Acté le 15 décembre 2024 à Abuja, au Nigeria, par le 66 è sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO, le divorce entre cette organisation régionale et les trois pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES, Burkina Faso, Mali, Niger) est devenu définitif ce mercredi 29 janvier 2025. Dans un communiqué publié ce jour même, la CEDEAO a assuré que rien ne changera pour l’instant pour les ressortissants des trois pays de l’AES. Des assurances qui ne suffisent pas à apaiser certaines inquiétudes des diasporas sahéliennes établies dans les pays côtiers où elles représentent les premières communautés étrangères. Après la Côte d’Ivoire (1/3), Mondafrique vous amène au Bénin (2/3) et au Togo (3/3) rencontrer les diasporas sahéliennes et découvrir comment elles appréhendent la séparation entre la CEDEAO et l’AES
Seidik Abba, rédacteur en chef de Mondafrique.
Dans ce deuxième volet de notre série, Mondafrique se penche suur les diasporas sahéliennes au Bénin affichent une certaine sérénité et revendiquent le droit de mieux-vivre.
Correspondance de Cotonou, Thérèse Isseki
Du marché Gbègo de Porto-Novo à Dantokpa (marché international en plein cœur de Cotonou), en passant par St Michel, Zongo, Scoa Gbéto et Akpakpa Dodomè, les ressortissants des pays membres de l’AES (Mali, Niger et Burkina Faso) résidant au Bénin sont plus préoccupés par la recherche du pain quotidien et du mieux-vivre pour eux et leurs familles restées au pays que l’échéance du 29 janvier qui consacre le départ définitif de la nouvelle Alliance de la CEDEAO. Pour la plupart d’entre eux, rester ou sortir de l’espace CEDEAO ne constitue pas un problème tant que leur rêve de combler leurs besoins fondamentaux se réalise.
L’urgence de la survie quotidienne
Boubé Faissou, cordonnier ambulant nigérien rencontré à quelques encablures du marché Gbègo (autrefois marché de condiments mais devenu quartier général de vente d’électroniques et de pièces par les saheliens) à Porto-Novo, capitale politique du Bénin, ne comprend pas en quoi rester ou sortir de la CEDEAO lui importait. Il n’a qu’« Un seul rêve : Cirer et réparer plus de chaussures et gagner plus d’argent pour aller installer un commerce au pays. »
Son collègue, apparemment plus expérimenté montre sa caissette en souriant « j’ai ici AES et CEDEAO, les deux ensemble », tapant sur celle-ci pour signaler son passage aux éventuels clients, mais surtout pour éviter d’autres questions.
Bien que plus disponibles, les ressortissants sahéliens de Cotonou, sont également plus préoccupés par la survie au quotidien que par le débat politique d’actualité.
Soumaila, la trentaine, vendeur ambulant d’accessoires électroniques rencontré à ST Michel à Cotonou est clair : « Je suis venu ici depuis 4 ans, je réside à Akpakpa Dodomè avec d’autre frères retrouvés sur place, nous nous battons tous les jours pour survivre et rapporter quelque chose à nos familles restées au Niger. Je fais tout pour rentrer une fois par an, personne ne nous dit rien, mais on entend parler de ça. Tant que ça ne nous empêche pas de faire nos petits business, c’est bon ! ».
Juste à côté de lui, Adamou Abdoulaye, vendeur de chaussures, locuteur Djerma, une langue nationale nigérienne, apparentée au Dendi du Bénin, dit ne vouloir rien comprendre dans la guéguerre entre CEDEAO et AES : « Moi je ne veux pas parler dans cette affaire, je veux juste vendre et trouver de l’argent à envoyer à ma famille ».
A quelques km de là au quartier Zongo (le quartier général des ressortissants du Nord-Bénin et des pays sahéliens), Mamadou Abdoulaye, vendeur de sac en friperie, après une dizaine d’années au Bénin, dit savoir ce qu’il gagne dans son business, mais ne sait pas ce que lui rapporterait l’appartenance à la CEDEAO ou à l’AES.
