Burkina Faso : l’armée a dirigé des massacres ethniques

Les forces armées et des milices ont tué plus de 130 civils ; des meurtres de représailles ont été commis par un groupe armé islamiste

(Nairobi, le 12 mai 2025) – L’armée du Burkina Faso a dirigé et a participé au massacre de plus de 130 civils peuls – et potentiellement bien plus – commis par des milices pro-gouvernementales dans la région occidentale de la Boucle du Mouhoun en mars 2025, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les tueries de civils par les forces de sécurité gouvernementales, les milices et les groupes armés islamistes constituent des crimes de guerre et d’autres atrocités criminelles possibles.

Le massacre à proximité de la ville de Solenzo, que Human Rights Watch 
a documenté dans un communiqué précédent, a eu lieu au cours de « l’Opération Tourbillon Vert 2 », une campagne de grande envergure menée sur plusieurs semaines par les forces spéciales burkinabè qui a provoqué la mort de nombreux civils et des déplacements massifs de personnes peules. Le Groupe pour le soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, ou Jama’at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), affilié à Al-Qaïda, a ensuite lancé une série d’attaques en représailles dans la province du Sourou, ciblant apparemment des villages qu’il considérait comme soutenant l’armée et tuant au moins 100 civils.

« Les vidéos virales des atrocités commises par les milices pro-gouvernementales près de Solenzo ont créé des ondes de choc dans la région du Sahel en Afrique, mais elles ne montrent qu’une partie de l’histoire », a déclaré 
Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « D’autres recherches ont révélé que l’armée burkinabè était responsable de ces massacres de civils peuls, qui ont été suivis de représailles meurtrières par un groupe armé islamiste. Le gouvernement devrait enquêter de manière impartiale sur ces décès et poursuive tous les responsables. »

Entre le 14 mars et le 22 avril 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques ou en personne avec 27 témoins des attaques, deux membres de milices, ainsi que quatre journalistes et membres de la société civile. Les témoins sont originaires de Solenzo, Larihasso, Pinpissi et Sanakuy dans la province des Banwa ou à sa frontière, et de Gonon, Lanfièra, Mara et Tiao dans la province du Sourou. Human Rights Watch a également examiné au moins 11 vidéos montrant des abus perpétrés par des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) contre des civils peuls près de Solenzo. En outre, des chercheurs ont analysé des informations publiées sur les réseaux sociaux et par les médias détaillant ces abus.

La campagne de « l’Opération Tourbillon Vert 2 » a débuté le 27 février dans la province des Banwa et s’est poursuivie vers le nord en direction de la province du Sourou jusqu’au 2 avril. Les médias 
burkinabè et internationaux ont indiqué que les Bataillons d’intervention rapide 7, 10, 18 et 23, sous le commandement du Groupe d’intervention rapide 2, ont pris part à l’opération, aux côtés de centaines de VDP locaux .

Des villageois de la province des Banwa ont décrit des opérations militaires dans plusieurs endroits pendant au moins six jours. Les VDP tiraient en l’air ou sur les civils et volaient le bétail, forçant les villageois à fuir. Dans la zone située entre les villages de Béna et Lékoro, l’armée et les VDP ont coupé la route aux personnes en fuite en les prenant apparemment en tenaille, puis ont massacré au moins 100 civils et peut-être plusieurs centaines pris au piège dans la brousse. Des témoins ont déclaré que la plupart des victimes dans la province des Banwa étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées. Des hélicoptères et des drones militaires surveillaient la zone, indiquant un contrôle direct du commandement de l’opération.

« Des milliers de familles peules venant de plus de 20 villages ont cherché à se rendre au Mali [voisin] pour y trouver refuge », a déclaré un éleveur peul de 44 ans originaire de Solenzo, dont huit membres de sa famille ont été tués lors des attaques qui ont débuté le 8 mars. « Cependant, nous ne pouvions pas atteindre le Mali sans traverser des villages [qui étaient] occupés par les VDP et l’armée. Les VDP nous ont tiré dessus comme des animaux, pendant que des drones volaient au-dessus de nos têtes. Beaucoup de femmes et d’enfants sont morts parce qu’ils ne pouvaient pas courir. »

