De l’avis général, souligne l’excellent site « THE conversation, Israël dispose de moyens très perfectionnés en matière de renseignement, qu’il s’agisse de collecter des informations sur les menaces à l’intérieur du pays ou à l’extérieur de celui-ci. Ainsi, à mesure que l’on découvre l’ampleur de l’attaque surprise sans précédent du Hamas contre 20 villes israéliennes et plusieurs bases militaires le 7 octobre 2023, une question persiste : comment se fait-il qu’Israël n’ait pas recueilli à l’avance des informations sur ce qui se préparait ?
Javed Ali, Associate Professor of Practice in Counterterrorism, Domestic Terrorrism, Cybersecurity and National Security Law and Policy, University of Michigan
Le 10 octobre 2023 le New York Times a rapporté que les services de renseignement israéliens ont détecté des activités suspectes sur les réseaux de militants du Hamas avant l’attaque. Mais l’avertissement n’a pas eu d’effet ou n’a pas été compris dans son intégralité, comme cela s’est produit aux États-Unis avant les attaques terroristes du 11 septembre 2001.
L’analyse du renseignement équivaut à assembler chaque jour un casse-tête de mille pièces à partir de données isolées afin d’essayer de formuler des jugements qui permettront aux décideurs politiques de faire quelque chose avec ces informations » dit Javed Ali, spécialiste du renseignement et de la lutte contre le terrorisme qui a travaillé des années au sein des services de renseignement américains.
Nous nous sommes entretenus avec lui pour tenter de mieux comprendre le fonctionnement des services de renseignement israéliens et les éventuelles failles du système qui ont permis l’incursion du Hamas.
1. Quelles questions vous sont venues à l’esprit après les attentats ?
Cela a nécessité une planification délibérée et minutieuse, et le Hamas a dû déployer beaucoup d’efforts pour dissimuler le complot aux services de renseignement israéliens. On a réussi à garder les préparatifs secrets.
En raison des éléments complexes de l’attaque, j’ai pensé que l’Iran avait fort probablement contribué à soutenir l’opération — bien que certains responsables américains aient déclaré que leurs services de renseignements ne disposaient pas de preuves de ce fait jusqu’ici.
Le Hamas est aux portes d’Israël. On pourrait croire qu’Israël comprend mieux ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie qu’à près de 2 000 km de là, en Iran. Comment Israël a-t-il pu passer à côté d’un complot aussi élaboré si près de ses frontières ? Des responsables israéliens ont déclaré qu’ils pensaient que les récentes opérations antiterroristes israéliennes avaient découragé le Hamas et que celui-ci n’avait pas la capacité de lancer une attaque de la portée et de l’ampleur de celle qui s’est produite.
2. Comment fonctionnent les services de renseignement israéliens ?
Israël possède un des services de renseignement les plus performants et sophistiqués de la planète. Sa structure et son fonctionnement sont largement similaires à ceux des États-Unis, en ce qui concerne les rôles et les responsabilités.
En Israël, le Shin Bet constitue le service de sécurité intérieure, l’équivalent du FBI, qui surveille les menaces à l’intérieur du pays. Pour ce qui est de la sécurité extérieure, Israël compte sur le Mossad, l’équivalent de la CIA. Le pays possède également une agence de renseignement militaire semblable à l’Agence du renseignement de la défense américaine (DIA), et d’autres petites organisations au sein du renseignement militaire qui se concentrent sur différents aspects de la sécurité.
Comme la plupart des pays occidentaux, Israël a recours à une combinaison de différentes sources de renseignements. Cela inclut des personnes chargées de fournir aux agences les informations sensibles auxquelles elles ont directement accès, ou renseignement d’origine humaine, communément appelé espionnage. Il y a aussi le renseignement d’origine électromagnétique, qui consiste en différentes formes de communications électroniques telles qu’appels téléphoniques, courriels ou messages textes, ainsi que les renseignements par imagerie avec, par exemple, des photos satellites de camps d’entraînement ou d’équipements.
Un quatrième type de renseignement est constitué des informations de source ouverte, c’est-à-dire celles à qui tout le monde peut avoir accès, comme les forums de discussion sur Internet. Il y a quelques années, vers la fin de mes activités dans le domaine du renseignement, j’ai constaté que les informations accessibles au public étaient beaucoup plus nombreuses que les autres types de renseignements.
3. En quoi le système de renseignement israélien diffère-t-il du système américain ?
Contrairement aux États-Unis, Israël ne dispose pas d’un coordinateur national du renseignement, c’est-à-dire d’une personne qui connaît et supervise toutes les composantes du renseignement.
Le système américain comprend un poste de directeur du renseignement national qui dirige le Bureau du directeur du renseignement national (ODNI), créé en 2004. Les deux découlent des recommandations de la Commission sur les attaques du 11 septembre, qui a constaté que le système américain du renseignement était trop fragmenté entre différentes agences et bureaux.
Ainsi, quand on se trouve devant des problèmes complexes qu’aucune agence ne peut résoudre seule, ou en cas de différences sur le plan de l’analyse, on a recours à ce bureau indépendant formé d’experts pour résoudre ces questions.
J’ai travaillé plusieurs années au sein du Bureau du directeur du renseignement national. Dans un de mes postes, je relevais directement du directeur du renseignement national.
En Israël, il n’existe pas d’équivalent de ce bureau central et de cette fonction. Israël pourrait se demander si la création d’un poste de coordinateur du renseignement ne contribuerait pas à éviter des attaques du type de celles qui viennent de se produire.
4. Quel est le rôle des États-Unis dans la surveillance des menaces qui pèsent sur Israël, si tant est qu’ils en aient un ?
Les États-Unis et Israël entretiennent des relations très étroites en matière de renseignement. Leur partenariat est bilatéral, c’est-à-dire qu’il ne concerne qu’eux et ne fait pas partie d’un groupe comprenant d’autres pays.
Les États-Unis ont également un partenariat plus large en matière de renseignement, connu sous le nom de « Groupe des cinq », ou Five Eyes, avec la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cependant, la règle dans ces relations bilatérales solides est que lorsqu’une partie possède des renseignements sur des menaces concernant l’autre, elle doit automatiquement transmettre ses informations.
Les États-Unis sont peut-être en train de réorienter leurs priorités en matière de renseignement vers d’autres régions du monde, comme l’Ukraine, la Russie et la Chine. En conséquence, ils n’ont peut-être pas obtenu de renseignements pertinents sur ce complot du Hamas et n’ont rien pu transmettre à Israël pour l’avertir.