Cameroun : Des meurtres et des arrestations de masse

Les autorités devraient mettre fin aux abus commis par les forces de sécurité et garantir aux personnes arrêtées une procédure régulière

(Nairobi, le 12 novembre 2025) – Les autorités du 
Cameroun ont répondu aux manifestations généralisées menées par l’opposition à la suite de l’élection du 12 octobre par une force létale et par des arrestations massives de manifestants et d’autres citoyens, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Le Conseil constitutionnel 
a annoncé le 27 octobre que le président en exercice Paul Biya, âgé de 92 ans, avait remporté l’élection avec 53,66 % des voix. Son principal adversaire, Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre des Transports et des Communications, s’était proclamé vainqueur le 12 octobre, invoquant une fraude électorale. Paul Biya, qui est président depuis 1982, a prêté serment pour un huitième mandat le 6 novembre.

« La répression violente des manifestants et des citoyens ordinaires à travers le Cameroun met en évidence une tendance croissante à la répression qui jette une ombre sur l’élection », a déclaré 
Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités devraient immédiatement mettre fin aux abus commis par les forces de sécurité, enquêter sur les incidents et poursuivre les responsables, et tous les dirigeants politiques devraient appeler leurs partisans à rejeter la violence. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 20 personnes, dont des proches de personnes tuées ou blessées lors des manifestations, ainsi que des avocats et des membres de l’opposition politique.

Les manifestations ont éclaté le 26 octobre et se sont poursuivies pendant plusieurs jours dans plusieurs villes. Elles ont été suivies d’une 
opération « ville morte » entre le 4 et le 7 novembre, après qu’Issa Tchiroma Bakary a appelé les citoyens à rester chez eux en guise de protestation contre les résultats de l’élection.

Depuis le 26 octobre, la police et les gendarmes ont réagi en utilisant des gaz lacrymogènes et des balles réelles pour disperser les foules. Les médias internationaux, citant des sources des Nations Unies, ont déclaré que les forces de sécurité avaient tué 48 personnes lors des manifestations à travers le Cameroun. Des sources de l’opposition qui se sont entretenues avec Human Rights Watch ont plutôt estimé le nombre de morts à 55. Le 6 novembre, René-Emmanuel Sadi, ministre de la Communication du Cameroun, a déclaré que plusieurs dizaines de personnes étaient mortes lors des manifestations et que « des enquêtes sont en cours » pour déterminer le nombre exact de victimes.

Certaines manifestations ont été violentes, la foule s’en prenant à la police et aux gendarmes en leur lançant des pierres et d’autres objets. Dans certaines régions, des manifestants ont érigé des barrages routiers et 
incendié et saccagé des bâtiments publics, des magasins et d’autres propriétés privées. Les forces de sécurité ont répondu avec une force meurtrière.

Le 9 novembre, Issa Tchiroma Bakary 
a lancé un ultimatum de 48 heures aux autorités camerounaises, exigeant la libération immédiate de toutes les personnes détenues depuis l’élection et déclarant que sans cela, « le peuple se retrouvera en situation de légitime défense ».

Un homme a déclaré que les gendarmes avaient abattu son frère de 35 ans, un commerçant, qui manifestait dans le quartier de New Bell à Douala le 28 octobre. Il a déclaré s’être rendu à l’hôpital Laquintinie, où « les médecins m’ont dit qu’il avait été touché aux parties génitales … il est mort le lendemain ».

Un autre homme a déclaré que la police avait tué son frère cadet, un étudiant en médecine de 34 ans, par balle lors des manifestations à Douala le 27 octobre. Après avoir vu des images du corps de son frère circuler sur les réseaux sociaux, il l’a cherché dans divers hôpitaux de la ville, y compris un hôpital militaire, en vain.

Le 27 octobre, un plombier de 44 ans à Douala a été touché à l’estomac alors que la police dispersait les manifestants avec des balles réelles dans le quartier d’Ari. « Il est mort en route pour l’hôpital », a déclaré son frère.

