« Palestinian lives matter »

Dans le sillage du cycle de violence relancé le 7 octobre 2023 par l’attaque du Hamas sur des objectifs civils et militaires israéliens, un collectif de dix universitaires affirmait dans le Monde : « […] une vie en vaut une autre. »

L’auteur de cette chronique, Yassine Jamali, vétérinaire et écrivain, est un citoyen marocain qui a passé deux années comme expatrié au Mali avec « Vétérinaires Sans Frontières et a participé avec cette ONG à une mission en Cisjordanie fin 1998

Un manifestant brandit un drapeau palestinien au sommet d’un feu de circulation lors d’un rassemblement de soutien aux Palestiniens à Chicago, le 16 mai 2021. © Anthony Vazquez, AP

Soixante quinze ans après la déclaration universelle des droits de l’homme et soixante quinze ans après la création de l’état d’Israël on peut douter de l’acceptation universelle de l’article 3  :  » Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne », devant l’occultation des victimes palestiniennes ou leur relativisation par divers procédés relevant du fameux  » deux poids, deux mesures. »

Ainsi dans un entretien le philosophe Raphaël Enthoven précisait : « Oui il y a une différence à faire entre des gens qui sont des civils assassinés dans la rue par des commandos islamistes qui débarquent dans les villages pour brûler les maisons, et les victimes collatérales de bombardements consécutif à cette attaque. » Soit à peu près la différence entre un meurtre au premier degré et un homicide involontaire. Peut-on parler de victimes collatérales ou d’homicide involontaire quand on tire un missile, ou une centaine de missiles, sur une zone d’habitat dense? Le mode d’assassinat aurait-il plus d’importance que l’assassinat lui-même ?

« Je ne comprends décidément pas pourquoi il est plus glorieux de bombarder de projectiles une ville assiégée que d’assassiner quelqu’un à coups de hache »

     

Fiodor Dostoïevski 

Comptabilité macabre

Évoquant « un problème d’étiquetage », la sociologue Sylvaine Bulle affirme « …on ne peut pas mettre en analogie le massacre génocidaire qui s’est passé le sept octobre et la situation en Palestine ».

Le massacre génocidaire contre les Israéliens concerne, selon CBS,  « au moins mille quatre cents personnes pour la plupart des civils qui ont été tués dans l’attaque terroriste coordonnée sur plusieurs fronts ».

La « situation en Palestine » désignait au moment de cette évaluation quatre mille tués, aujourd’hui plus de 10000, dont de nombreux civils et enfants et plus d’une dizaine de milliers de blessés. 

0n peut se demander où se situeraient sur cette échelle de valeur les victimes de la guerre civile au Congo Kinshasa, au Sud Soudan, celles qui se trouvent sur la face cachée du néant médiatique… Cette inégalité de perception et de formulation qui conduit en Occident à des réactions inversement proportionnelles au nombre des victimes n’est pas nouvelle.

On recense 5690 palestiniens tués entre 2008 et 2020 contre 251 israéliens, soit une proportion de plus de 22 palestiniens pour un Israélien. L’inégalité se manifeste aussi dans le traitement des évènements de gravité exceptionnelle : presque tous les médias français ont revu à la baisse le bilan des bombardements de l’hôpital Al Ahli Arabi qui est passée de 700 à quelques dizaines de victimes par paliers successifs, avant que la responsabilité d’Israël soit finalement écartée pour accuser « le Djihad Islamique » d’un tir raté. Rares sont les médias français à avoir repris l’enquête du journal israélien, « le Haaretz » qui a publié une liste détaillée et constamment actualisée des victimes israéliennes du sept octobre en précisant la proportion de soldats et policiers, à peu près 50%.

La qualification des actes commis par les combattants de Hamas et de ses alliés le 7 octobre a fait l’objet de violentes confrontations autour d’expressions telles que terrorisme, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, pogrom, génocide … Certes, ces débats sémantiques sont indispensables à la construction d’une opinion éclairée.  » Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde », selon Camus. Que la bombe soit attachée au torse d’un jihadiste ou au fuselage d’un avion, le civil, la femme, l’enfant israélien ou palestinien sont pareillement morts et le deuil des familles est identique. Avant de disserter de la qualité des morts, des assassins et du mode d’assassinat, commençons par prendre connaissance avec précision de la quantité de morts. Quand la proportion de tués est  de 22 contre un, on peut sans doute s’interroger sur le bien-fondé de la thèse de la légitime défense ou de la défense légitime.

