Ces arrivistes sans états d’âme devenus l’ossature du régime centrafricain

Des hauts gradés peu formés aux trajectoires remarquables, des juristes pervertis, des hommes d’affaires corrompus ou de troubles conseillers de l’ombre constituent le coeur du régime centrafricain en symbiose avec le pouvoir exécutif. Soit un système informel où les hauts responsables « de confiance » sont privilégiés pour garantir la loyauté au régime. L’influence croissante de réseaux internes ont créé un terreau propice à ces promotions « hors-cadre », au détriment de la cohésion et de la crédibilité de l’institution militaire et des rouages du système politique.
 

Le Colonel Jules Wananga, l’homme des basses oeuvres

 
Ce haut gradé est un élément tapi dans l’ombre d’un appareil sécuritaire tribalisé où la garde présidentielle joue un rôle de verrou du régime
 
 
Peu de Centrafricains connaissent son visage, mais dans les cercles sécuritaires de la capitale, son nom inspire méfiance et crainte. Le colonel Jules Wananga est l’un des piliers de la garde présidentielle, un officier dont l’ascension est intimement liée à celle de Faustin-Archange Touadéra, qui l’a promu lorsqu’il était Premier Ministre de Bozizé
 
À l’origine, Wananga était gendarme. Il a intégré assez tôt les rangs du Groupement spécial chargé de la protection républicaine (GSPR), l’unité d’élite chargée de la sécurité du chef de l’État. D’abord simple garde rapproché, il s’est imposé par sa loyauté et sa capacité à naviguer dans les arcanes du pouvoir. 
 
Le colonel Wananga dirige l’unité de la garde présidentielle affectée spécifiquement à la résidence privée de M. Touadéra. Cette unité est chargée de la sécurité spéciale et de la protection rapprochée du président et de sa résidence. Elle opère principalement à Bangui et dans ses environs, y compris à Damara, ville natale de Touadéra, mais peut être déployée pour des opérations spéciales en dehors de la capitale. Elle joue le rôle de police privée du président, qualifiée par certains témoins de « Gestapo du régime ».
 
Cette unité est considérée comme la plus tribalisée des unités de la garde présidentielle, composée majoritairement de membres Ngbaka-Mandja. Plus largement, Wananga joue un rôle clé dans le recrutement ciblé de jeunes Ngbaka-Mandja dans l’armée, afin de constituer une force privée fidèle au président. Initialement, cette unité de Wananga relevait du général Alfred Service, dit Lapadjo. Mais la relation entre les deux hommes était mauvaise et Wananga après avoir contribué à l’évincer ne reçoit rapidement plus que ses ordres de Touadéra lui-même et de Dmitri Perfilev, représentant du groupe Wagner en RCA. Deux autres figures du régime en place, Piri et Bireau — tous deux parents de Touadéra Ngbaka-Mandja — exercent eux-mêmes une influence sur son unité.
 
Wananga a joué un rôle central dans des missions de ratissage visant à cibler et éliminer des membres de la communauté Gbaya à Bangui, dans le cadre de la contre-offensive contre la Coalition des patriotes pour le changement (CPC). Il a également supervisé la distribution d’armes à des milices locales, vues opérant aux côtés de la garde présidentielle.
Parmi ces groupes figuraient des milices anti-balaka notoires dirigées par Thierry Lébéné, dit Douze Puissance, Marius Dimba, dit Chef de Terre, Alias Ozaguin ou encore Yarkopa. Ce mélange d’éléments du GSPR et de miliciens — parfois vêtus d’uniformes officiels — était communément appelé « les Requins ».
Bien que Igor Sérégaza soit aujourd’hui directeur général du GSPR, Wananga reste le véritable chef opérationnel. Toujours en poste, Wananga conserve une influence intacte dans le premier cercle sécuritaire du régime en place…
 

Le général Freddy Johnson Sakama, le bras droit du chef des armées

 
Général de division et sous-chef d’état-major chargé « des opérations », un terme vague qui désigne un poste clé, Freddy Johnson Sakama, sous-chef d’état-major chargé des opérations des forces armées (FACA), reçoit ses ordres du général Zéphirin Mamadou, le patron des FACA
 
