L’administration Trump confie au Maroc les clés du Sahel

Au début du mois de mars 2025, la première Base aérienne des Forces Royales Air à Salé, aux abords de la capitale Rabat, a accueilli une cérémonie d’importance stratégique majeure : la réception officielle du premier contingent de 6 hélicoptères d’attaque Apache AH-64E, première livraison d’une commande globale de 36 appareils. Pour marquer l’importance de l’événement, le Général d’Armée Michael Langley, à la tête du Commandement américain pour l’Afrique (US AFRICOM) qu’on découvre sur l’image ci dessus  avait fait le déplacement, accompagné d’Aimée Cutrona, chargée d’Affaires de l’Ambassade américaine au Maroc.

Mohammed El Abbouch

Rencontre le maréchal libyen Haftar et le général américain Langley le 29 aout 2024

Après sa visite en 2024 au général Haftar, le chef du Commandement américain pour l’Afrique (Africom) avait conclu que le seigneur de la guerre libyen ne voulait pas d’une solution négociées que ce soit avec Tripoli ou Benghazi. Le général américain Michael Langley souhaitait pourtant stabiliser le Sahel et si possible en bonne intelligence avec le maréchal Haftar après le retrait des militaires français chassés par les juntes militaires.

Dans une discussion avec la presse en septembre 2024, le patron du Commandement des États-Unis pour l’Afrique avait été interrogé sur l’évolution de la situation sécuritaire dans le Sahel après le retrait des troupes françaises et américaines. À cette question, le Général Langley avait répondu sans ambages. « Pour moi, le Sahel est devenu moins sûr ». Et d’ajouter: «Il s’agit d’un phénomène qui a pris une ampleur considérable dans toute la région et qui est sur le point de se propager en l’Afrique de l’Ouest côtière ».

La base française au Tchad

La France n’a-t-elle pas restitué en janvier dernier sa base aérienne au Tchad, la dernière au Sahel, en abandonnant le role de premier plan qu’elle jouait dans cette région du monde pour contrer le danger djihadiste? C’est donc une chaise vide qu’Africom entend occuper sur des sites sont déjà identifiés dans le sud marocain et le sud libyen.

Le Maroc, point d’appui privilégié

Lors de sa toute récente allocution au Maroc, le Général Langley a souligné le rôle critique des nouveaux hélicoptères Apache dans l’architecture défensive marocaine : « L’intégration de ces avions représente une avancée considérable en matière de capacités opérationnelles, consolidant ainsi la sécurité du royaume et sa position géostratégique régionale». Il a également rappelé le statut privilégié du Maroc en tant qu’allié non-membre de l’OTAN des États-Unis.

Le général américain a fait d’une pierre deux coups en évoquant le Maroc comme site prioritaire et stratégique pour la maitrise des changements de la région saharo-sahélienne, sans s’étendre sur ce qui est un retour en force des Etats-Unis en Méditerranée. On aura compris que l’administration Trump réduit les effectifs militaires en Europe exposée à un renouveau de la menace russe; mais le Pentagone réinvestit la Méditerranée. C’est que la flotte américaine veille sur Israel et sur le Liban. Pas question de voir ses marges d’action menacées par les navires russes, ni paralysées au niveau du détroit de Gibraltar.

La fin du flanc Sud de l’OTAN 

Le flanc Sud de l’OTAN dont l’Espagne et l’Italie étaient les boucliers semble oublié au profit de la façade atlantique et méditerranéenne du Maroc et au delà du Sahel. D’ailleurs les Espagnols ne s’y sont pas trompés. Les publications espagnoles El Independiente le 6 mars) et La Razon le 7 mars), réputées proches des cercles militaires et conservateurs, ont rapidement analysé la livraison d’Apache à Rabat comme un défi stratégique pour Madrid, mettant en lumière la faiblesse espagnole en matière d’hélicoptères de combat équipés de missiles.