Un homme a déclaré avoir secouru son neveu de 15 ans, qui avait été blessé par balle devant son domicile dans le quartier de Famleg à Bafoussam, où les forces de sécurité avaient tiré des gaz lacrymogènes et des balles réelles sur des manifestants le 28 octobre. « La police et les gendarmes tiraient au hasard », a-t-il déclaré. « Une balle lui a transpercé le dos et est ressortie par l’estomac. »

Les autorités ont également procédé à des arrestations. Le 6 novembre, le ministre de la Communication 
a déclaré que « plusieurs centaines de personnes [avaient été] arrêtées ». Selon un groupe de 149 avocats formé pour fournir une assistance bénévole aux personnes détenues pendant et après les manifestations, les forces de sécurité ont arrêté jusqu’à 2 000 personnes, dont plusieurs mineurs. Les autorités ont fourni des détails sur 105 personnes arrêtées le 26 octobre à Douala.

Human Rights Watch a examiné cinq listes compilées par des avocats soutenant l’opposition qui contiennent les noms de 312 personnes arrêtées depuis le 26 octobre, dont 154 n’ont pas encore été présentées à un juge. Parmi les personnes arrêtées à Yaoundé, au moins six sont détenues au Secrétariat d’État à la Défense (SED), un centre de détention au sujet duquel Human Rights Watch 
avait précédemment documenté l’utilisation systématique de la torture.

Des avocats ont déclaré à Human Rights Watch que les accusations portées contre les personnes détenues comprennent des charges d’« hostilité envers la patrie », de « révolution », de « rébellion » et d’« insurrection ». Ils ont ajouté que ces infractions avaient été appliquées de manière indiscriminée et n’avaient aucun rapport avec les actes de protestation réels. Certaines de ces infractions sont passibles de la peine de mort.

Les avocats ont également signalé avoir un accès très limité à leurs clients, dont certains auraient subi des mauvais traitements lors de leur arrestation.

Kengne Fabien, l’un des avocats, a déclaré que l’un de ses clients, un ingénieur civil de 63 ans, avait été battu lors de son arrestation le 27 octobre à Douala. « Les gendarmes l’ont battu, ont déchiré ses vêtements et l’ont détenu sans explication », a-t-il déclaré. « Mon client n’a participé à aucune manifestation mais a été interrogé au sujet d’un message vocal qu’il avait envoyé dans un groupe WhatsApp familial exhortant ses proches à voter pour Tchiroma. » Selon Kengne Fabien, cet homme est en détention administrative depuis le 30 octobre, sans avoir été inculpé.

Le président Paul Biya, dont la présidence est la plus ancienne au monde, dirige le Cameroun depuis 1982. Il a supprimé la limitation du nombre de mandats présidentiels en 2008 et 
réprime systématiquement l’opposition et la dissidence. Au cours des mois qui ont précédé l’élection, les autorités ont encore restreint l’espace civique, imposant des restrictions sévères à la liberté d’expression, de réunion et d’association.

La Constitution camerounaise protège les droits à la vie, à l’intégrité physique, à un traitement humain et à la liberté de réunion et d’expression. Le Cameroun est également un État partie à plusieurs traités internationaux relatifs aux droits humains, tels que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui prévoient des protections et des garanties similaires.

Le droit international, notamment dans le cadre de l’obligation de respecter les droits à la vie et à l’intégrité physique, interdit l’usage excessif de la force par les forces de l’ordre et réglemente les cas dans lesquels elles peuvent recourir à une force meurtrière. Les 
Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu stipulent que les forces de l’ordre ne peuvent recourir à la force que proportionnellement à la gravité de l’infraction, et que l’usage intentionnel d’une force meurtrière n’est autorisé que lorsqu’il est strictement inévitable pour protéger la vie.

« Les autorités camerounaises devraient libérer immédiatement toutes les personnes détenues en raison de leur participation à des manifestations pacifiques, ou pour avoir exprimé pacifiquement leur opposition au gouvernement », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Toute personne ayant commis des actes de violence devrait être poursuivie de manière appropriée, dans le plein respect de ses droits à une procédure régulière, y compris ses droits à la liberté sous caution et à un procès rapide et équitable accompagné d’une défense efficace. »


Pour consulter d’autres communiqués ou rapports de Human Rights Watch sur le Cameroun, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/afrique/cameroun