 
Ancien enfant de troupe à l’École Militaire Préparatoire Technique (EMPT) de Bingerville, Sakama a commencé sa carrière comme simple soldat, sans passer par les écoles militaires traditionnelles. Selon plusieurs rapports internes, il n’a jamais achevé les cursus de formation à Bangui ni à l’École de guerre. Sakama a été propulsé pourtant colonel en 2018, général en 2020, puis général de division en août 2021, sans véritable fait d’armes ou expérience de commandement sur le terrain. Malgré les critiques, Freddy Johnson Sakama joue un rôle clé dans la restructuration des FACA.
 
Avec Zéphirin Mamadou, chef d’état-major des armées et Eugène Omokozoyen, le chef du renseignement militaire des FACA, ce sont trois officiers des plus influents au sein de la chaîne de commandement militaire des FACA. Il est l’un des principaux artisans de la Stratégie nationale de défense adoptée en octobre 2024. Ce plan ambitieux vise à transformer l’armée en une force de garnison territorialisée, mieux répartie sur le territoire et dotée d’infrastructures adaptées. Il pilote également la coopération régionale avec le Tchad, dans le cadre de la Force Mixte de Sécurisation de la Frontière Commune. 
 
C’est lors de la déroute militaire à Sikikédé, en février 2023, que Sakama s’est retrouvé sous les feux des projecteurs. Accusé d’erreurs de commandement, il a rejeté la responsabilité sur les mercenaires russes de Wagner, affirmant qu’ils avaient désorganisé les troupes FACA en les dispersant en petits groupes vulnérables. Wagner, en retour, a pointé du doigt le manque de discipline et de courage des soldats centrafricains. Cette passe d’armes a mis en lumière les tensions entre les forces nationales et leurs partenaires étrangers, tout en ravivant les critiques sur la compétence réelle de Sakama.

Gabriel Ngakoutou Patassé, la boite noire du renseignement

 
Neveu de l’ancien président Ange-Félix Patassé, Gabriel Ngakoutou Patassé bénéficie dès son jeune âge d’un nom de famille prestigieux, qui lui ouvre des portes malgré un parcours scolaire difficile. Envoyé à l’école militaire des enfants de troupes de Saint-Louis au Sénégal, il échoue rapidement—expulsé en classe de quatrième pour faiblesse académique. Toutefois, l’influence de son oncle lui permet d’intégrer en 2001 l’école des officiers au Togo, étape décisive pour la suite de sa carrière militaire.
 
 
Lors du coup d’État de François Bozizé en 2003, Gabriel Patassé fait le choix singulier de rester à l’étranger, alors que de nombreux collègues retournent en Centrafrique pour tenter de sauver ou rebâtir leur avenir professionnel. À son retour, il gravit rapidement les échelons militaires, atteignant le grade de lieutenant-colonel, se distinguant de ses anciens camarades restés à des niveaux inférieurs.
 
Sous la présidence de Faustin-Archange Touadéra, il est nommé chef du bataillon d’appui des FACA. Ce poste stratégique, basé au camp Sapeur Pompier à Bangui, fait de lui un acteur central du renseignement militaire. L’unité qu’il dirige collecte des informations sur les personnes soupçonnées de soutenir la CPC (Coalition des Patriotes pour le Changement), traque les ennemis de la Russie et du pouvoir en place et tente de déjouer les infiltrations de combattants rebelles dans la capitale.
Sa gestion, toutefois, est autoritaire et opaque : Patassé instaure une véritable mafia militaire à Bangui, abusant de son pouvoir, sombrant dans la consommation de drogues et adoptant des comportements violents. Il participe à des activités criminelles au sein de la milice informelle présidentielle, les Requins, tristement célèbre pour ses méthodes brutales.
 
