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Ahoua Don Mello, Monsieur BRICS Afrique, dénonce toute « hégémonie monétaire »

Alors que le sommet BRICS Afrique se tient en Afrique du Sud les 22 et 24 août, l’Ivoirien Ahoua Don Mello, représentant pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale  de l’alliance BRICS, donne un entretien à Nicolas Beau, directeur de la rédaction de Mondafrique. « La crise nigérienne est un accélérateur de changement en Afrique », explique-t-il.

Mondafrique : Le sommet BRICS AFRIQUE se tient ces 22 et 23 août, à Johannesburg.  Quels en sont les enjeux ? :

AD : L’enjeu fondamental est la construction d’un monde multipolaire. Le seul continent qui reste entièrement et totalement dominé, est l’Afrique depuis la conférence de Berlin de 1884-1885.

Ce sommet sonne comme le début de la fin de l’ordre berlinois sur le continent africain et son ouverture  sur le monde asiatique, eurasiatique, et sud-américain.

A Johannesburg, il sera aussi question de l’élargissement des BRICS à plusieurs pays africains et la définition de leur offre financière, monétaire, technique et logistique, afin de renforcer leur coopération avec l’Afrique en vue de son évolution vers un pôle économique africain intégré.

Mondafrique : Quels sont les pays africains qui intègreront les BRICS lors de ce sommet de Johannesburg ? :

AD : Plusieurs pays africains ont pris conscience de l’avenir que constituent les BRICS. Il est difficile au stade actuel de désigner les pays qui y seront admis. Le consensus est la règle.

Mondafrique : La dédollarisation de l’économie est-elle à l’ordre du jour ? :

AD : Un monde multipolaire est incompatible avec une hégémonie monétaire. Les pays africains ont plus que jamais l’obligation de se soustraire de tous les accords monétaires qui leur imposent une seule devise et diversifier leurs devises pour pouvoir élargir leurs champs de coopération. En tout état de cause, le sommet des BRICS jettera les bases d’une nouvelle coopération monétaire et financière.

Mondafrique : La Russie est déconnectée du réseau Swift. Comment les pays Africains peuvent-ils coopérer avec la Russie frappée par plusieurs sanctions ? :

AD : Le Swift est un exemple d’hégémonie occidentale. La diversification des techniques de transfert d’informations financières est une réalité au sein des BRICS. L’implantation des banques des pays BRICS en Afrique constitue une réponse. En attendant, les banques d’Afrique du Sud peuvent jouer un rôle relais.

Mondafrique : Quels sont les domaines financés par la Banque des BRICS ? :

AD : Les BRICS s’inscrivent dans une dynamique d’intégration des infrastructures en Afrique (routes, autoroutes, chemins de fer, télécommunications, énergies) et aussi dans une dynamique d’industrialisation du continent. Ses ressources sont orientées vers ces domaines.

L’objectif stratégique des Africains est de constituer un pôle économique autosuffisant pour accroître les échanges intra-africains.

Mondafrique : Avec les problèmes sécuritaires en Afrique, la volonté que vous affichez d’accroître les échanges intra-africains ne relève-t-elle pas d’un doux rêve ? :

AD : Plus que des questions de sécurité, c’est avant tout l’absence de souveraineté des Etats Africains qui engendre l’insécurité. En zone francophone, les accords de défense signés au lendemain des indépendances ont désarmé les Etats d’Afrique francophone au profit des bases militaires françaises. Ces accords sont assortis d’accords économiques qui dépossèdent les Etats de la libre gestion des matières premières. Ils n’en tirent que  20% en moyenne, lesquels sont vite repris par le jeu de la corruption et des contrats de gré à gré dans l’exécution des marchés publics contrairement aux pays du moyen orient qui bénéficient de plus de 80% de l’exploitation de leur gaz et de leur pétrole. Désarmés, les pays Africains font face à l’insécurité engendrée souvent par des coups d’Etat et des agressions opérés souvent avec l’appui des bases militaires implantées sur le continent, comme ce fut le cas de la Libye et de la Côte d’Ivoire, en 2011. La pauvreté grandit dans ces pays dépossédés économiquement. Elle constitue le principal fertilisant du djihadisme.

Mettre fin à ces accords de défense et leurs contreparties économiques et monétaires et faire monter en puissance les armées nationales et la part des Africains dans l’exploitation de leur richesse par la diversification des partenaires, marquent le début de la conquête de la souveraineté pour faire face aux problèmes de sécurité et d’intégration économique afin de créer un pôle économique africain. Les BRICS offrent une opportunité de diversification.

Mondafrique : Croyez-vous vraiment que Wagner offre une alternative crédible ? :

AD : C’est aux Etats Africains d’apprécier. Aux yeux des Africains, la Russie reste crédible par rapport à son passé. Elle s’est opposée à l’esclavage et à la colonisation et a fortement contribué à la lutte contre le colonialisme et l’apartheid. Aujourd’hui encore elle soutient les luttes pour la souveraineté et l’intégration du continent.

