En Côte d’Ivoire, le président ivoirien s’apprête à donner le coup d’envoi de « la plus grande coupe d’Afrique des nations (CAN) de son histoire » qui débute le samedi 13 janvier prochain en lui associant, à grands renforts de publicité, une image revue et corrigée du bilan de son rêgne. Alassane Ouattara veut en effet séduire le monde dont les yeux seront focalisés, pour un mois, sur Abidjan, « la perle des lagunes » comme disent fièrement les Ivoiriens.
Bati Abouè
À l’occasion de la CAN, Ouattara veut qu’on s’extasie en découvrant les jolis ponts et les dernières infrastructures dont le pays s’est doté au prix d’un endettement colossal. Il a d’ailleurs pris soin de raser toutes les chaumières aux alentours des lieux de rassemblement des athlètes venus des douze pays qualifiés pour ne pas que les convives de « la grande fête du football africain » s’habituent à la misère des Ivoiriens dissimulée derrière leur gouaille caractéristique.
Mais à Abidjan, nul n’est dupe. Le président ivoirien veut être l’homme qui restitue à la Côte d’Ivoire sa grandeur afin de s’imposer comme une figure paternelle indispensable. Il se prend pour Houphouët « le grand bâtisseur de la Côte d’Ivoire moderne » dont la longue carrière de président a pris fin à sa mort.
Pour y parvenir, Ouattara joue de tout : la manipulation permanente des masses comme avec cette CAN, la justice politique contre ses adversaires les plus résolus, le rattrapage ethnique contre les communautés non originaires du nord de la Côte d’Ivoire et la gestion en circuit très fermé de son régime.
Le maître des horloges ivoirien
Après avoir écrasé toute contestation politique et sociale, le président Ouattara a pu laisser, selon un timing bien soupesé, le soin à ses proches de lancer et de multiplier les alertes sur sa prochaine candidature avant chaque élection. Lui, en apparence, y rechigne fortement, « trop épuisé par toutes ces années de sacrifice ». Mais l’histoire laisse toujours des leçons. Et en 2020, le président ivoirien avait aussi rusé jusqu’au bout en annonçant devant les parlementaires réunis en congrès à Yamoussoukro qu’il ne serait pas candidat à sa succession. Mais il avait ensuite fait machine-arrière à l’occasion du décès brutal de son Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, l’héritier politique qu’il a désigné d’autorité pour lui succéder.
Mais partir, c’est vouloir partir et Alassane Ouattara aurait pu le faire en 2020 si tel avait vraiment été sa volonté. D’autant plus que son inextinguible ambition présidentielle prend sa source dans son incroyable déni. En effet, avant la présidentielle de 2020, l’ancien président pensait déjà qu’il n’était pas candidat à son troisième mandat, tout comme il ne serait pas candidat à son quatrième mandat dans deux ans s’il décidait officiellement de faire le pas. Parce que pour lui, le seul changement de Constitution en 2019 a suffi à mettre tous les compteurs à zéro. Cela fait pourtant 13 ans que lui, qui ne demandait qu’un seul mandat pour transformer la Côte d’Ivoire, est aux manettes d’un pays où le mandat présidentiel est de 5 ans.
2023, dix suicides étudiants
L’autre déni est que le président ivoirien se croit tellement indispensable, comme tous les autocrates de la terre, qu’il se voit comme un sacrifice pour le bien-être de son peuple. Pourtant, sous sa gouvernance, la société ivoirienne s’est encore délitée un peu plus qu’avant avec la chasse aux sorcières menée, dans l’administration contre les cadres de l’opposition et, dans la rue contre les populations pauvres qui payent la brutalité de ses déguerpissements qui n’en finissent plus. Pendant ce temps, dans l’éducation nationale, les apprenants dorment dans les amphis faute de dortoirs, de structures pédagogiques et, pour la seule année 2023, les campus universitaires ivoiriens ont connu une dizaine de suicides d’étudiants.
D’ailleurs, la Côte d’Ivoire dont le succès a toujours reposé sur l’agriculture embarrasse désormais ostensiblement ses paysans. Si les prix du café et du cacao se sont en effet maintenus tant bien que mal au regard de l’inflation galopante, l’hévéaculture et l’anacarde dont les prix s’étaient hissés à des hauteurs considérables ne se vendent pratiquement plus. Les villages connaissent même un retour de la famine avec tous les malheurs que cela charrie.
Tidjane Thiam, l’ultime espoir
Seule l’élection de Tidjane Thiam à la présidence du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) fait renaître l’espoir d’une alternance. Arrière petit neveu d’Houphouët-Boigny, l’irruption de cet ancien directeur général de l’ancien Crédit Suisse dont on vante le carnet d’adresses international fait de nouveau entrevoir des lendemains meilleurs dans le cœur des militants du PDCI. En raison de ses amitiés plutôt assumées avec le président français, Thiam serait en effet en mesure de sortir M. Ouattara, 82 ans aujourd’hui et 84 ans dans deux ans, si l’envie venait à Ouattara d’écraser à nouveau la fronde sociale lors d’une factice réélection. Mais pour l’heure, en Côte d’Ivoire, tous les cœurs battent pour les Eléphants ivoiriens et pour la CAN. A commencer par Ouattara qui joue presque son destin à cette occasion.