Un commando du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM ou encore JNIM), l’organisation qui coiffe les différents groupes djihadistes affiliés à Al Qaida au Sahel, a attaqué le mardi 17 septembre au petit matin l’aéroport de Bamako et l’école de gendarmerie du quartier de Faladjé. Les forces armées maliennes ont repris le contrôle des deux emprises.
Selon de nombreuses sources sécuritaires et civiles jointes par RFI, le bilan pourrait être bien plus lourd : au moins une trentaine de gendarmes et soldats tués, sans doute plus. Car les chiffres varient, selon les sources, qui avancent plusieurs dizaines de blessés, qui ont afflué dans les hôpitaux de la capitale.
L’obsession anti Wagner
Dans ses messages de propagande, le Jnim revendique « une centaine » de personnes tuées ou blessées et affirme avoir infligé « de lourdes pertes aux mercenaires de Wagner ». « On ne sait même pas encore le nombre exact, mais c’est incommensurable », explique avec colère une source sécuritaire malienne.
On ignore en effet le nombre précis de victimes de part et d’autre. Cette attaque fait suite à des menaces répétées du GSIM contre les trois capitales de l’Alliance des Etats du Sahel.
Dans l’une des vidéos filmées dans l’aéroport désert, on voit un djihadiste en treillis, coiffé d’un chèche vert, mettre le feu au réacteur de l’avion présidentiel. Le salon d’honneur est également pris à partie. Plusieurs aéronefs auraient été endommagés, selon diverses sources, dont un appareil des Nations unies.
A l’école de la gendarmerie, des élèves gendarmes ont été surpris dans leur sommeil, si l’on en croit une autre vidéo montrant plusieurs corps carbonisés auprès des lits, encore vêtus de leur tenue de sport.
Le chef d’Etat-major de l’armée malienne, le général Oumar Diarra, est intervenu à la télévision, à partir de l’école de gendarmerie, pour annoncer que « les terroristes qui ont été infiltrés (avaient) été neutralisés et que leurs complices étaient recherchés ». Il est apparu auprès d’un groupe d’une vingtaine d’hommes en civil, des djihadistes présumés, ligotés au sol, yeux bandés.
Eviter les amalgames
La réponse de la junte au pouvoir ne brille pas par son originalité. Le général Diarra a parlé d’une « tentative d’infiltration un peu complexe » et d’une « situation sous contrôle. » Il s’est également adressé à la population malienne pour lui dire que « la situation était faite exprès ». Les populations doivent collaborer avec les forces de défense mais « éviter les amalgames ». « L’objectif de ces terroristes-là est de nous mettre dos à dos et d’essayer de stigmatiser les gens par ci, par là. »
Dans un communiqué diffusé plus tôt, le ministère de la Sécurité et de la Protection Civile avait dit compter « sur la vigilance et l’esprit patriotique des populations tout en les exhortant à signaler aux forces de défense et de sécurité tout mouvement suspect ou fait digne d’intérêt. » Dans la journée, dans la capitale, plusieurs agressions de civils contre des personnes portant des symboles religieux salafistes ou vêtus à la mode nomade peule et touareg ont été rapportées, réveillant le souvenir des ratonnades anti-Touareg de 2012, lors du déclenchement de la rébellion du nord. Certaines sources parlent carrément de lynchages.
La revendication du GSIM
Dirigé par Iyad Ag Ghalia qui fut longtemps l’ennemi public numéro un de l’armée française présente alors au Mali, le GSIM a revendiqué à chaud l’attaque de Bamako. Un communiqué a annoncé que « les moudjahidine (avaient) pris le contrôle total de l’aéroport militaire Modibo Keita, infligeant de lourdes pertes aux mercenaires de Wagner et détruisant plusieurs avions et véhicules ».
Dans une vidéo diffusée plusieurs jours avant l’attaque, un combattant djihadiste menace directement le colonel Assimi Goïta à visage découvert.