Le Général de Corps d’Armée Mohammed Berrid, Inspecteur Général des Forces Armées Royales et Commandant de la Zone Sud, a insisté lors de la cérémonie de remise des matériels aéronautiques sur la dimension partenariale de l’acquisition : « L’arrivée de ce premier lot d’hélicoptères Apache AH-64 constitue une étape déterminante dans la consolidation de l’alliance stratégique et de la collaboration militaire entre le Royaume du Maroc et les États-Unis d’Amérique.» Mais ce n’était pas une révélation pour Madrid que la fourniture de ces hélicoptères de combat participait d’une africanisation méditerranéenne de la stratégie américaine.

En effet, dès le 1er février 2025, le media espagnol « La Razon » révélait l’administration Trump envisagerait de transférer le commandement de l’AFRICOM, actuellement basé à Stuttgart (Allemagne), vers la ville marocaine de Kénitra. Des évaluations sur site auraient déjà été réalisées par les forces américaines.

Initialement, la base espagnole de Rota figurait parmi les options, mais cette alternative aurait perdu de sa pertinence avec la nouvelle présidence américaine. Le 4 février 2025, EL INDEPENDIENTE titrait sur la livraison d’avions F-35 américains au Maroc: « Le F-35, l’instrument par lequel Rabat consolide son alliance avec Trump au détriment de l’Espagne ». Le journal espagnol précisait : « Le président américain s’est engagé à intensifier les relations avec Rabat au préjudice de l’Espagne, à qui il reproche ses dépenses militaires insuffisantes ». 

L’armée française dans la boucle

En parallèle, des manœuvres militaires conjointes franco-marocaines sont programmées pour septembre 2025 à Errachidia, à proximité de la frontière algérienne. L’exercice Chergui, anciennement nommé « Tafilalet », s’inscrit dans une tradition de longue date. Cette opération aéroterrestre revêt une importance cruciale tant pour les Forces Armées Royales que pour l’Armée française dans l’harmonisation des tactiques de combat en environnement désertique.

Ces manœuvres visent à optimiser la coordination opérationnelle face aux menaces terroristes dans la région sahélienne. Prévues pour fin septembre, elles mobiliseront des unités terrestres et aériennes des deux nations. Ces exercices conjoints s’inscrivent dans le cadre d’un partenariat militaire stratégique formalisé par l’accord de coopération militaire technique de 1994. L’Espagne, dotée d’un système sophistiqué de surveillance stratégique vis-à-vis de son voisin méridional, observe ces évolutions avec appréhension. La presse espagnole interprète ces développements comme une transformation fondamentale de la posture américaine envers Madrid.

Un axe Maroc/Israel/Émirats

Le territoire marocain accueille régulièrement des exercices militaires multinationaux, notamment « African Lions », l’une des manœuvres les plus significatives du continent africain, coorganisée par les forces américaines et marocaines. La 21ème édition de cet exercice se tiendra du 12 au 23 mai 2025 dans plusieurs localités : Agadir, Tan-Tan, Tiznit, Kénitra, Benguerir et Tifnit.

L’administration Trump semble déterminée à faire du Maroc un partenaire privilégié de son retour offensif en Méditerranée avec la livraison prochaine de 32 chasseurs furtifs F-35 Lightning II pourrait officialiser une alliance stratégique que Washington conçoit également avec les Émirats arabes unis et Israël. Cette transaction, estimée à 17 milliards de dollars, englobe l’acquisition et la maintenance sur une période de 45 ans. Ainsi le Maroc deviendra le premier pays africain et arabe à intégrer ces chasseurs de pointe fabriqués par Lockheed Martin, complétant ainsi sa flotte de F-16 de quatrième génération.

En définitive, la modernisation spectaculaire de l’arsenal militaire marocain transcende manifestement les simples impératifs de défense nationale ou les rivalités régionales. Nous assistons à l’émergence d’un nouveau paradigme géostratégique dont l’empreinte s’étend de la Méditerranée à l’Atlantique, englobant la bande sahélo-saharienne.

Dans cette configuration, le Royaume chérifien formerait, aux côtés des Émirats Arabes Unis et d’Israël, le triangle fondateur d’une nouvelle alliance hors OTAN avec les Etats-Unis désintéressés du théâtre européen. Pour les Etats-Unis, aux côtés du Maroc, il s’agit à présent de privilégier le règlement de la question libyenne, de contrer la Russie et de remettre au pas les pays membres de l’Alliance des États du Sahel.