Il poursuit : « Personne n’est encore venu nous voir, dès qu’ils viendront, nous allons leur poser des questions sur ce qui change pour nous ».
Son compatriote vendeur d’eau en sachets plus jeune et apparemment plus ambitieux demande : « si quitter la CEDEAO signifie avoir grande maison et grosse voiture, épouser et bien entretenir sa fiancée, il est prêt à applaudir et à soutenir l’AES ».
Amina F., elle, vendeuse de bouillie et beignets à Zongo dit suivre régulièrement les débats des hommes qui viennent acheter et en déduit que la seule chose qu’elle souhaite est que cela porte chance à ses enfants.
« Si les vivres et l’argent partagés la dernière fois peuvent l’être constamment, cela l’aiderait à mieux économiser ce qu’elle gagne de son petit commerce et investir pour quelque chose de plus grand ».
Cette jeune dame, la trentaine, embarquée par son mari dans l’aventure au Bénin depuis trois ans avec son garçon de deux ans à l’époque, s’est spécialisée dans la vente de bouillie de Sorgho et de beignets non loin de la mosquée.
Ce commerce lui permet d’envoyer régulièrement de l’argent et des vivres à sa maman restée au pays avec ses frères et sœurs et d’aider son mari, vendeur de dattes le jour et gardien dans un domicile privé la nuit.
Fousséni, le mari, en discute avec ses compatriotes en faisant le thé lors de ses gardes au domicile privé. Chacun a son point de vue et son penchant, mais ce qui n’est pas négociable pour ces jeunes sahéliens âges entre 20 et 40 ans, personne n’a demandé leur point de vue pour créer l’AES ou quoique ce soit, mais si cela signifie trouver du boulot au pays, être en sécurité et n’être pas obligé d’aller en aventure, ils sont prêts à coopérer.
Des sahéliens, barons du marché international
Plus sceptique, Alzima dit « Genda » lui, se demande si les actions sociales actuellement en cours au pays ne sont pas un trompe l’œil, et si la CEDEAO qui ne leur apporte rien ne serait pas meilleure.
A côté de Genda, Awali originaire d’une contrée malienne touchée par le djihadisme n’est pas prêt à oublier les frayeurs qui l’ont obligé à quitter sa terre natale et n’a pour combat que d’envoyer de l’argent à ses parents, parvenir à assurer pour sa famille la tabaski (fête musulmane marquée par le sacrifice du mouton).
A part la diaspora sahélienne qui se bat au quotidien dans plusieurs secteurs dont le gardiennage nocturne et le commerce ambulant, d’autres sont devenus des « barons du marché international de Dantokpa ».
Ils y maitrisent le secteur de l’électronique (Baffe, téléphones portables, l’électroménager et l’horlogerie). Dans cette zone que certains Béninois proches d’eux appellent « le siège des grands électeurs », le débat est plus houleux et les deux organisations y ont leurs militants et pourfendeurs. Arguments contre arguments, ils vous dévoilent ce qu’ils reprochent à la CEDEAO et ce qu’ils espèrent de l’AES.
Touré Amidou, de nationalité malienne, au Bénin depuis 1988, prend faits et- causes pour l’AES qui, pour lui, est la seule voie de développement de l’Afrique.
« Je ne sais pas exactement comment le quotidien est géré dans mon pays, mais ces jeunes font du bon boulot. Ce qu’ils font au Niger et au Burkina (dons de vivre et de pension, aux familles dans les villages) devrait inspirer le reste des dirigeants africains ».
« Nous avons été tout le temps de la CEDEAO, mais n’avons rien récolté, vivement que ces jeunes- là nous sortent de la souffrance », clama-t-il, avant de baisser la tête pour visser la montre qu’il venait de réparer.
Dans un kiosque jouxtant celui de Touré se trouve Moctar, un Nigéro-Nigérien (Mère Nigériane et Père Nigérien) vendeurs de montres qui, lui, ne cache pas sa colère vis à vis des dirigeants ouest-africains qui ne seraient pas assez « braves pour dire non à la France ».
« Nous nous avons fini avec la CEDEAO », s’est- il écrié refermant le bol de riz qu’il s’apprêtait à manger quand nous sommes arrivés.