Mondafrique : En attendant, on assiste au retour des coups d’Etat à répétition. Que la France condamne. Pas vous ? :

AD : La France condamne tous les coups d’Etats mais réserve un traitement différent quand cela sert ses intérêts ou pas. Ces derniers temps, c’est vrai, il y a eu plusieurs coups d’Etat au sein de la CEDEAO  au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger. Mais leurs traitements par Paris diffèrent selon les intérêts de la France.

Mondafrique : Dans le cas du Niger, la France demande le rétablissement du Président Bazoum pour restaurer la démocratie et l’ordre constitutionnel. N’est ce pas une contribution majeure à la démocratie ? :

AD : D’abord, je constate que ça n’a pas été le cas pour les autres. Malgré le travail important abattu par l’équipe de Bazoum sur le plan économique, l’armée Nigérienne a mis fin à son mandat. C’est bien sûr condamnable. Mais plus condamnable est la volonté de vouloir éteindre le feu avec du feu en déclarant la guerre à une armée soudée avec une bonne partie de son peuple. Au nom de la démocratie, s’agirait-il de délivrer un permis de tuer à l’armée française, en la camouflant derrières des rebelles et djihadistes recyclés  qui seront drapés dans les treillis de la CEDEAO ? On comprend mieux pourquoi la France et la CEDEAO n’ont jamais pris une initiative analogue contre les djihadistes qui apparaissent, à la faveur de cette crise, comme une armée privée de réserve françafricaine à l’instar des « djihadistes modérés de Syrie ».

La crise nigérienne comporte plusieurs pièges. Le premier est le sort de Bazoum. S’il est rétabli dans ses fonctions, il est prisonnier des armées étrangères qui seules peuvent garantir sa sécurité jusqu’à la fin de son mandat ; ce qui le discréditera d’avantage aux yeux de son peuple et du puissant mouvement souverainiste qui s’est emparé des peuples africains. S’il n’est pas rétabli, il est le prisonnier du pouvoir militaire jusqu’à sa souhaitable libération. Le deuxième piège est le sort de la CEDEAO. En cas de non intervention pour rétablir Bazoum, c’est le discrédit. En cas d’intervention, c’est la fracture de la CEDEAO. Le troisième piège est le sort des occidentaux en Ukraine. Comment justifier le soutien apporté par l’occident pour défendre la souveraineté de l’Ukraine contre une « opération spéciale » de la Russie et lancer une « opération spéciale » contre la souveraineté du Niger au nom de la démocratie? Les exemples sont nombreux pour démontrer le sort réservé à la démocratie par les bombes. Il s’agira d’une opération de clonage de l’exemple libyen.  Le quatrième piège est le sort de la présence française en Afrique. En cas d’intervention soutenue par la France, elle sera désavouée par tout le continent et renforcera le rejet de la France en Afrique. En cas de non intervention, la France part du Niger.

Quel que soit le scenario, la crise nigérienne apparait comme un accélérateur d’un changement profond en Afrique.

Mondafrique : C’est ainsi que vous expliquez la multiplication des coups d’Etat ? :

AD : Le rêve de la démocratie proposé par François Mitterrand à la conférence de La Baule, le 20 Juin 1990, qui avait fait oublier les agissements des réseaux Foccart, s’est heurté à plusieurs obstacles dont le principal est l’ingérence occidentale ; laquelle a tourné ce rêve de 1990 au cauchemar, avec le génocide rwandais, la destruction de la Libye et la crise ivoirienne. Cela se prolonge encore dans les différentes crises au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, au Niger et au Tchad. Il apparait clairement qu’en 1990, la France avait reculé pour mieux sauter. 30 ans après, l’Afrique est devenue plus pauvre et plus endettée dans une totale insécurité. C’est l’heure du bilan et le début d’un nouveau cycle.

Le deuxième obstacle est endogène. Le multipartisme n’a pas rompu avec les pratiques du parti-Etat sous les partis uniques instaurés après les indépendances. La conséquence est que nous assistons à des gouvernements de parti par le Parti et pour le Parti au pouvoir, à l’exclusion des oppositions qui n’ont droit qu’au chômage et à la justice des vainqueurs. Fatiguées d’attendre la fin des injustices par des alternances sans alternatives, certaines oppositions se lancent à la conquête du pouvoir par tous les moyens ou applaudissent les changements par tous les moyens. Comment rompre avec les ingérences extérieures et les pratiques du Parti-Etat ? Tels sont les défis à relever pour accéder à la démocratie, c’est-à-dire au gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, pour un meilleur partage des richesses dans la liberté et l’égalité des citoyens devant la loi.

Le relèvement de ces défis passe nécessairement par la fin de toute domination militaire, économique, financière et monétaire et par de nouveaux régimes qui garantissent la séparation des pouvoirs de la République et l’indépendance des contrepouvoirs face au pouvoir.  Car, comme disait Acton, tout pouvoir absolu corrompt absolument

Le projet d’une monnaie commune des BRICS inquiète Oncle Sam

 

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