Gabriel Ngakoutou Patassé se trouve au centre de réseaux mêlant militaires, mercenaires russes du Groupe Wagner, opérateurs du BIT7 et membres de la GSPR, créant une confusion sur les attributions exactes de ces structures et leurs chaînes de commandement. Sous son autorité, on retrouve des éléments initialement recrutés par Mohamed Rahama (« LT ») et Douze Puissance, confirmant le rôle opérationnel de son unité dans les opérations conjointes avec Wagner…
 
Son ascension fulgurante, son absence de formation aboutie, ses liens étroits avec le Groupe Wagner et son implication dans des exactions graves (torture, extorsion, exécutions extrajudiciaires) soulèvent de sérieuses interrogations sur les dynamiques de pouvoir en République centrafricaine. Gabriel Ngakoutou Patassé incarne une figure controversée au cœur du système sécuritaire du régime Touadéra, où se mêlent armée nationale, milices locales et forces paramilitaires étrangères.
 

Théophile Igor Wallot Makpanga, ce lieutenant-colonel interlocuteur des mercenaires russes

L’ascension fulgurante de Théophile Igor Wallot Makpanga, ses liens étroits avec le Groupe Wagner et son implication dans des exactions très graves (torture, extorsion, exécutions extrajudiciaires) soulèvent de sérieuses interrogations sur les dynamiques de pouvoir en République centrafricaine.
L'unité spéciale de Théophile Igor Wallot Makpanga
L’unité spéciale de Théophile Igor Wallot Makpanga
 
 
Théophile Igor Wallot Makpanga est né dans les années 1980 en République centrafricaine, dans une famille à tradition militaire. Il effectue ses premières études à Bangui, jusqu’à une Licence en Gestion des Ressources Humaines (GRH) à l’Université de Bangui puis rejoint une formation à l’École Militaire des Enfants de Troupe Georges Bangui (EMET/GB).
 
Enfant de troupe au tournant des années 2000, Wallot Makpanga quitte le pays en pleine crise sous le régime du président Ange-Félix Patassé. Il revient en 2003, grâce à l’intervention de son beau-frère, l’officier Lengbé, à l’arrivée du général François Bozizé au pouvoir. Ce dernier lui facilite l’accès au grade de sergent, puis l’aide à gravir les échelons jusqu’à celui d’adjudant. Avant une formation de six mois en Chine, il reçoit un grade de sous-lieutenant, qui sera confirmé à son retour, le propulsant officiellement dans le corps des officiers.
 
Sa carrière prend un tournant plus sombre lorsqu’il commence à manipuler l’appareil militaire à son avantage : dénonciations internes, accusations montées de toutes pièces, y compris contre le chef d’état-major, lui permettent de grimper rapidement dans la hiérarchie sous le régime du président Faustin-Archange Touadéra.
À partir de 2020, Makpanga prend le commandement du BIT6, une unité des forces spéciales placée sous l’autorité du Groupement de sécurité présidentielle (GSPR) où il reçoit ses ordres de l’entourage présidentiel et de responsables intermédiaires du Groupe Wagner (Perfilev) pour coordonner des opérations de « nettoyage » dans des villages gbaya et peuls. Le BIT6 est impliqué dans le massacre de Boyo en décembre 2021.

 

Mathias Barthélemy Morouba, rouage central d’un système électoral truqué 

 
Dans une République Centrafricaine en quête de transparence démocratique, le nom de Mathias Barthélemy Morouba cristallise les tensions entre légalité institutionnelle et loyauté politique. Docteur en droit, avocat au barreau de Bangui, ancien président de l’Observatoire Centrafricain des Droits de l’Homme, Morouba incarnait autrefois une figure de rigueur juridique et de défense des libertés. Mais depuis sa nomination à la tête de l’Autorité Nationale des Élections (ANE) en décembre 2020, son parcours soulève des interrogations majeures sur l’indépendance des institutions électorales et leur instrumentalisation par le pouvoir exécutif.
 
