nord du Mali, pour prêter main forte aux autorités de Bamako en conflit avec les rebelles touaregs et alliés. Pire encore, pendant toute la durée de l’attaque qui a duré plusieurs heures aucun renfort n’est venu, alors que la ville n’est qu’à 140 kilomètres de Ouagadougou. En résumé : un fiasco total aux conséquences humaines dramatiques…
La politique de l’autruche
Par l’ampleur du nombre de victimes, la tragédie de Barsalogho a réveillé une communauté internationale endormie sur la situation sécuritaire au Burkina Faso. Le Conseil de Sécurité a condamné « les attaques terroristes odieuses qui ont fait des victimes civiles au cours des derniers mois. » En effet, au cours des dernières semaines, le JNIM a redoublé d’activité dans le pays au point qu’il est parfois difficile de faire le décompte des pertes civiles et militaires.
En dix jours, il y a eu au moins une dizaine d’autres attaques, dont une dans une église qui a fait 26 morts à Kounla dans le Centre-Ouest, une autre contre un poste de Volontaires pour la Défense de la patrie à Bourzanga dans le Centre-Nord, une autre à Yargatenga dans le Centre-Est, prouvant ainsi que le JNIM opère partout et qu’aucune région n’est véritablement épargnée. Face à ces échecs en cascades, le pouvoir s’enfonce dans le déni en démentant parfois la réalité ou en essayant de la cacher autant que faire se peut. Ibrahim Traoré se mure dans le silence et n’organise aucun deuil national après ces tragédies en séries. Casser le thermomètre n’a jamais fait descendre la fièvre, au Burkina Faso la température augmente même dangereusement.
Ibrahim Traoré dans le viseur du JNIM
Comment comprendre ce regain d’activité et ses assauts tous azimuts de la part du groupe dirigé par Iyad Ag Ghali ? Selon plusieurs sources différentes et fiables de la sous-région, Ibrahim Traoré et ses stratèges auraient négocié avec le JNIM au début de l’été, puis n’auraient pas tenus les engagements pris. Comme toujours dans ces cas de non-respect du « deal » les attaques des djihadistes redoublent.
C’est précisément ce qui est arrivé à l’ancien président Roch Marc Christian Kaboré, qui après avoir fait un pacte avec le JNIM pour avoir un répit sécuritaire avant sa réélection de novembre 2020 avait rompu unilatéralement l’accord une fois bien réinstallé dans son fauteuil. La suite est connue : multiplications des attaques jusqu’à celle du détachement d’Inata en novembre 2021 qui a fini par emporter son pouvoir. Ibrahim Traoré s’est-il cru plus malin ? Pendant qu’il joue avec les allumettes, le Burkina Faso n’en fini plus de brûler.