Le sommet économique de Doha, organisé sous la haute autorité de l’Émir, Son Altesse Sheikh Tamim bin Hamad Al Thani, est revenu pour sa 5e édition du 20 au 22 mai 2025, en réunissant des dirigeants mondiaux, des banquiers influents, des ministres turcs ou saoudiens, des décideurs politiques de haut niveau et enfin des grands patrons de l’industrie, de l’immobilier ou encore de l’énergie lorsque, voici dix jours, le Qatar signait un accord stratégique avec la Chine.
Le forum était organisé autour du thème « La voie vers 2030 : Transformer l’économie mondiale », en lien avec la Vision nationale du Qatar 2030. Les discussions ont porté sur des sujets clés tels que la sécurité énergétique, la mondialisation, les technologies émergentes, les perspectives d’investissement et le rôle croissant du sport et du divertissement dans l’économie. Le tout pimenté par les interventions du fils ainé de Donald Trump et d’Elon Musk, conseiller du Président américain qui ont l’un et l’autre distrait cette assistance de 2500 congressistes en costume gris, des hommes majoritairement, qui échangeaient fébrilement téléphones et projets.
Une ruche industrieuse au coeur d’un désert connecté au vaste monde, voici ce que le Qatar est devenu en quelques dizaines d’années.
De notre envoyé spécial à Doha, Nicolas Beau (textes et photos)
Le Fairmont Hotel où s’est tenu le Forum
Le Premier ministre qatari, Mohammed ben Abderrahmane Al Thani
Pourquoi les escapades au Qatar ont-elle un tel succès? Par quel miracle une échappée au coeur du désert dans un Émirat grand comme un département français (soit 11500 kilomètres carrés), peuplé de 400000 citoyens ( plus 2,5 millions d’étrangers) et disposant de 22000 taxis peut-elle séduire une si grande partie des élites mondiales? Même les Trump qui avaient boudé Doha lors du premier mandat du Président américain totalement séduit alors par le prince héritier séoudien MBS, sont revenus sur leurs a priori négatifs.
Donald Trump Junior, l’aîné des cinq enfants, a participé au Forum économique et a choisi Doha pour évoquer une possible candidature … à la prochaine élection présidentielle américaine. « Je ne sais pas, peut-être un jour cet appel retentira », a répondu M. Trump, 47 ans, à une modératrice lui demandant s’il envisageait de se porter candidat , après le départ de son père. Mais à l’heure actuelle, a-t-il ajouté, son objectif est de décliner dans le monde des affaires la volonté de l’administration Trump de chasser « l’idéologie woke qui a pris le contrôle ».
Dans sa récente tournée dans les monarchies pétrolières, le président américain avait précédé son fils à Doha où il s’est vu offrir un avion d’une valeur de 200 millions de dollars qu’il avait en fait discrètement sollicité auprès des autorités qataries d’après la presse américaine
Non sans élégance et avec un art consommé des éléments de langage convenus, le Premier ministre, Mohammed ben Abderrahmane Al Thani, a assumé d’emblée, lors de l’ouverture du Forum, ce cadeau royal. « Nous sommes un pays avec des partenariats solides, que nous respectons.C’est bénéfique à la fois pour le Qatar et pour les États-Unis. Il faut dépasser ce stéréotype du pays arabe qui ne ferait qu’acheter. Cette vision est blessante et nuit à notre réputation ». Et d’éteindre l’icendie qui s’est déclaré à Washington contre cette transaction: « Rien n’a été fait sous la table. Rien n’est caché. Notre intention est les aider à moderniser Air Force One. Regardez la Statue de la Liberté (rires), c’était aussi un cadeau ».
