Boualem Sansal, dix ans de prison, mais une amnistie posssible

Le parquet du tribunal correctionnel de Dar El Beida, près d’Alger, vient de requérir dix ans de prison ferme contre l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, accusé d’atteinte à l’intégrité territoriale de l’Algérie, ont rapporté plusieurs médias algériens jeudi.

Emprisonné depuis le 16 novembre à son arrivée à l’aéroport d’Alger, Boualem Sansal doit attendre le 27 mars pour connaître son verdict. Selon les médias Echorouk et TSA, l’auteur est poursuivi pour plusieurs chefs d’accusation, notamment « atteinte à l’unité nationale, outrage à corps constitué, pratiques de nature à nuire à l’économie nationale et détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité du pays ».

Le paradoxe algérien, le voici. L’entourage de Boualem Sansal n’a jamais autant espéré qu’aujourd’hui dans une amnistie de l’écrivain franco au moment même où ce dernier est menacé, lors d’un procès joué d’avance, de dix ans de prison. 

Voici moins de trois mois, la possibilité d’une amnistie avait été envisagée par le pouvoir algérien, du moins par certains dirigeants de ce pays, et acté dans un texte officiel comme Mondafrique l’avait révélé. Dans le dernier paragraphe d’un long communiqué de la présidence algérienne qui annonçait en décembre dernier  une vaste amnistie (voir le texte en note ci dessous), la libération de huit détenus en attente de jugement est annoncée sans d’avantage de précisions. De bonne source, Mondafrique avai appris que l’écrivain Boualem Sansal figurait parmi les bénéficiaires de la grâce présidentielle, sans que son nom soit mentionné. « En plus de huit mesures de détention provisoire et de procédure (dont celle de Sansal, son nom n’apparaissant pas), des mesures d’apaisement sont également liées aux infractions à l’ordre public », était-il indiqué de façon alambiquée dans le communiqué présidentiel.

Encore fallait-il qu’un certain formalisme judiciaire soit respecté, ce qui est souvent le cas en Algérie, et que le procès ait lieu. On ne comprend rien à l’affaire Sansal si on ne tient pas compte de la conviction du pouvoir algérien et d’une partie de son opinion publique que les déclarations provocantes et grossières sur la réalité des frontières du pays, comme l’avait relevé l’historien Benjamin Stora, constituaient un véritable délit  

Malgré le climat de tension entre Paris et Alger, les révélations sur la santé fragile de Boualem Sansal, la mobilisation discrète de l’Élysée qui n’apas cédé aux sirènes anti algériennes de la droite française et les appels à l’indulgence venus de la classe politique européenne semblent avoir fait bouger les lignes. Si les prises de position de Sansal sont incontestablement polémiques, la place de cet écrivain n’est clairement pas en prison.

                                   Nicolas Beau, directeur de Mondafrique

En décembre dernier, le président Abdelmadjid Tebboune a qualifié Boualem Sansal d’« imposteur (…) envoyé par la France », selon le site d’information TSA. « Vous envoyez un imposteur qui ne connaît pas son identité, ne connaît pas son père et vient dire que la moitié de l’Algérie appartient à un autre État », avait déclaré le chef de l’État algérien, dans un extrait d’un discours officiel, rapporté par TSA. Résultat, l’écrivain vient d’être condamné à dix ans de prison par la justice algérienne

Pour rappel, Sansal a été arrêté le 16 novembre dernier à l’aéroport d’Alger alors qu’il s’apprêtait à embarquer pour Paris. Depuis, il est poursuivi en vertu de l’article 87 bis du code pénal algérien, qui sanctionne « comme acte terroriste ou subversif tout acte visant la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions ».

Selon les autorités algériennes, l’écrivain aurait tenu des propos controversés remettant en cause l’intégrité territoriale du pays lors d’une interview accordée début octobre au média français d’extrême-droite Frontières. Il y aurait repris la position marocaine selon laquelle le territoire algérien aurait été tronqué à l’époque coloniale. Ses déclarations très critiques envers le pouvoir algérien ont également déplu.

Un vrai faux opposant

Né en 1949 à Theniet El Had en Algérie, Boualem Sansal est ingénieur de formation. Il occupe de hauts postes dans l’administration et l’industrie jusqu’à son licenciement en 2003, officiellement pour avoir critiqué le gouvernement dans ses écrits.

Sansal publie son premier roman Le Serment des barbares en 1999, récompensé par le Prix du Premier Roman. Son œuvre, traduite dans de nombreuses langues, explore avec un regard acéré l’histoire récente et la société algérienne. Parmi ses titres les plus connus, on peut citer L’Enfant fou de l’arbre creux (2000), Harraga (2005) ou encore 2084 : La Fin du monde (2015), une fiction dystopique qui évoque les dérives d’un régime religieux totalitaire.

