Le chef de la branche politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a été tué dans une frappe aérienne à Téhéran, ont fait savoir des médias iraniens. « Haniyeh se trouvait dans l’une des résidences spéciales pour les vétérans de guerre dans le nord de Téhéran, lorsqu’il a été tué par un projectile aérien », a déclaré l’agence de presse locale Fars. D’autres médias ont publié la même déclaration. Ismaïl Haniyeh était à Téhéran où il s’était rendu, mardi, à la cérémonie d’investiture du président iranien Massoud Pezeshkian.
Ce dirigeant islamiste était un des derniers chefs du Hamas qui évoluait entre Doha, Istambul et Téhéran susceptibles de négocier avec la communauté internationale un cessez le feu, le retour des otages et peut-être un compromis politique. Les Israéliens qui n’ont pas revendiqué cet assassinat contre un « politique » mais dont personne ne doute de leur implication ont renforcé la branche militaire et jusqu’au boutiste du mouvement extrémiste et obligent l’Iran et son allié libanais du Hezbollah à imaginer une riposte.
Né en 1962 dans le camp de réfugiés d’Al-Chati, dans la bande de Gaza, M. Haniyé a étudié à l’Université islamique de Gaza, où il s’est impliqué pour la première fois dans le Hamas et a obtenu une licence en littérature arabe en 1987.
Nommé chef du bureau du Hamas en 1997, il a ensuite gravi les échelons de l’organisation.M. Haniyé était à la tête de la liste du Hamas qui a remporté les élections législatives palestiniennes de 200, puis chef du Hamas dans la bande de Gaza de 2006 à février 2017, date à laquelle il a été remplacé par Yahya Sinouar.
Le 7 octobre 2023, jour de l’attaque du Hamas contre Israël, M. Haniyé se trouvait à Istanbul, en Turquie, et a prononcé un discours télévisé dans lequel il a évoqué les menaces pesant sur la mosquée Al-Aqsa, le blocus israélien de Gaza et la situation critique des réfugiés palestiniens.
Le Hamas est une organisation au système de fonctionnement opaque divisée en deux branches, l’une politique et l’autre militaire. Ces deux ailes agissent, ces dernières années, de manière relativement indépendante l’une de l’autre, notamment dans les modalités de l’attaque du 7 octobre, même si les dirigeants réfugiés au Qatar comme Ismaïl Haniyé ont assumé l’attaque déclenchée ce jour là. » Nous savions qu’il y aurait beaucoup de morts palestiniens, avait déclaré l’un d’eux au New York Times, mais il c’était la condition nécessaire pour ouvrir un nouveau chapitre. »
En assassinant le chef politique du Hamas, les Israéliens se privent d’une des passerelles existantes avec le mouvement extrémiste. La branche militaire de l’organisation palestinienne aux pratiques terroristes est plus que jamais seule aux commandes. Résultat, les négociations sur le cessez le feu entre les Israéliens et le Hamas risquent de rester au point mort.
Depuis l’élimination de l’ancien cofondateur du mouvement Abdel Haziz al-Rantissi, tué en 2004 par un tir de missile israélien, certains experts estiment que ce sont les responsables de la branche armée, les fameuses « brigades Al Qassam », qui ont la main sur le processus de décision lorsqu’il s’agit de lancer des assauts contre Israël, tel celui du 7 octobre – qui a fait 1500 morts côté israélien, dont de nombreux civils.
Encore que « ces Brigades », dont les combattants vivent reclus dans les labyrinthes de tunnels creusés à Gaza, n’exercent pas leur tutelle sur l’ensemble de Gaza. Ce territoire fragmenté qui ressemble à une Somalie livrée à des structures tribales concurrentes et armées, est une espèce de cloaque tenu par des clans, des familles, des quartiers qui vivent grâce aux trafics divers et variés, chacun détenant une part de gâteau. Les groupes armés sont alternativement aux mains du « Jihad islamique », de l’État islamique » ou surtout des fameuses « Brigades Al Qassam » du Hamas dont on peut imaginer qu’elles osnt directement connectées sur l’Iran.
Dans cette sorte d’anarchie, Il est difficile de juger du degré d’autonomie dont bénéficieraient les « brigades » par rapport la direction politique, désormais basée au Qatar et secondairement en Turquie après l’avoir été longtemps basée en Syrie. De nombreux experts estiment que l’actuel chef du Hamas, Ismail Haniyeh, n’a pas été mis dans la confidence de l’offensive du 7 octobre par le « général en chef » de la branche militaire, Mohammed Deif, doublement qualifié d' »homme de la mort » et d' »homme aux neuf vies »…Une certitude, des divergences stratégiques ont toujours éxisté entre militaires et politiques.
Évaluations américaines
En 2012, les Etats-Unis avaient demandé au Qatar d’accueillir les leaders politiques du Hamas pour empêcher que ces derniers, durant les rébellions du « printemps arabe » , se réfugient en Iran. La démarche n’était pas absurde qui renforçait des possibles fissures au sein de la direction du Hamas. En avril 2013 encore, ces derniers rencontraient encore les dirigeants séoudiens engagés dans une normalisation de leurs relations avec Israël en donnant l’impression de faire un pas vers la recomposition du Moyen Orient qui s’amorçait sous la hulette de MBS, le prince héritier séoudien.
