Bénin, la ville de Ouidah entre vodou et mémoire de l’esclavage

Le gouvernement du président Patrice Talon a choisi de ne pas oublier cette page de l’histoire africaine et de faire de Ouidah, une ville culturelle dont les deux pieds seraient la mémoire de la traite des esclaves et le culte du Vodou dont la ville est le berceau.

Venance Konan

Une sculpture sur la place aux esclaves

Ma première visite de Ouidah remonte à une quinzaine d’années, lors d’un voyage organisé par la Francophonie pour une dizaine de journalistes venus d’Afrique, d’Europe et du Canada. Lorsque nous passâmes à côté du domicile de la famille de Souza, le guide nous expliqua que le premier de Souza, Francisco Félix, un métis venu du Brésil, fut l’un des plus grands vendeurs d’esclaves de la région. Un confrère canadien demanda à savoir comment étaient les relations entre les membres de cette famille et le reste de la population. Le guide expliqua que ces relations étaient très bonnes et que la famille de Souza était l’une des plus prospères et respectées de la ville. Puis il ajouta d’une petite voix qui ne cachait pas sa fierté : « moi-même je sors avec une fille de Souza. »

Le Canadien ne comprenait pas que cette famille qui avait vendu des esclaves soit respectée aujourd’hui. Le guide, un Béninois, ne comprenait pas la préoccupation du Canadien. Le malentendu était total. L’esclavage n’a jamais constitué un problème pour les Africains. Ils s’en offusquent lorsque les autres s’en offusquent, ils l’oublient lorsque les autres l’oublient. Mais les choses sont en train de changer.

     Le fort de Ouidah

La ville de Ouidah, dont le nom est dérivé de Huéda, le H se prononçant comme le J espagnol, fondée en des temps immémoriaux, fut conquise en 1727 par le roi du Dahomey. Au XVIIIème siècle, elle fut l’un des centres de vente des esclaves vers les Amériques, principalement vers le Brésil, Haïti et les Caraïbes. C’est de Ouidah que le culte vodou se propagera dans ces pays. Le vodou est la religion traditionnelle du sud du Bénin, du Togo et d’une partie du Nigeria. Lorsqu’il arriva en Amérique avec les esclaves, il fut utilisé comme ciment de la communauté noire et moteur spirituel de la lutte pour leur libération.

C’est dans la nuit du 14 au 15 août 1791 qu’au cours d’une cérémonie vodou organisée au lieu-dit du Bois Caïman, les insurgés de Saint-Domingue (actuel Haïti) firent le serment de se libérer de leurs chaînes, donnant ainsi le point de départ de la révolution qui conduira Haïti à son indépendance. Les européens présentèrent par la suite le vodou comme de la sorcellerie, quelque chose de démoniaque servant à commettre des crimes et le cinéma d’Hollywood contribua à véhiculer cette image dans le monde entier. Au point que dans un pays comme la Côte d’Ivoire, un adepte du vodou est considéré comme une sorte de sorcier.

Le commerce des esclaves fut si florissant à Ouidah que les puissances esclavagistes européennes de l’époque qu’étaient la France, la Grande Bretagne et le Portugal y fondèrent des forts dont les traces subsistent encore. Le Dahomey, fut colonisé par la suite par la France et devint indépendant en 1960, avant de changer de nom pour s’appeler le Benin. La vielle ville de Ouidah a été rénovée, avec de petites rues pavées, les vieilles maisons couleur ocre réhabilitées, avec de nombreuses places et plusieurs sites et musées que l’on ne saurait manquer.

Le temple des pythons

 

Il y a le notamment temple des pythons, où des centaines de serpents sont élevés. Une fois dans le mois, ils sont lâchés dans la ville, mais ils reviennent tous seuls au bercail. Les pythons sont des serpents complètement inoffensifs et les visiteurs peuvent faire des photos avec un serpent enroulé autour du cou. Juste en face du temple des pythons se trouve la cathédrale catholique de Ouidah, ce qui témoigne de la tolérance religieuse de la ville. D’ailleurs de nombreux chrétiens catholiques béninois sont aussi des adeptes du culte vodou. Il y a aussi la forêt sacrée de Kpassé où l’on trouve une multitude de statues et monuments du culte vodou, le fort portugais qui a été rénové, les autres, français ou anglais ayant été détruits.

Et puis il y a la route des esclaves qui se termine à la Porte du Non-Retour. Elle commence à la « Place Chacha » en face de la résidence familiale des de Souza, où les esclaves étaient vendus sous un grand arbre. La route fait quatre kilomètres jusqu’à la mer, où les esclaves étaient embarqués dans de petites pirogues qui les conduisaient vers les bateaux qui ne pouvaient pas accoster à cause du phénomène de la barre. Le chemin était jalonné de plusieurs escales, aujourd’hui matérialisées par plusieurs places et statues.

La reproduction des navires des négriers

La Porte du Non-retour est représentée par une sculpture et un bateau, reproduction des navires des négriers, est en cours de construction au bord de la mer. La ville est très ombragée, aucune ordure n’y traine et c’est un bonheur que de se promener dans ses petites ruelles ou de savourer un excellent mets béninois dans l’un de ses nombreux restaurants maquis.

Depuis 2024, le Bénin organise en janvier les « Vodoun Days », pour célébrer l’art, la culture et la spiritualité vodou. Il se déroule sur trois jours et comprend des festivals, des concerts, des danses, des processions de différents couvents vodou et des cérémonies. En ce moment il n’y a plus aucune place dans aucun hôtel à Ouidah pour l’édition de 2026. Mais Ouidah est à une cinquantaine de kilomètres de Cotonou, et deux excellentes routes séparent les deux villes. Il est donc loisible de résider à Cotonou et de venir assister ou participer aux festivités à Ouidah.