Cette communication maitrisée, sa vision à long terme, une fidélité à ses partenaires, tous ses partenaires, qu’ils soient américains, chinois ou Talibans, et un humour très « british » sont les marque de fabrique de ce Premier ministre agé de quarante cinq ans à peine et qui, dans le sillage du jeune Émir parvenu au pouvoir le 25 juin 2013, après l’abdication de son père, Cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, a imposé le Qatar sur la scène internationale et dans le monde financier (1). La Coupe du monde de football à Doha en 2022, un pari insensé et réussi, aura été pour beaucoup dans cette reconnaissance internationale; le savoir faire des « quadras » désormais aux commandes a fait le reste.
Au plus mal avec l’Arabie Saoudite voici quelques années et alors qu’un commando avait débarqué au consulat séoudien en Turquie pour assassiner puis découper un opposant en morceaux, le Premier ministre avait confié à un journaliste dans un sourire: « Nos frères séoudiens ont une diplomatie un peu compulsive ». Le Premier ministre du Qatar, lui, n’est pas un impulsif mais un fin diplomate investi de toute la confiance de l’Émir qui appartient comme lui à la tribu des Al Thani, une des plus anciennes et influentes de la péninsule arabique.
Du gaz, des colloques et des idées
L’attrait pour ce petit Émirat s’explique par le formidable sens de l’hospitalité de ces hommes du désert. Plus que le luxe sans ostentation de leurs installations hotelières où sont reçus chaque année trois millions de touristes, les Émiratis savent recevoir dans cette presqu’ile paradisiaque, écrin architectural et agglomération futuriste, mais beaucoup plus encore, un formidable laboratoire à idées. Cette fois zncore lors du 5eme forum de Doha et pour trois jours, le Qatar recevait la crème des ministres du Moyen Orient, des chefs d’état asiatiques et des grands patrons du monde entier.
Outre leur obsession à remodeler le sort du monde, les Qataris ont ce talent pour pimenter les colloques les plus austères. En vedette américaine cette fois ci, un Elon Musk en grande forme s’en prenait au racisme anti blanc, se présentait comme un héritier de Nelson Mandela et applaudissait les coupes budgétaires qu’il avait imposées aux grandes ONG avec ce mélange de morgue et d’infantilisme qu’on lui connait.
Le Qatar faiseur de paix

Havre de paix au coeur de la poudrière moyen-orientale, le Qatar joue un role central et apprécié pour jeter des ponts entre Israel et le Hamas. Adossé sur les Américains et les Égyptiens, le Premier ministre qatari est devenu l’épicentre de ces difficiles négociations comme il l’ rappelé lors de son intervention inaugurale. « La situation est frustrante. Nous assistons à la souffrance des Palestiniens, à celle des otages israéliens. Tout cela engendre de l’insécurité ». Et de reconnaitre que » les négociations de l’année et demie écoulée n’ont pas toujours abouti, souvent sabotées par des jeux politiques ». Le pessimisme du médiateur est visible. « La déliquescence de la situation est critique !
Et ce n’est pas que Gaza, mais aussi la Cisjordanie, le Liban, la Syrie ».
Pour Doha qui partage avec Téhéran les mêmes nappes gazières, l’impossible accord nucléaire l’Iran et les USA est un sujet de préoccuation majeur. La nécessité pour Doha de ne pas affronter frontalement le pouvoir iranien et à fortiori de financer un affort de guerre contre les alliés des Mollahs explique la brouille qui a éloigné l’Émirat des Émirats et des Séoudiens. » Donald Trump essaie d’éviter le conflit, l’escalade. Cela montre une volonté politique. Nous espérons reconstruire des ponts entre les deux parties ».
Business first
En inaugurant ce forum dont il était le co-organisateur, Michael Bloomberg a expliqué d’emblée. « La période est compliquée pour les affaires, avec la guerre commerciale, les tarifs, les tensions. Et il y a aussi la crise climatique. Mais c’est aussi un moment d’opportunité, de réflexion à long terme au niveau énergétique ». et d’ajouter: « À chaque fois que je viens à Doha, je vois les progrès, les nouveaux immeubles, les musées. C’est extraordinaire. Même des gens en profond désaccord peuvent discuter, et améliorer la situation ».
