Le 7 décembre 2025, le Bénin a été secoué par une tentative de putsch finalement déjouée grâce à l’intervention du Nigéria et de la France, qui a assumé pour l’occasion de réendosser le costume de « gendarme de l’Afrique ». Les conséquences de ces événements restent difficiles à mesurer, néanmoins elles marquent une rupture historique et symbolique dans l’histoire de ce pays, qui n’avait pas connu de coup d’Etat depuis 1972. Ce brusque retour en arrière démontre que les réussites économiques du président Patrice Talon ne suffisent pas à garantir la stabilité lorsqu’elles s’accompagnent d’un net recul démocratique.
Leslie Varenne
Trois jours après le coup, le fil de cette journée du 7 décembre, qui a tenu en haleine toute l’Afrique de l’Ouest, peut être reconstitué assez précisément. Les faits sont connus et recoupés. Cependant, il reste une zone d’ombre, était-ce un putsch minutieusement organisé ou une mutinerie qui a dégénéré ? Nombre d’éléments penchent pour cette dernière option. Habituellement, les coups d’Etat sont réalisés à l’aube, dans ce cas précis, c’est à deux heures du matin que les militaires se sont rendus manu militari aux domiciles des deux généraux les plus importants du pays : le général Bada, directeur du cabinet présidentiel, et le chef d’état-major des armées, Abu Issa. Après les avoir pris en otage, ils ont pris le chemin de la résidence de Patrice Talon où ils se sont durement affrontés avec la garde républicaine qui a réussi à leur barrer la route. Puis, ils ont occupé la télévision nationale. Après avoir lu le classique communiqué annonçant la dissolution des institutions, la destitution du chef de l’Etat, etc. ils ont également fait valoir leurs récriminations professionnelles : « La situation au nord du Bénin est catastrophique. Nos frères d’armes tombent quotidiennement au combat contre les groupes terroristes, sans munitions adéquates, sans équipements modernes, sans soutien logistique. Les primes de risque promises sont illusoires, les blessés abandonnés à leur sort, les familles des martyrs livrées à la misère. Comment tolérer que nos soldats, boucliers de la patrie, soient traités en chair à canon ? Sur le plan militaire : Les promotions et avancements sont devenus un marché de dupes, réservés à une élite servile proche du pouvoir, au détriment des méritants qui saignent sur le terrain. »
Contrairement aux éléments de langage qui ont été distillés ici et là tout au long de la journée de dimanche, il ne s’agissait pas d’un groupe isolé dirigé par un militaire farfelu. Pascal Tigri, le meneur, est lieutenant-colonel, chef du Groupement des forces spéciales, dont les hommes sont fréquemment déployés dans le nord du pays pour affronter les djihadistes. Il s’agit donc d’un officier jugé suffisamment compétent pour commander une unité d’élite. Par ailleurs, un petit groupe n’aurait jamais pu, à la fois, prendre la télévision nationale, combattre avec la garde présidentielle, se déployer près du port et dans plusieurs quartiers. Dans un communiqué relatant les événements, le gouvernement béninois rapporte que ce sont les hommes de la base militaire de Togbin, l’une des huit bases opérationnelles du pays, qui se sont soulevés. Alors, coup d’Etat ou mutinerie ? La question reste posée, mais elle aurait dû déterminer la nature de la réponse à apporter.
Il faut sauver le soldat Talon
A Paris, comme dans les capitales régionales, en Côte d’Ivoire, au Ghana, en Sierra Léone ou au Nigéria, les événements de dimanche ont pris tout le monde de cours. Il y avait urgence. Il fallait sauver Patrice Talon et empêcher à tout et n’importe quel prix qu’il soit le 6ème président d’Afrique de l’Ouest renversé au cours de ces cinq dernières années. D’autant qu’il est un allié de la France et des pays précités. En outre, le Bénin héberge les derniers soldats français présents dans la région, ils assistent l’armée nationale dans la lutte contre les groupes djihadistes.
L’organisation sous-régionale, la CEDEAO, a réagi, elle aussi, avec une célérité inédite. Dès le milieu de la matinée, elle a prévenu qu’elle allait déployer sa force en attente afin de rétablir l’ordre constitutionnel. Il s’agissait avant tout de légitimer l’action militaire du Nigéria en préparation. Officiellement, Bola Tinubu a agi à la demande de Cotonou. En réalité, le président nigérian a surtout répondu aux sollicitations d’Emmanuel Macron qui assume ce rôle de « coordination » et « d’échange d’informations » avec les avec les pays de la région. » A 16 h, les avions nigérians frappent la base militaire de Togbin et la télévision nationale. Certains mutins sont arrêtés, d’autres se rendent, d’autres encore comme Pascal Tigri réussissent à s’enfuir. Quelques heures plus tard 300 soldats en provenance d’Abuja et d’Abidjan débarquent à Cotonou et s’installent dans la base militaire de Togbin. A 20 h, Patrice Talon apparaît à la télévision. Le putsch a échoué. Tout est sous contrôle. Tout est bien qui finit bien ?
