Après l’élection présidentielle au Cameroun ce 12 octobre , l’alternance est-elle envisageablle après le si long règne de Paul Biya, 92 ans au pouvoir depuis 1982 ? L’opposant Issa Tchiroma Bakary crie déjà victoire, en la qualifiant même d’« écrasante ». Mais l’histoire des scrutins électoraux camerounais montre que que le pouvoir essaie toujours de passer en force.
Michel Galy

Issa Tchiroma Bakary ,79 ans, n’est pas un perdreau de l’année. Sa longue expérience politique l’a longtemps compromis avec le pouvoir de Paul Biya dont il a été ministre de l’Emploi et de la formation professionnelle(2029 -2025).
Mais dans un discours maintenant bien rôdé, le candidat s ‘essaie à transformer ses handicaps en atouts:s’il ne peut guère changer son âge, il prétend connaître de l’intérieur le système pour mieux le renverser.
Et de fait, il a surpris les observateurs les plus chevronnés comme le politologue Achille Mbembe, qui s’étonnait du « véritable engouement » qu’a suscité sa candidature , dans une « campagne éclair » .
Tchiroma, candidat faute de mieux
Tchiroma est doublement un candidat par défaut. Tout d ‘abord contre Biya et son clan , dont le même Mbembe analyse le pouvoir gérontocratique et même « gériatrique » comme il ose le dire; alors que la moitié de la population a moins de 20 ans…L’opposition s’était unie autour de Maurice Kamto, leader du puissant et structuré MRC( mouvement pout la renaissance du Cameroun), qui a vu arbitrairement sa candidature invalidée par Elekam( élections Cameroun), organisme d’État chargé de l’élection, dont les membres sont nommés par le pouvoir.
Mais ici comme ailleurs, le « théâtre d’ombre de l’ethnicité » comme disait le politologue Bayart, sous tend un jeu électoral à l’occidentale dont les enjeux sont pour le moins reformulés par les acteurs locaux. Ainsi Achille Mbembe est d’avis que Kamto a plutôt été éliminé pour son origine bamiléké, peuple économiquement puissant, mais en butte à une hostilité systématique qui va jusqu ‘à un racisme virulent de la part d’autres parties de la population – et de responsables du clan Biya.
En ce qui concerne le dépouillement, les observateurs camerounais de l’opposition ont une arme imparable, usitée encore plus que dans d’autres scrutins subsahariens: les téléphones portables !
Alors qu’il y a peu les militants photographiaient seulement les procès verbaux de vote, on peut consulter sur les réseaux sociaux des centaines de vidéos en temps réel. Et il semble bien que Issa Tchiroma fasse partout des percées spectaculaires, entre 60 et 70 % des votes, tandis que Paul Biya stagne autour de 25%. La difficulté est bien sûr l’agrégation des résultats, et les équipes de l’opposant comptent les mettre en ligne dans les jours qui viennent.
La « panthère noire », N’zui Manto
Et certains internautes ont un poids réel, si ce n’est prépondérant sur l’information au Cameroun : la « panthère noire », N’zui Manto a ainsi plus de 800.000 followers, Boris Bertold 400.000 ! Basés à l’étranger , leur réputation d’intégrité et de redresseurs de tort influence fortement la réception de leurs post.
L’écrivaine Calixthe Béyala , basée à Paris, et ralliée à Tchiroma,avec ses 100.000 followers, fait aussi figure de recours pour une société civile déboussolée par les intoxications du passé ; s ‘il n’y a pas de Gen Z Cameroun, une fois de plus les réseaux sociaux changent la donne politique. Les vidéos, surtout sur Facebook, montrent à foison une réalité moins reluisante, rappelant de tristes souvenirs aux électeurs les plus âgés : fraudes, enveloppes ou urnes bourrées ou même volées ; aveux de corruption et de trafics électoraux.
Ainsi que les renversements ou trucages de chiffres dans la boîte noire d’Elekam, dont l’opposition accuse le pouvoir : la faction dure est menée par le tout puissant ministre d’État Ferdinand Ngoh Ngoh, qui serait à la manœuvre de la répression et des manipulations électorales. Ces accusations sont d’autant plus crédibles qu’elle s’appuient sur une histoire récurrente au Cameroun. Ainsi John Fru Ndi , selon les organisations internationales et leurs observateurs, a vraisemblablement été élu, en 1992 ce qui n’a pas empêché Biya de se proclamer élu.
Le 27 octobre, jour de tous les dangers
Plus grave le pays s ’embrase progressivement, au risque de la violence en cas de passage en force au plus tard le 27 octobre , date de proclamation officielle des résultats. Les cargos de la police débarquent en force à Garoua, fief nordique de Tchiroma, tandis que la population dresse un bouclier humain de jour et de nuit pour le protéger.
On prête à Emmanuel Macron l’envoi de missi dominici pour convaincre Biya d ‘accepter sa défaite en échange de compensations et d’impunité ; on dit que Chantal Biya y serait plutôt favorable.
Jamais évoquée ouvertement, une intervention de l’armée, en butte à l’insurrection anglophone de l’Ouest, est toujours possible en cas de troubles plus graves et d’impasse politique.
Car comment le groupe restreint de ceux qui ont profité 48 ans des prébendes et de la concussion du régime pourraient ils de bon gré accepter une alternance politique qui les marginaliseraient?
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