Les leaders politiques du mouvement étaient-ils au courant des modalités de l’attaque du 7 octobre? La question est d’autant plus légitime que les renseignements américains ont tranché cette question sans équivoque, comme l’indiquait une note de synthèse de la position de la CIA dont le journal « le Monde » a pu avoir connaissance. « Le débriefing américain souligne […] que la branche politique du Hamas, dont les chefs se trouvent à Gaza mais aussi à l’étranger, […], aurait été tenue à l’écart de la préparation de l’attaque armée« . Cela « n’interdit cependant pas que certains membres de la branche politique […] aient pu être informés, en amont, à titre individuel« .
Les « informateurs » des services de renseignement hébreux, qui surveillent de près les antennes du Hamas à l’étranger, avaient levé le pied sur l’organisation militaire du Hamas à Gaza. Ni annonce générale, ni document en circulation, aucune concertation politique au sein du mouvement islamiste: l’attaque terroriste est passée sous le radar du Shin Beth et du Mossad.
Les « politiques » infiltrés
Le fait que la direction politique soit notoirement infiltrée par des « taupes » à la solde des services secrets israéliens autorise certaines spéculations. La branche militaire doit vraisemblablement rester très discrète dans ses communications avec les chefs du mouvement, qui résident à Doha ou à Istambul Ces mêmes leaders ont-ils ainsi été surpris par la violence et l’ampleur de l’attaque, voire par l’attaque elle-même ? C’est une question qu’il est légitime de se poser. Sans compter que les assaillants, indiquent certaines sources, ont pu eux-mêmes être surpris par la facilité avec laquelle ils ont pu pénétrer en territoire israélien et le manque de réaction de « tsahal » , au moins durant les premières heures…
Le débat n’est pas entièrement nouveau : il y a plus de vingt ans, des experts citaient déjà un important responsable du Hamas confiant sous le sceau de l’anonymat à des chercheurs occidentaux que les « Brigades » ne sont pas directement « aux ordres de la branche politique » et « n’annoncent pas à cette dernière leurs plans à l’ avance ». (1)
L’histoire récente montre à quel point la direction politique en exil choisit parfois des options sensiblement différentes des choix de la direction militaire, rétive à toute concession. Avant d’être lui aussi assassiné, le fondateur du Hamas Ahmed Yacine avait émis l’idée d’une « trêve de longue durée » avec Israël. Aux élections de 2006 remportées démocratiquement par le Hamas, le mouvement religieux avait accepté le principe d’une « option démocratique » sanctionnée par les urnes. En 2017, la charte duHamas infléchissait, à la marge, sa position sur l’État hébreu, tout en continuant à vouloir la disparition d’Israël.
Flou généralisé
Dernièrement, lors d’une interview à la chaîne de télévision américaine CBS, le porte parole du Hamas, Ghazi Hammad a fait une déclaration surprenante en se démarquant quelque peu de la violence aveugle du « 7 octobre » : selon lui, il s’agissait avant tout de viser des « infrastructures militaires » israéliennes , les victimes civiles apparaissant presque comme des « dégâts » collatéraux. Dans le même temps, le porte-parole présentait les « kibboutzim » comme des « colons », constituant donc des cibles « légitimes ».
D’autres déclarations de la direction politique ont même semblé contribuer à relativiser les prises d’otages israéliens -Plus de deux cents- en laissant entendre que certaines personnes enlevées l’ont été par d’autres organisations que le Hamas ou par le mouvement concurrent du Jihad Islamique – ou même par des civils incontrôlés dans la population qui se seraient associés à la « razzia » orchestrée par les combattants gazaouis.
Il faut évidemment se garder de tout relativisme excessif, la direction politique ayant pour l’essentiel assumé l’opération du 7 octobre et l’extraordinaire orgie de violence qui en a résulté. Mais il est incontestable, comme c’est le cas dans la plupart des organisations combattantes, que les priorités stratégiques divergent entre politiques et militaires.
En théorie certes, le bureau politique élu de 15 membres, issus de Gaza, de la Cis-Jordanie occupée et même des geôles israéliennes, est seule habilitée, en principe, à prendre les décisions. Mais comme le faisait remarquer récemment « Le Monde », citant un expert des questions palestiniennes , Washington avait même un temps « misé sur la modération du [Hamas] « …Sans tenir compte de l’inflexibilité des brigades Al Qassam, dont l’aura d’organisation combattante est aujourd’hui portée aux nues par de nombreux Palestiniens ».
Les « brigadistes », à la différence des leaders confortablement installés au Qatar, sont aujourd’hui sur le terrain. Et un grand nombre d’entre eux seront encore présents dans les ruines de ce territoire martyrisé lorsque l’impitoyable opération militaire israélienne prendra fin d’une façon ou d’une autre. L’aura de ces Brigades qui se se ront battues immeuble après immeuble pour défendre la population seront plus fortes que jamais !
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