 
 
 
Morouba n’est pas un novice du droit ni des arcanes du pouvoir. Sa carrière d’avocat, marquée par des collaborations avec la CPI et la Cour pénale spéciale, lui confère une légitimité technique indéniable. Mais c’est son rôle dans les processus électoraux — en RCA et à l’international — qui l’a propulsé au cœur du dispositif politique. Sa présidence du RECEF depuis 2024 renforce son image d’expert francophone, tout en masquant les controverses internes qui entachent son mandat à l’ANE.
 
La désignation de Morouba à la tête de l’ANE n’est pas le fruit d’un consensus républicain, mais d’un appui stratégique : celui de Sani Yalo, homme d’affaires influent et proche du président Touadéra. Morouba, qui fut l’avocat de Yalo dans des affaires sensibles — complot sous Bozizé, tentative de coup d’État en Guinée équatoriale — a su se rendre indispensable. Sa loyauté envers le clan présidentiel, illustrée par ses interventions auprès d’Ahmed Dada Yalo incarcéré au Cameroun, révèle une proximité qui dépasse le cadre professionnel.
 
Le 4 janvier 2020, lors de la proclamation des résultats présidentiels, Morouba commet une erreur monumentale : il annonce un score de 31,01 % pour Dologuélé, portant le total des voix à 110 %. La correction tardive à 21,01 % — après intervention du ministre Dondra — révèle une manipulation orchestrée pour éviter un second tour. Trois heures de tractations, une ambassadrice européenne excédée, et 350 millions investis par Yalo pour verrouiller l’ANE : autant d’éléments qui dessinent les contours d’un système électoral sous influence.
 
En 2022, Morouba se rend à Moscou pour “renforcer les compétences électorales”. En 2024, il salue les élections russes comme “conformes aux normes internationales” après avoir visité trois bureaux de vote. Cette déclaration, jugée complaisante, alimente les soupçons d’alignement sur les intérêts russes, dans un contexte où le référendum constitutionnel de 2023 a été perçu comme un outil de consolidation du pouvoir présidentiel.
 

Arsène Thierry Gbaguidi, Directeur de la Division électorale de la MINUSCA

Arsène Thierry Gbaguidi, juriste de formation et actuel Directeur de la Division électorale de la MINUSCA, est aujourd’hui au centre d’un réseau d’influence qui menace l’intégrité du processus démocratique en République centrafricaine (RCA).
 
À la tête d’une équipe de plus de 70 experts internationaux et 17 bureaux électoraux, il incarne une figure-clé du dispositif électoral onusien — mais ses liens étroits avec le pouvoir en place et certaines personnalités du Conseil constitutionnel soulèvent de graves inquiétudes.
 
Titulaire d’un Master 1 en droit, Gbaguidi s’illustre au sein du National Democratic Institute (NDI), un think tank américain lié au Parti démocrate. De la Guinée à la RCA, il tisse des liens étroits avec des figures politiques locales et internationales, dont Barrie Freeman, ex-directrice des affaires politiques de la MINUSCA.
 
Sa naturalisation centrafricaine soulève de vives interrogations : comment un fonctionnaire onusien peut-il conserver son impartialité en devenant citoyen du pays hôte ? Ce conflit d’intérêts potentiel est d’autant plus préoccupant que Gbaguidi entretient une relation intime avec Sylvie Naïssem, vice-présidente du Conseil constitutionnel.
 
Des immeubles de standing qui appartiendraient, seln des sources sures, à Gbaguidi et Naïssem, surgissent dans des quartiers stratégiques de Bangui. Leur origine financière reste opaque, mais plusieurs observateurs y voient des récompenses pour le rôle joué dans la consolidation du pouvoir exécutif.
 
La collusion entre Gbaguidi et Naïssem incarne une dérive institutionnelle inquiétante. Elle fragilise l’indépendance du Conseil constitutionnel et instrumentalise la MINUSCA, cette frce armée de la communauté internationale censée garantir la neutralité du processus électoral. En RCA, où chaque scrutin est une épreuve de stabilité, cette alliance trouble entre diplomatie internationale, pouvoir éxécutif et intérêts privés pourrait bien faire vaciller les derniers remparts de la démocratie.
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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)