Comparaisons internationales

La comptabilité macabre permet aussi une comparaison – certes élémentaire – entre différents conflits, tel le conflit russo-ukrainien qui a causé dans les dix premiers mois de la guerre  7031 décès de civils et les bombardements israéliens sur Gaza qui ont tué plus de cinq mille personnes en trois semaines.

« L’offensive lancée contre l’état hébreu samedi 7 octobre est venu dissiper l’illusion du calme », pouvait-on lire dans le monde du 9 octobre 2023. Cette illusion de calme n’avait pu être dissipée par les 227 palestiniens tués de janvier à septembre 2023. Un calme très relatif.

La situation d’apartheid dans les territoires occupés est de plus en plus établie. On ne parle jamais de l’apartheid post mortem qui occulte ou minore certaines victimes et les prive du droit au deuil universel. Pour Staline expert en la matière  » La mort d’un homme est une tragédie, la mort d’un million d’hommes est une statistique ». Toute approche raisonnée, épidémiologique, passe par les statistiques quand le temps et la distance ont apaisé les tragédies. À savoir un tribalisme débridé sur des bases ethniques, confessionnelles, culturelles, qui pousse chaque camp à nier les souffrances de la partie adverse, à les aggraver, et à subir le choc en retour.

“Plusieurs centaines d’enfants ont été tués à Gaza en trois semaines. Combien de vocations à l’attentat-suicide cette “opération” aura-t-elle suscitées ? Si les leaders israéliens ne prennent pas conscience des effets dévastateurs de leur politique, d’autres massacres se produiront, suivis de cessez-le-feu… jusqu’au retournement du rapport de forces qui risque de se produire.”

Rony Brauman en 2009

La non-reconnaissance de ces morts tellement plus nombreux que ceux du camp opposé jointe à la réprobation qui frappe les palestiniens constitue une insupportable double peine . “  Nos morts ont une histoire, les leurs sont des numéros”, écrivait Jean Cayrol. 

“ Palestinian lives matter “.

 

 

Aujourd’hui Gaza, demain Massada ? Rony Brauman.  UJFP.org 19/01/09

 

2 Commentaires

  1. « La situation d’apartheid dans les territoires occupés est de plus en plus établie », j’ai pensé relever cette phrase dans cet article. Je pense que cette phrase résume en partie cet article et va dans le sens de ce que je dénonçais déjà ici dans ce magazine dans un autre article qui traitait ce sujet du conflit israélo-palestinien, que, la Palestine est victime de ce qui lui arrive car les États arabes au niveau des autorités ne font rien.
    Et j’avais fait à ce moment-là où je denonçais cette situation, un parallèle avec l’apartheid en Afrique du Sud où les États d’Afrique Noire d’abord notamment d’Afrique Australe, Centrale, et de l’Est s’étaient mobilisés pour mettre fin à ce régime ségrégationniste, avant que l’Occident et les autres pays du monde se mobilisent pour abolir l’apartheid.
    Résultat: mis sur pression par l’Afrique Noire, et les autres organisations, lâché par leurs alliés fidèles (Royaume-Uni et USA), De Klerk et ses comparses du régime ségrégationniste d’apartheid, n’avaient plus le choix que de démanteler le système d’apartheid, dont le prédécesseur de De Klerk, Pieter Botha avait déjà lancé les prémices. Même si le système d’apartheid était encore tout puissant et pouvait résister encore longtemps aux pressions, avec l’aide de certains pays complices, même en Afrique, et cette puissance peut être comparée à Israël aujourd’hui qui est encore puissant.

    Car comment comprendre dans un océan arabe, Israël continue à tuer les palestiniens et à grignoter tout temps le territoire et les États arabes continuent d’être dans le mutisme (qu’un article avait parlé ici), excepté la guerre de la Kippour, c’est totalement absurde.
    Les États arabes veulent aujourd’hui, ce qui est leur priorité aujourd’hui, qu’approfondir leurs relations avec Israël. Et cette attitude me rappelle les pays africains même de l’Afrique Noire qui cooperaient commercialement en catimini avec le système d’apartheid, au moment où ce dernier était au faîte de sa gloire. Or ce genre de coopération donne l’illusion que tout le monde est gagnant, mais en réalité les vrais gagnants c’est l’oppresseur, les autres groupes de pays qui font partie des opprimés de manière indirecte (comme les autres pays arabes, hors Palestine, dans le cas de ce conflit) n’est que illusion.
    Où sont les muscles de l’Arabie Saoudite et Emirates Arabes Unis qu’ils montraient au Yémen!? Où sont les muscles des autres pays arabes?
    Au lieu que l’Arabie Saoudite et Emirates Arabes Unis montrent les muscles au Yémen, ils peuvent les montrer en Israël dans le cadre du conflit israélo-palestinien où on en vraiment besoin. Donc lamentable.