Durant ces trois journées, la garde rapprochée du Premier ministre formée dans les grandes universités américaines mais qui conjugue, façon marocaine, tradition, modernité et hospitalité, a dressé un tableau sophistiqué, inventif et optimiste de l’avenir économique du Qatar qui reposera encore longtemps mais pas selement sur ses réserves gazières. Actuellement, la capacité de production annuelle de gaz naturel liquéfié (GNL) est de 77 millions de tonnes. Le pays porté d’abord par une forte demande de l’Asie et des nouvelles exigences des classes moyennes indiennes et chinoises, prévoit une expansion significative de sa production. D’ici 2026, grâce au projet North Field East, la capacité devrait atteindre 126 millions de tonnes par an . Ensuite, avec les projets North Field South et North Field West, l’objectif est d’atteindre 142 millions de tonnes par an d’ici 2030. Saad Sherida Al-Kaabi, ministre de l’Énergie ainsi que le président-directeur général de Qatar Petroleum (QP), l’a constaté, non sans fierté, durant ce Forum. « Nous sommes l’un des plus grands pays au monde pour l’exploration. Nous avons pour l’instant 70 navires et nous voulons en ajouter 128″.
Ali bin Ahmed Al Kuwari, ministre des Finances, a reconnu les relations privilégiées du pays avec les États Unis (voir l’article ci dessous). « Nous avons acheté des Boeing parce que ce sont d’excellents avions et conclu des contrats d’une valeur de 1200 lilliards de dollars .Les États-Unis, notre plus grand partenaire économique, sont un excellent marché offrant un bon retour sur investissement, en ligne avec nos stratégies ».
Quant à Faisal Al-Ibrahim, le ministre séoudien de l’Économie, invité au Forum dans une voloté du Qatar de tourner la page de son contentieux avec MBS, il a rappelé que les budgets du Royaume n’étaient plus dépendants du pétrole pour la moitié du total. « Aujourd’hui, nous visons la stabilité du marché à long terme. Nous continuerons à fournir, mais plusieurs scénarios sont possibles. Nous ajusterons notre stratégie en fonction de la hiérarchie de nos dépenses ».
L’heure n’était pas seulement à Doha aux grandes déclarations. De nombreux contrats énergétiques ont été signés dans les coulisses du Forum. C’est ainsi que le Qatar va fournir trois millions de tonnes de gaz par an à la Chine selon les termes d’un accord avec Shell, basé à Londres, a annoncé lundi la société énergétique publique de l’émirat. Les livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL) vont commencer en janvier 2025 comme le prévoit un « nouvel accord de vente et d’achat à long terme », a déclaré QatarEnergy dans un communiqué, sans révéler la durée précise de l’accord.
« Nous sommes heureux de conclure ce nouvel accord à long terme avec notre partenaire, Shell. Cet accord permet de répondre aux exigences des clients de Shell en Chine et renforce notre contribution à la satisfaction des besoins des clients dans le monde entier », a déclaré, dans le communiqué, le ministre de l’Energie, Saad al-Kaabi, qui est également le directeur général de QatarEnergy.
Doha, une tour de Babel
Plus surprenant, My Aion Inc., une entreprise de technologie et d’infrastructure basée aux États-Unis, a annoncé son inclusion dans le futur Fonds Multilatéral pour l’Énergie Verte (MGEF), une coordination institutionnelle de haut niveau entre le Qatar et la Chine.
L’Émirat est devenu un des rares endroits sur la planète où Américains et Chinois ont intérêt à s’entendre, tout comme il est le dernier refuge où Israéliens et Palestiniens tentent encore de trouver un compromis. Ce n’est pas rien.
(1) Mohammed ben Abderrahmane Al Thani est actuellement ministre des Affaires étrangères du Qatar. Il occupe ce poste depuis le 27 janvier 2016 . De plus, depuis le 7 mars 2023, il exerce également les fonctions de Premier ministre de l’État du Qatar
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