Après dix-neuf mois à la tête d’une transition qui a mis un terme à cinquante-cinq ans de règne de la famille Bongo, Brice Oligui Nguema a été élu pour un mandat de sept ans dimanche 13 avril. Favori du scrutin et très populaire auprès de la jeunesse, il a été plébiscité par 90,35 % des votants, selon des résultats provisoires officiels annoncés par le ministère de l’intérieur.
Venance Konan
Ainsi donc Brice de Libreville ne fait plus partie des putschistes. Il vient d’être élu démocratiquement président de la république du Gabon. Très, très démocratiquement même, puisqu’il a élu à plus de 90%. Qui dit mieux ? N’est-ce pas qu’il a un destin, Brice de Libreville ! Il y a une image qui circule sur les réseaux sociaux où on le voit, marchant derrière feu Omar Bongo, portant le sac de ce dernier. Et la légende de la photo dit : « le porteur de sac peut aussi devenir président. »
Eh oui ! Il avait porté le sac du père, marché caché dans l’ombre du fils, et par la grâce du Saint-Esprit, en cette veille de la fête de Pâques, il est sorti, non pas du tombeau, mais disons, du statut infâmant de putschiste. Il est désormais un président élu, au même titre que Macron ou Trump. Plus rien à voir avec les chefs des juntes du Sahel ou de la Guinée. Eux, sont toujours des putschistes. Lui, il est président élu. Avec plus de 90% des voix, s’il vous plait ! Certaines mauvaises langues de jaloux saboteurs aux yeux de crocodiles parlent de score à la soviétique. Rectification. Au temps des partis uniques, tous nos chefs étaient toujours élus à 99,99%. Donc, score africain.
La démocratie sur les rails!
Brice de Libreville est devenu président à son corps défendant. Au départ, lorsqu’il renversait le fils Bongo, c’était pour remettre la démocratie sur les rails. Il faut dire qu’elle avait salement déraillé au Gabon avec l’annonce de l’élection de Bongo fils qui pouvait à peine se mouvoir après l’accident vasculaire cérébral dont il avait été victime, et les rumeurs selon lesquelles c’était en réalité son épouse qui portait désormais la culotte, aussi bien pour gérer sa maison que le pays. Assisté de son fils.
Brice avait dit, après son coup d’Etat, salvateur naturellement, qu’il remettrait le pays à un président civil démocratiquement élu. Lui était militaire. Et en plus le pouvoir ne l’intéressait pas. Tout le monde au Gabon connaissait le désintérêt de Brice pour l’argent et le pouvoir. Mais qu’est-ce qu’un militaire ? C’est un civil qui a porté une tenue militaire et tient une arme à la main. Que devient-il lorsqu’il dépose son arme et enlève sa tenue militaire ? Un civil, pardi.
Au départ Brice de Libreville ne voulait pas être président, on vous l’a dit. D’ailleurs aucun faiseur de putsch ne veut être président. Ceux de la Guinée, du Mali, du Burkina Faso, du Niger, de la Côte d’Ivoire en son temps, aucun ne veut être président. Au départ. Non, non, non ! Ils l’ont juré. Ils ne voulaient pas devenir présidents. Woualaï ! Dieu est leur témoin. Mais vous connaissez les peuples africains. Ils sont toujours reconnaissants envers celui qui les délivre du mal, ils comprennent instinctivement que celui-là a les compétences pour les diriger, et il suffit qu’on leur donne quelques billets de banque, un bout de pain accompagné quelques sardines, et qu’on les transporte dans des stades après avoir pris le soin d’embastiller tous ceux qui osent contester le nouveau messie, pour qu’ils exigent qu’il soit leur candidat. Surtout s’il danse bien le hip hop et plein d’autres danses. Devant l’insistance des peuples, il faut être sans cœur pour refuser de leur donner ce qu’ils demandent.
Le Gabon chancelant
Brice de Libreville a donc cédé et a accepté de faire don de sa personne à son bon peuple du Gabon. Il a donc enlevé sa tenue de général parée de toutes ses médailles et décorations, a mis des baskets, des jeans, des chemises en pagne, et s’est mis en campagne. Et le peuple qui ne doute aucunement de ses qualités, qui a surtout constaté qu’il est un excellent danseur, l’a plébiscité.
Brice de Libreville a un mandat de sept ans, renouvelable une fois. Bon, ça, c’est ce que la constitution dit. Heureusement, les constitutions africaines ne sont pas gravées dans le marbre. En quatorze ans, Brice de Libreville, pardon, le peuple gabonais a le temps de corriger sa constitution. Ou de la changer pour remettre le compteur à zéro. Brice de Libreville est encore jeune, et quatorze ans peuvent se révéler trop courts pour redresser un pays aussi penché que le Gabon qui n’aura bientôt plus de pétrole.