    Le seul pays dans la région qui s’oppose frontalement actuellement à Israël pour la cause palestinienne (même s’l le fait d’abord pour ses propres raisons stratégiques d’abord) c’est l’Iran, qui le fait juste par solidarité musulmane, car ironiquement c’est un pays perse qui se préoccupe du sort d’un pays arabe au moment où les autres pays arabes s’en foutent, alors que c’est l’Iran issu d’une civilisation perse qui allait envoyer les palestiniens balader, rires (je ris pas les morts palestiniens, mais le terme « balader » que j’utilise qui me fait rire). Donc c’est lamentable cette attitude « COLLABORATIONNISTE » des États arabes.

    Donc cette autrice de cet article ne doit pas d’abord reprocher aux « non » Arabes (occidentaux et leurs médias, et les autres pays non Arabes) de faire le deux poids, deux mesures dans des morts palestiniens (même si je comprends et je partage totalement son analyse), car « charité (ou morale dans ce cas-ci) bien ordonnée commence par soi-même (États arabes m, aussi dans ce cas-ci) », et donc ce sont les arabes notamment les États qu’elle doit d’abord tancer sur leurs inactions et mutismes face au drame palestinien, ce qui est primordial, avant qu’elle dénonce le traitement médiatique des morts palestiniens et israéliens (ce qui est nécessaire évidemment qu’elle en parle et ce que je comprends comme j’ai dit ci-dessus) par le monde non arabe qu’elle parle. Car si je dis que cette action de tancer (par elle l’autrice ou toute autre personne concernée ou intéressée par ce conflit) d’abord les États arabes face à leurs inactions et mutismes face au drame palestinien, c’est parce que si les États arabes réagissent fortement dans ce drame palestinien, ils vont stopper le nombre élevé des morts palestiniens, et ainsi le traitement égal médiatique des morts palestiniens et israéliens ne sera que secondaire (même si ce traitement est justement important comme je l’ai dit ci-dessus, pour la justice pour tous), voilà.

    Donc le « Palestinian lives matter » dont l’autrice parle ici, doit se dire et se faire entendre aux décideurs politiques arabes d’abord. Car la paraphrase de ce slogan « Black Lives Matter » a été synonyme justement d’abord de mobilisation Noire surtout Noire d’Amérique en 1er lieu (comme ce fut le combat contre l’apartheid comme je viens de le dire ci-dessus), contre le racisme anti noir dans le monde, avant les autres non Noirs se joignent à cette cause. Voilà mon analyse.

    Enfin pour terminer, pour les intéressés et amoureux d’Histoire, et d’Anthropologie de la Diaspora Africaine lointaine (partie durant la Traite Négrière) ou des Afrodescendants aux Amériques, et même sur des thèmes sociologiques et anthropologiques, vous pouvez consulter la page principale de mon profil sur la plateforme academia.edu, vous trouverez des travaux scientifiques intéressants, comme l’histoire invisible des Afro-Argentins, des Afro-paraguayens, et des Afro-urugayens, l’histoire occultée des Afro-mexicains, l’histoire de la présence des Bantous originaires d’Afrique Centrale (appelés Loango là-bas du fait qu’ils ont été embarqués par le port de Loango, j’en parle aussi dans mon travail scientifique sur le royaume Loango), dans les bataillons militaires d’indépendance de Simón Bolívar, Héros et Libérateur reconnu par beaucoup, de justement de plus 4 pays hispaniques sous le joug espagnol au XIXè siècle, et bien d’autres sujets interessants dur l’Afrique politique aussi, et vous pouvez partager à vos proches intéressés aussi ce lien de profil. Voici alors le lien de la page principale de mon profil où se trouvent mes travaux sur cette plateforme academia.edu: https://ufrrj.academia.edu/SAMBAAxel

    Et pour ceux qui sont intéressés à l’histoire du Royaume Loango d’Afrique Centrale, un des plus puissants à cette période, et à l’histoire de la Traite Négrière dans cette région Centrale d’Afrique Centrale, voici le lien: https://www.academia.edu/104648700/Le_Royaume_Loango_Afrique_Centrale_et_son_Organisation_Politique_Sa_Province_de_Mâ_Mpili_et_sa_Capitale_Politique_Bwali_XIVè_XIXè_Siècles_

Les commentaires sont fermés.