Selon une source de Mondafrique, près de 400 hommes appartenant aux deux katibas maliennes Macina et Sarma et à la katiba burkinabè soeur d’Ansaroul Islam auraient été recrutés et formés depuis février par le Mauritanien Abou Hamza Chinghetti près de Tombouctou, notamment dans l’utilisation des véhicules kamikazes. Il s’agit ainsi, pour le GSIM, de répondre à l’union militaire affichée par les armées des trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), dont l’anniversaire de la création était célébré mardi. La présidence de l’AES est actuellement assurée par le colonel Assimi Goïta. Bamako n’a pas été choisi par hasard.
Des attaques déja en janvier
Un groupe islamiste armé lié à Al-Qaïda a tué au moins 32 civils, dont 3 enfants, et a incendié plus de 350 maisons dans le centre du Mali en janvier 2024, forçant environ 2 000 villageois à fuir, a déclaré Human Rights Watch Human Rights Watch a documenté cette contre les villages d’Ogota et d’Ouémbé, dans la région de Mopti, le 27 janvier. Ces attaques ont eu lieu dans le contexte d’un cycle de meurtres et de violences communautaires commis en guise de représailles dans le centre du Mali. Les autorités militaires de transition du Mali, qui ont pris le pouvoir lors d’un coup d’État en mai 2021, devraient enquêter d’urgence sur ces abus, poursuivre les responsables de manière équitable et mieux protéger tous les civils en danger.
« Des groupes armés islamistes et des milices ethniques attaquent brutalement des civils sans crainte de poursuites », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités devraient agir pour mettre fin aux cycles meurtriers de violence et de meurtres commis par vengeance et mieux protéger les civils menacés. »
L’agrégation de groupes disparates
Comme en Afghanistan où la victoire des talibans a été acquise par l’alliance entre la connaissance du terrain et le maillage territorial, le GSIM agrège un ensemble de groupes disparates : Ansare Dine, créée en 2012 par Iyad Ag Ghali, pour rallier une partie de la communauté touarègue la Katiba Macina d’Amadou Koufa, dont le fief se situe au centre du pays, la Katiba Serma, près de la forêt éponyme, dans le Centre, et la Katiba Gourma, dans la zone des trois frontières communes au Burkina Faso, au Mali et au Niger.
Par le nombre des structures qu’il fédère mais surtout par son implantation ethnique ouverte aux populations arabe, touareg, peul ou bambara, le GSIM revendique une identité nationale malienne comparable à la dynamique créée par les talibans dans ses alliances avec les structures tribales afghanes.
Tout comme « les frères » de Kaboul, le GSIM a adopté la même architecture organisationnelle que les talibans : Un conseil de chefs, Majilis-Al-Ayan au sommet assisté par une assemblée générale populaire Majilis-Al-Choura. Comme chez les talibans, et à la différence de l’EIGS, n’il n’y a pas dans le GSIM un « gourou », mais une sorte de « responsable » délégué. Iyad Ag Ghali n’est que « le Mollah » du GSIM, une sorte de « Mollah Omar », de son vrai nom Mohammad Omar, chef des talibans de 1994 jusqu’à son décès en 2013.
Dans le collimateur de la junte
En novembre 2023, le pouvoir judiciaire malien avait annoncé l’ouverture d’une enquête sur plusieurs séparatistes ethniques et chefs de groupes armés liés à Al-Qaïda, dont Iyad Ag Ghaly, pour terrorisme et blanchiment d’argent. Ce dernier est toujours en liberté.
Human Rights Watch a documenté de manière détaillée les abus généralisés commis par Ansar Dine contre des civils dans le nord du Mali alors que le groupe appliquait son interprétation stricte de la charia, ou loi islamique. Ces abus incluaient des exécutions sommaires, des passages à tabac, des flagellations et des arrestations arbitraires de personnes ayant un comportement décrété comme haram (« interdit », en arabe), notamment la consommation de cigarettes, l’écoute de musique et le non-respect des prières quotidiennes. Une police islamique appelée Hisbah infligeait les châtiments pour ces « infractions, » souvent à l’issue de « procès » sommaires.
Mali, le chemin vers le pouvoir d’Iyad Ag Ghali