S’il vit en France depuis les années 90, Sansal a toujours gardé un lien fort avec l’Algérie dont il est un observateur engagé et un critique virulent. Il dénonce régulièrement le pouvoir en place, la corruption, le manque de libertés et l’emprise grandissante de l’islamisme qu’il considère comme une menace majeure, tout en ayant profité d’une véritable sinécure sous le rêgne du président Bouteflika.

Un positionnement controversé

Apprécié dans certains cercles littéraires et politiques parisiens pour son franc-parler laïcard, son apologie des valeurs occidentales  et son combat affiché pour la démocratie, Sansal suscite cependant la polémique ces dernières années par des prises de position de plus en plus controversées, notamment au sujet de l’islam et de l’immigration.

Dans ses déclarations comme dans certains de ses livres, il établit fréquemment un parallèle entre islamisme et nazisme, dénonçant le premier comme une « dictature extrême » proche du second dans ses méthodes et ses objectifs. S’il se défend d’être islamophobe, l’écrivain n’hésite pas à qualifier l’islam de « loi terrifiante » devenue « totalitaire ». Il appelle à une profonde réforme de la religion musulmane pour qu’elle retrouve sa spiritualité première.

Depuis quelques années, Sansal semble aussi se rapprocher de certains milieux d’extrême-droite en France. L’entretien accordé à Frontières en octobre, où il développe selon des analystes un discours hostile aux immigrés et aux musulmans dans la lignée d’Éric Zemmour, en est le dernier exemple en date. Son approche de l’histoire, notamment sur la question du Maroc et de l’Algérie, relèverait également d’une rhétorique identitaire décomplexée.

Cette évolution est pointée du doigt par plusieurs observateurs comme le politologue Nedjib Sidi Moussa, qui estime que l’écrivain a « suivi une pente droitière » ces derniers temps, que ce soit dans ses positions sur l’islam, la gauche radicale, les migrants ou encore les « woke ». Un glissement qui contribue à faire de lui une figure appréciée d’une certaine frange de l’extrême-droite française.

Si c’est la première fois que Boualem Sansal est incarcéré, l’écrivain a déjà eu maille à partir avec la justice algérienne par le passé. En 2006, son essai Poste restante : Alger. Lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes est interdit à la vente pour « atteinte au Président ». Menacé, l’auteur doit quitter précipitamment le pays.

En 2021, Sansal est condamné par contumace à 3 ans de prison pour « outrage à corps constitué » et « atteinte à l’unité nationale » après des déclarations critiques envers l’armée. Le verdict est confirmé en appel l’année suivante.

Depuis son incarcération, Boualem Sansal bénéficie d’une forte mobilisation en sa faveur, aussi bien en Algérie qu’à l’international. Outre les appels de ses proches et de son avocat, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer sa libération au nom de la liberté d’expression.

En France, une pétition lancée par les éditions Gallimard a recueilli près de 50 000 signatures. Un rassemblement s’est tenu le 12 décembre devant l’ambassade d’Algérie à Paris pour dénoncer « l’acharnement » contre l’écrivain. Le Quai d’Orsay a de son côté fait part de sa « vive préoccupation » et appelé à « un traitement digne et humain ».

Le Parlement européen a voté le 15 décembre une résolution demandant « la libération immédiate et inconditionnelle » de Sansal, qualifié de « prisonnier d’opinion ». L’ONG Amnesty International, le Pen Club et Reporters sans Frontières ont eux aussi condamné son arrestation et exigé sa remise en liberté.

En Algérie, si l’affaire divise, des intellectuels, des artistes et des défenseurs des droits humains se sont mobilisés pour apporter leur soutien. Un comité réunissant des personnalités comme le sociologue Lahouari Addi ou le militant Fodil Boumala a été créé. Des rassemblements se sont tenus à Alger, Oran et Tizi Ouzou malgré l’interdiction des autorités.

 

(1) Le Président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, a décidé  d’informer 2471 détenus de l’amnistie présidentielle et des mesures calmantes, qui couvrent les catégories suivantes :
Amnistie totale pour les personnes sans emprisonnement définitif dont la peine est inférieure ou égale à 24 mois d’emprisonnement
Amnistie totale pour les personnes en détention avec une peine de prison inférieure ou égale à 18 mois
La peine est partiellement réduite de 18 mois pour les personnes condamnées à une peine définitive d’emprisonnement supérieure à 18 mois et égale ou inférieure à 30 ans.
La réduction totale et partielle de la peine est portée à 24 mois pour les condamnés âgés de 65 ans ou plus, les mineurs, les femmes enceintes et les mères d’enfants jusqu’à 3 ans.
Le président de la République avait également décidé d’établir des exceptions à l’amnistie dans les catégories énumérées dans le décret présidentiel.
Il a également décidé de donner à 14 détenus une procédure de pardon total pour le reste de leur peine finale pour des infractions d’ordre public.
En plus de huit mesures de détention provisoire et de procédure, des mesures d’apaisement sont également liées aux infractions à l’ordre public.

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