Afrique/Etats Unis (volet I) : la diplomatie morale américaine

 Fini le soutien aux dictateurs ! Seuls la démocratie et le droit des minorités permettront de soustraire les pays africains à l’influence néfaste de la République Populaire de Chine

Après avoir présenté ses excuses pour l’esclavage, qu’il a qualifié de « péché originel » de l’Amérique, Joe Biden a promis d’investir 55 milliards de dollars en Afrique.

Les Etats Unis de Joe Biden, – l’Amérique progressiste – a compris l’importance de l’Afrique sur la carte géopolitique mondiale. Dans un document du Département d’Etat intitulé « U.S. strategy toward sub-saharan africa » (« Stratégie américaine pour l’Afrique sub-saharienne ») publié en août 2022, les Etats Unis rappellent que l’Afrique abritera 25% de la population mondiale d’ici 2050, que ce continent dispose de la seconde forêt tropicale du monde, que son sous-sol recèle 30% de minéraux critiques pour l’industrie mondiale et que l’ensemble des pays africains représentent 28% des votes à l’ONU.

Une diplomatie morale

Les Etats Unis progressistes ont compris est qu’il importe de soustraire l’Afrique aux visées de deux nations qu’ils considèrent comme malfaisantes, la Russie et surtout la Chine. Pour séduire les pays d’Afrique (mais aussi ceux d’Asie et du Moyen Orient), pour amener ces pays dans le camp de la démocratie, de l’innovation et du progrès, les Etats Unis de Joe Biden pensent qu’ils doivent changer  cesser de s’appuyer sur des régimes autoritaires. « Nous avons trop souvent opté par défaut pour des politiques centrées sur l’armée, étayées par une foi irréaliste dans la force et le changement de régime pour obtenir des résultats durables » peut-on lire dans un document de la présidence des Etats Unis intitulé « National Sécurity Strategy » (« Stratégie pour une sécurité nationale »).

Ce même document affirme qu’une Amérique défendant des « valeurs » (démocratie, droits des minorités…) ne peut nouer des alliances qu’avec des partenaires qui partagent ces mêmes « valeurs ». « Les États-Unis appuieront et renforceront les partenariats avec les pays pour qu’ils souscrivent à un ordre international fondé sur des règles ». Ces règles sont bien sur celles de la démocratie et du progrès, du droit des minorités, du droit des LGBT et par conséquent, les Etats Unis s’interdisent de recourir à la force pour désamorcer les conflits. Chaque fois que la chose sera possible, ils agiront par « la diplomatie », et seulement la diplomatie, mais aussi toujours, « les États-Unis promouvront les droits de l’homme et les valeurs inscrites dans la Charte des Nations Unies ».

Pour assoir leur influence en Afrique et éloigner les Russes et les Chinois du pactole africain, les Etats Unis ont entrepris de faire des pays d’Afrique des démocraties qui, comme les Etats Unis, soient fondées sur l’innovation et la recherche. Comme l’affirmait avec emphase Joe Biden, président des Etats Unis, au Sommet de l’Union Africaine, le 5 février 2021, « nous croyons aux nations d’Afrique, à l’esprit d’entrepreneuriat et d’innovation à l’échelle du continent ».

L’Afrique, continent démocratique 

Ce mantra a été repris et développé en novembre 2021, par le secrétaire d’État Antony Blinken : « l’Afrique façonnera l’avenir – et pas seulement l’avenir du peuple africain, mais du monde » a-t-il affirmé. Les dirigeants progressistes américains voient donc l’Afrique comme une Silicon Valley californienne qui, grâce à sa jeunesse, aspire à la démocratie et à l’innovation et poussera l’Afrique et le monde, vers de nouveaux sommets. « La jeunesse de la région (sera le) moteur de l’entrepreneuriat et de l’innovation, et aidera à mettre l’accent sur les liens durables et historiques entre les peuples américain et africain » peut-on lire dans le document précité, US strategy toward sub saharan africa.

Nouer des partenariats avec des pays tiers sur la base de « valeurs » (démocratie et droit des minorités ethniques et sexuelles) et sur le business est donc au cœur de la diplomatie américaine. « US strategy toward sub saharan africa » détaille de près en quoi consiste la synergie afro-américaine sur les « valeurs » : il s’agit de construire des « sociétés ouvertes » par la « liberté de la presse », la « transparence », une « justice indépendante ».

Pour la diplomatie progressiste de Joe Biden, « une gouvernance médiocre, des niveaux élevés de corruption, des violations des droits de l’homme, y compris la violence sexuelle et sexiste, et l’insécurité, sont souvent exploitées par des groupes terroristes et des acteurs étrangers malveillants ». En revanche, réduire la corruption et promouvoir plus de libertés pour les sociétés civiles (« offrir des choix aux Africains ») aura pour conséquence d’attirer les populations dans la sphère américaine et les détournera des « méchants », à savoir la République populaire de Chine et la Russie.

Bien entendu, les Etats Unis savent qu’on ne construit pas la « démocratie » er une société ouverte avec de belles paroles. Ils ont donc entrepris de faire entendre raison aux despotes africains par une combinaison « d’incitations positives et de sanctions », sanctions économiques en coordination avec d’autres gouvernements occidentaux et avec l’aide des organisations multilatérales (FMI, Banque Mondiale…) sans oublier les pressions en provenance d’autres Etats africains ou d’autres organisations internationales liées à l’Afrique.

Imposer la démocratie passe aussi par le soutien de « la société civile, y compris les militants, les travailleurs et les dirigeants réformateurs ; l’autonomisation des groupes marginalisés, tels que les personnes LGBTQI+; centrer les voix des femmes et des jeunes ». Nous donnerons à nos ambassadeurs et à nos fonctionnaires les moyens de dialoguer avec les publics africains, en particulier les jeunes et les femmes, de manière plus accessible et créative » affirme le nouveau credo de la diplomatie américaine. Dans ce contexte militant, des « élections libres et équitables » n’apparaissent pas comme une panacée mais comme un moyen parmi d’autres.

Le camp du bien

Naturellement, le camp du Bien incarné par les Etats Unis n’est jamais très éloigné des préoccupations économiques. Les « valeurs » doivent avoir une traduction directe en dollars.  « Les États-Unis encourageront les pays à adopter les réformes nécessaires pour permettre des investissements transparents et de classe mondiale dans les secteurs miniers critiques de la région ». Mais bien entendu, chaque dollar investi doit aussi contribuer aux « droits de l’homme et au respect des garanties environnementales et sociales internationales. »

Que les pays d’Afrique soient aussi le plus souvent des pays musulmans assez peu sensibles aux droits de minorités n’est jamais mentionné. Quel que soit le sujet, le même prêchi-prêcha sur les droits de l’homme et les droits des minorités LGBT, ethniques, raciales… sont considérés comme la seule base possible pour « accroître la paix et la sécurité, combattre le terrorisme et toutes les autres formes de violences extrémistes », à commencer par la violence russe et la violence chinoise.

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)