Embouchant la même trompette, Malick, du Mali déclare : « J’ai connu beaucoup de choses dans CEDEAO, avant qu’on ne parte au Nigeria on n’a pas besoin de passeport, mais on ne nous facilite pas la tâche, les choses nous reviennent cher. Des instruments sont créés, mais aucun ne marche », déplore-t-il, mettant son espoir dans l’AES dont les dirigeants ont montré l’exemple. « Au Niger par exemple, le prix du riz est passé de 17 000 FCFA à 13000 FCFA et les populations des zones démunies ont droit à une subvention », poursuit le même Malick.
Fervents défenseurs de l’AES
Ces sahéliens de Cotonou, soutiens de l’AES ne se sentent pas découragés par les nouvelles conditions d’entrée dans les pays et promettent de s’y conformer. Ils serons, disent-ils, obligés de se procurer des cartes de séjour et autres papiers pour résider au Bénin, mais tout cela n’est rien comparé aux souffrantes endurées sous la CEDEAO.
« La CEDEAO s’est illustrée par des annonces et des textes qui ne fonctionnent pas. On nous parle de Zlecaf, mais on subit les mêmes tracasseries pour aller faire le commerce d’un pays à un autres » déplorent-t –ils.
Plus intransigeant, « Elhad Baffe », un quinquagénaire burkinabè surnommé ainsi, est un ardent défenseur de l’AES. Ce fils d’une localité rayée de la carte du pays parce que les terroristes y ont organisé une razzia est convaincu que la CEDEAO n’existe plus.
« Que faisaient-elle quand on rasait mon village, tuait mes parents ? Quand le Burkina Faso enregistrait 70 soldats tués en une journée, où était la CEDEAO ? Cette institution n’existait pas quand nous avions eu besoin d’elle, qu’elle ne vienne pas nous retenir maintenant que nous avons par nous-mêmes acquis la force pour nous relever », lança-t-il.
Un de ses compatriotes qui refusait de parler et nous renvoyait vers l’ambassade pour avoir la version de leurs dirigeants a fini par craquer et nous demande de lui dire « ce qui a pu être tiré d’une institution qui ne sert que les intérêts de la France ?».
Poursuivant son réquisitoire, il déclare : « En soixante ans, le Burkina n’a pas eu d’avion présidentiel, nous en avons maintenant, même des usines s’installent au fur et à mesure pour transformer les produits agricoles et nous pouvons nous-mêmes monter les voitures et des ordinateurs. Nous ne pouvons que rendre grâce à ces jeunes de l’AES et souhaiter qu’Allah les aide à réussir leur mission ».
Saliou Maïga, étudiant malien en Agronomie à l’Université catholique de l’Afrique de L’Ouest (UCAO de Cotonou), se résume, « j’ai appris à connaitre la CEDEAO et ses instruments d’intégration en classe de troisième, cette connaissance a été approfondie en terminale puis maintenant à l’université. Le contraste c’est que tous ces instruments ne fonctionnent pas. L’AES est née du non fonctionnement de ces instruments et organes, mais cela ne doit pas amener à rejeter tout ce qui a été fait de bon ».
Abondant dans le même sens, Yussuf Yussuf communément appelé « Peulh » est de nationalité nigérienne. Il rejette les accusations de ses autres frères et leur reproche de se baser sur les Fake news véhiculées par les réseaux sociaux pour se ranger du côté de l’AES.
En fin connaisseur des points d’insécurité aux frontières du Bénin, du Niger et du Burkina Faso, ce propriétaire de troupeaux de bœufs qui sillonnent les frontières de trois pays, recommande aux pays concernés de mutualiser leurs moyens, selon les textes de la CEDEAO pour venir à bout des Djihadistes.
« La CEDEAO date d’avant la naissance de certains responsables qui veulent aujourd’hui sa disparition. Il faut juste actualiser les textes et voir ce qui ne marche pas que de continuer à créer une autre dont on ne sait pas encore ce dont elle révèle », indique-t-il avant de conclure.