C’est ce lundi 27 octobre que devraient être proclamés les résultats de l’élection présidentielle au Cameroun. Les ambassadeurs des pays membres de l’Union européenne, ainsi que du Canada, du Royaume-Uni et de la Suisse, n’assisteront pas à l’annonce des résultats par le Conseil constitutionnel.
Issa Bakary Tchiroma, le candidat de l’opposition, se proclame élu avec environ 63% des votes, le Président Biya n’a pas osé revendiquer de son coté une majorité des suffrages mais seulement 46% des voix.
Michel Galy de Mondafrique a rencontré Calixthe Béyala, écrivain prolifique et combattante déterminée, un de ses plus fidèles soutiens en France pour mettre fin à la dictature de Paul Biya qui est au pouvoir depuis quasiment un demi siècle, tout en passant l’esssentiel de son temps en Suisse où, diminué et malade, il est l’ombre de lui même.
Un entretien avec Michel Galy
Le principal opposant de Paul Biya a remporté la Présidentielle
Mondafrique Calixthe Béyala, quelle est votre analyse générale de la situation post électorale ?
Calixthe Béyala. L’opposition revendique environ 63 ou 64% pour Tchiroma ; à l’inverse, le pouvoir prétend que Paul Biya a obtenu 54 % des voix.
Mais la réalité, c’est une situation très tendue, catastrophique : on n’a que des informations parcellaires mais au moins une dizaine des morts, des dizaines de blessés, plus de 700 ou 800 arrestations. Et ces chiffres ont été multipliés par la répression sanglante de la répression des marches ce dimanche !
De fait ils veulent éliminer toute l’intelligentsia pro Tchiroma, notamment nordiste(plus de 300 ont été arrêtés) et neutraliser ses militants partout , jusque dans la capitale.
Soyons clairs : dans les faits une véritable Gestapo du régime rafle, traque les opposants jusque dans leurs domiciles, les arrête, les bat, les torture.
Cele rappelle 1984 , où, sous accusation de « coup d’Etat », des centaines de nordistes ont été exécutés par le régime.
Mondafrique: Dans ce contexte quelle est la situation d’intellectuels engagés comme vous en France et en Europe ?
Calixte Béyala : Tout le monde est menacé, jusqu’à un groupe d’intellectuels modérés qui travaillent sur une transition pacifique. Nombreux ont été a été ainsi stigmatisés et emprisonnés, d’autres venant d’Europe remis dans l’avion, alors qu ‘ils venaient rencontrer Tchiroma. Des hommes politiques importants comme Anicet Ekane, président du Manidem, ont été enlevés et incarcérés sans motifs autres que politiques.
Achille Mbembe, le politologue vivant en Afrique du Sud et moi même sont les bêtes noires du régime, pouvant convaincre les milieux intellectuels et les médias de la réalité des faits, au delà de la propagande.
Mondafrique : Croyez vous plausible une solution politique, négociée ? Paul Biya aurait proposé à Tchiroma le poste de 1er ministre…
Calixte Béyala :Tchiroma a bien sûr refusé, c’est le président élu. De plus ce régime n’a pas de parole : s’il acceptait, il serait très vite démis.
Ils ont tenté de tendre ce piège, ils ont échoué.S’il allait à une rencontre , ce serait pour être arrêté.
A l’inverse, une solution militaire ? Tout est possible au Cameroun , dans une situation très fluctuante!
Qui pour gouverner le pays au fond ? Biya a mis une grande partie des élites en prison.Le pays peut devenir ingouvernable !
Pire, à moyen terme, dans un scénario catastrophe, on pourrait assister à une balkanisation rampante du pays . Vous auriez plusieurs régions : le Grand Nord, qui échapperait aux ordres du gouvernement central, d’un autre côté toute la zone littorale, avec le pays bamiléké dans l’Ouest et le NOSO , au nord ouest et au sud Ouest, déjà en proie à la guerre.
Mondafrique : Calixte Beyala vous n’avez pas toujours été en faveur de Tchiroma, longtemps partisan de Paul Biya. Comment expliquez vous cet engouement collectif et soudain , comme l’affirme le politologue Achille Mbembe ?
Calixthe Béyala : D ‘abord, je connais Tchiroma depuis des années, on dialoguait depuis qu’il était porte parole de ce gouvernement. Il faut savoir de lui qu’il a été emprisonné en 1984 pendant sept ans, et qu’on
l’a même affreusement torturé : ils l’ont tellement tabassé qu’ils lui ont cassé toutes ses dents !
Toutes ces méthodes coercitives pour obtenir de la servitude volontaire !
Mais ce n’est que bien plus tard que je l ‘ai rencontré ; il y a cinq ans, il m’ affirmé : « petite sœur, je ne soutiendrai pas Paul Biya à la prochaine présidentielle ».
L’élimination de Maurice Kamto, qui aurait dû être le candidat de l’opposition, a été pour lui le moment opportun de se mettre en avant, occasion au fond créée par le régime lui même.
Le peuple s’est dit alors : dans ce cas on va soutenir Tchiroma, plutôt un « bon diable » selon l’expression de la journaliste Roger Marie Biloa. Et selon certaines sources, Tchiroma aurait plutôt autour de 70%, de qui explique les revirements de certains anciens partisans du régime, …
Mondafrique : Selon vous , que va t il se passer à partir de lundi, date de la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel ?
Calixte Béyala : C’est un organe du régime, il ne peut faire autrement que de dire que Biya a gagné. Pour autant, Paul Biya n’est plus le président des camerounais, ni dans nos tètes, ni dans nos cœurs!Mais le représentant provisoire de sa famille et de son clan, grands pilleurs des caisses de l’État.
Et le porte parole du « clan des durs, » autour de Ngoh Ngoh, qui organise la répression .Alors que certains ministres reconnaissent déjà la victoire de Issa Bakary Tchiroma et se rapprochent de lui.
Le Cameroun n’est pas une monarchie , et le projet de Biya de donner le pouvoir à son fils ne se réalisera jamais !
Pour conclure, cette crise, une fois résolue, sera peut être une chance pour le Cameroun : pour la première fois il n’a pas été question de tribalisme ou d’ethnie. C’est de la construction d’une Nation dont il s’agit.





