Des villageois ont expliqué que, dans les jours et les semaines qui ont précédé les attaques, des chefs de village, des amis et même des membres des milices les avaient alertés sur le fait que les préparatifs d’une opération militaire étaient en cours et qu’ils craignaient que les civils peuls ne soient pris pour cible. « Mon ami [appartenant à l’ethnie Bobo] qui est proche des VDP m’a informé que les VDP et l’armée s’organisaient et renforçaient leurs unités », a raconté un homme de Sanakuy. « Il m’a conduit à la frontière malienne seulement un jour avant les meurtres. »

Les recherches antérieures menées par Human Rights Watch sur le meurtre d’au moins 58 civils peuls près de Solenzo étaient basées sur des vidéos filmées par les miliciens. Alors que les VDP marchaient parmi des dizaines de cadavres, plusieurs appelaient à l’extermination du peuple peul.

Dans un 
communiqué du 15 mars, un porte-parole du gouvernement a déclaré que, le 10 mars, les milices et les forces de sécurité avaient repoussé une attaque « terroriste » et tué une centaine d’assaillants avant de poursuivre ceux qui s’étaient enfuis dans la brousse. Il a précisé que les forces de sécurité et les VDP « ont investi la forêt pour démanteler la base terroriste ». Ils ont trouvé des femmes, des enfants et des personnes âgées « que les terroristes ont tenté d’utiliser comme bouclier humain, ainsi qu’un important troupeau de bovins et de caprins volés », et ont mis ces personnes en sécurité. Les médias gouvernementaux ont indiqué que les autorités ont fourni un hébergement et une aide à 318 personnes déplacées de Solenzo dans un centre d’accueil de la capitale, Ouagadougou.

Des témoins ont toutefois affirmé qu’il n’y avait pas eu de combats près de Solenzo entre les forces gouvernementales et les combattants islamistes. Ils ont également expliqué que l’opération militaire semblait avoir été bien planifiée.

Les groupes armés islamistes ont concentré leurs efforts de recrutement sur la communauté peule, et le gouvernement et ses partisans font depuis longtemps l’amalgame entre la communauté peule et les groupes armés islamistes.

Des témoins peuls ont indiqué que selon eux, la campagne avait déplacé la plupart des Peuls hors de la province des Banwa. « Aujourd’hui, il n’y a plus de Peuls dans toute la province ; ils ont tous fui ou ont été tués ou pris en otage », a constaté un homme de 53 ans venant de Solenzo. « Mais les autres communautés [ethniques] sont toujours là. »

Après les opérations près de Solenzo, l’armée a progressé vers la province septentrionale du Sourou, qui était sous le contrôle du GSIM depuis plus de sept ans. Les médias internationaux et des témoins ont rapporté que l’armée est entrée dans plusieurs villages entre le 21 mars et le 2 avril. Cependant, les villageois ont déclaré que les militaires n’ont stationné dans les villages que deux jours environ, laissant les populations sans protection face aux attaques. Les combattants du GSIM sont ensuite revenus et ont commis, en représailles, des meurtres de civils, ciblant les hommes qu’ils considéraient comme des collaborateurs de l’armée.

« Tous les hommes ont été exécutés devant le centre médical », a décrit une femme de 60 ans qui a été témoin des abus commis par le GSIM dans le village de Tiao, le 5 avril. « J’ai compté jusqu’à 70 cadavres. »

Toutes les parties au conflit armé au Burkina Faso sont tenues de respecter le droit international humanitaire, qui interdit les attaques contre les civils, les exécutions sommaires, le pillage et d’autres exactions. Les individus qui commettent des violations graves du droit de la guerre avec une intention criminelle se rendent coupables de crimes de guerre. Les meurtres et les autres crimes perpétrés dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique menée contre une population civile constituent des crimes contre l’humanité. Les commandants qui avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance de violations graves commises par leurs forces et qui n’ont pas pris les mesures appropriées peuvent être poursuivis au titre de la responsabilité de commandement. Le Burkina Faso est aussi un État partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi qu’à d’autres traités internationaux majeurs relatifs aux droits humains.

« L’ampleur des atrocités perpétrées par les forces gouvernementales, les milices et les groupes armés islamistes dans l’ouest du Burkina Faso reste largement passée sous silence », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Le Conseil de sécurité des Nations Unies et le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine devraient de toute urgence accorder une haute priorité à la situation au Burkina Faso, et agir pour protéger les civils qui demeurent exposés à de graves dangers. »