Conséquences et inconséquence
L’histoire est loin d’être terminée. En revendiquant publiquement son aide et son rôle dans le maintien au pouvoir de Patrice Talon, Emmanuel Macron, renoue ainsi avec le passé de « gendarme de l’Afrique » qu’on pensait définitivement révolu depuis l’échec de la France au Niger en 2023. Toujours en panne de stratégie et de vision sur le continent, il réagit au gré des situations ponctuelles et des opportunités. Quid des conséquences ? Déjà les réseaux sociaux s’affolent et dénoncent l’implication de l’ancien colonisateur dans une affaire interne. Autre question, et non des moindres : quid des relations entre les soldats béninois et français après que Paris a sollicité des frappes sur leurs frères d’armes ? Dès le 8 novembre, le Parti communiste béninois a publié un communiqué condamnant l’intervention franco-nigériane et demandant le départ immédiat des forces étrangères. Comme un air de déjà-vu…
Pour l’instant, le Nigéria se félicite : « Nos forces ont défendu la démocratie, rétabli l’ordre constitutionnel et protégé les populations ». Le Sénat a approuvé, le mardi 9 décembre, la demande de Bola Tinubu d’envoyer des troupes pour une mission de maintien de la paix. Mais à quoi peut bien servir une mission de maintien de la paix, dans un pays qui a déjoué rapidement une tentative de putsch, où tout est rentré dans l’ordre avec une armée républicaine et loyale à son chef de l’Etat ? Il y a fort à parier qu’il ne se passera pas beaucoup de temps avant que les Béninois dénoncent cette « force d’occupation ». En attendant, cette séquence permet au président nigérian de se donner un peu de répit. Affaibli sur la scène intérieure, il est sous pression de l’administration Trump qui l’accuse de complicité passive dans les violences meurtrières que subissent les chrétiens. Sous ces prétextes fallacieux, se cachent d’autres enjeux politiques et économiques. Il n’en demeure pas moins que Washington poursuit son chantage en menaçant le Nigéria d’une intervention militaire. Cette vulnérabilité pourrait expliquer sa réponse immédiate aux sollicitations d’Emmanuel Macron, qui, en retour, lui a proposé une assistance militaire pour soutenir le Nigéria dans sa guerre contre Boko Haram. Quel imbroglio ! Au final, ce putsch sert les agendas des acteurs extérieurs.
Le paradoxe béninois
Bien entendu, le plus grand perdant du 7 novembre est le Bénin. Dans un pays où la menace sécuritaire exige une armée unie, elle se retrouve plus que jamais divisée entre loyalistes et mutins. Bien évidement, hormis sécuriser un chef de l’Etat qui n’a plus confiance en ses forces de défense, les armées étrangères ne régleront rien. La réponse ne peut pas être sécuritaire, la véritable issue est politique.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2016, Patrice Talon a certes transformé le Bénin et obtenu des réussites économiques incontestables. Le pays connaît une croissance record qui a atteint 7,5% en 2024. Cependant, ce chiffre ne reflète qu’une partie de la réalité. La cherté de la vie, l’absence de répartition des richesses, leur concentration dans les mains d’une élite et la captation de secteurs stratégiques par des entreprises proches du pouvoir ont alimenté le sentiment d’injustice.
Néanmoins, conforté par ses succès, le président béninois, a totalement verrouillé la vie démocratique du pays. Ces opposants n’ont eu d’autre choix que l’exil ou la prison. A quelques mois de la présidentielle d’avril 2026, le climat s’est encore tendu. Plusieurs candidats de l’opposition ont été invalidés pour des motifs contestables. Ainsi, Romuald Wadagni, actuel ministre de l’Économie et dauphin du président sortant, n’aura aucun concurrent sérieux à affronter. L’élection est jouée d’avance. En novembre 2025, une réforme constitutionnelle est venue restreindre encore un peu plus, si c’est encore possible, l’espace politique. La création d’un Sénat composé d’anciens présidents et hauts dirigeants permettra à Patrice Talon de garder la main sur toutes les décisions importantes. Autrefois réputé pour ses alternances pacifiques, le Bénin vit une régression démocratique qui génère les fragilités politiques et sociales. Un chaudron dans lequel naissent l’instabilité et les coups d’Etat. Un piège dans lequel le Bénin est tombé. Pour en sortir, une seule solution : opérer une vraie révolution, ouvrir les prisons, tourner le dos à la nouvelle constitution, permettre à tous les candidats de se présenter aux élections, les cartes sont dans les mains de Patrice Talon.



























