A quelques heures du débat du deuxième tour des primaires, Malek Boutih est monté en première ligne, à sa façon brutale et approximative, pour porter secours à son mentor Manuel Valls. «Benoît Hamon est en résonance, n’a-t-il pas hésité à déclarer, avec une frange islamo-gauchiste».
Cette fidélité de Boutih à Valls ne doit pas surprendre. Ces dernières années, les deux hommes participent à la même croisade en faveur de la sacro sainte laïcité, plus sur le mode de l’incantation que du projet politique. Les mots d’ordre de l’ancien président de SOS racisme ont en effet le mérite de la simplicité: sus aux communautarisme, les « islamo gauchistes » au pilon et priorité tout à la sécurité! Manuel Valls avait d’ailleurs tout mis en œuvre, mais sans succès, pour faire entrer une personnalité aussi brillante au gouvernement.
Malek Boutih fut longtemps le disciple de Julien Dray, le véritable fondateur de SOS racisme et un des meilleurs connaisseurs des banlieues au sein de la classe politique. Or aujourd’hui Dray dit pis que pendre de son ancien protégé
L’obsession républicaine de Malek Boutih le conduit à prendre inlassablement le contrepied de tous ceux qui appellent au respect des différences. L’humoriste Djamel défend-il la diatribe de son ami footballeur Karim Benzema qui dénonce les pressions racistes qui l’auraient écarté de l’équipe de France à l’Euro 2016 ? Malek Boutih reprend le comique franco-marocain de volée, avec une leçon de civisme dont il a le secret. « La discrimination est quasiment absente dans le sport, s’emballe le député, Djamel a oublié que la réussite entraîne une responsabilité, un devoir d’exemplarité.»
Controlé au faciès
Porte flingue de Manuel Valls, Malek Boutih avait connu jeune les chemins tortueux pris par l’intégration dans les années qui ont précédé la Marche des beurs. La France giscardienne exilait les « jeunes immigrés » délinquants dans des pays dont ils ignoraient jusqu’à la langue. Une justice à deux vitesses détournait les yeux quand les beaufs des cités, qui avaient mal à leur chère France, tiraient sur les basanés comme sur des lapins. Ces années qui exhalaient un parfum de racisme, le jeune Malek Boutih les a connues. Un soir, le lycéen qu’il était se hâte d’un pas léger, une bouteille de champagne à la main, vers une soirée qui s’annonçait mémorable. Pour la première fois de sa vie, cet adolescent, qui avait grandi dans un bidonville pour immigrés du côté de Levallois-Perret, avait été invité chez ses camarades de classe, tous blancs et de bonne famille. Pour le jeune kabyle, il s’agit presque d’un conte de fées.Mais dans cette banlieue bien comme il faut de la région parisienne, la réalité le rattrape. Un véhicule de patrouille se porte à sa hauteur. Les flics en descendent. Un arabe avec une bouteille à la main ? Sûrement un voleur. L’ado passera sa soirée de réveillon en cellule avant d’être libéré au petit matin, sans la moindre charge.
Cette mésaventure du réveillon, loin d’être isolée, aurait pu lconduire Malek Boutih à cultiver un sorte de méfiance, voire de ressentiment vers la République française. Il n’en est rien. Ce fils d’un maçon et d’une femme de ménage berbères est devenu à l’Assemblée nationale une sorte d’ayatollah de la laïcité, tranchant et vitupérant. Ce prurit républicain lui est venu peu à peu, avec l’âge, comme l’arthrose s’accroche aux vieilles personnes. Au départ de son parcours, Malek Boutih défend les immigrés, leurs traditions et leur libre arbitre.
Du coté des pro^voile
Dans la première affaire du voile, celle qui éclate à Creil en 1989, alors que Lionel Jospin est ministre de l’Education, Malek Boutih est du côté des permissifs. Pas de celui des hussards noirs de la République dont il se voudrait aujourd’hui le porte-drapeau.
Le tournant date d’il y a plus de quinze ans, lorsque Malek Boutih accède à la présidence d’un SOS Racisme, à bout de souffle. Nous sommes en 1999. Pour sa première sortie publique, le nouvel homme fort de l’association antiraciste choisit « Le Figaro », pour parler de la lutte contre les ghettos. Trois ans plus tard, la bande de SOS Racisme, à bout de souffle, lance le mouvement « Ni putes, ni soumises », en espérant trouver en Fadela Amara, modeste militante socialiste de Clermont-Ferrand, une nouvelle figure de proue. Lors d’un intense brain storming auquel assistent Julien Dray et Harlem Désir, Malek Boutih lance l’idée d’une organisation dévouée à la cause des femmes qui pourrait s’appeler : « Ni Voile, Ni Viol ». Les méchants ne sont pas ceux qu’on pense, mais les caïds des cités, forcément arabes, qui terrorisent les jeunes filles.
A l’initiative de Malek Boutih et de quelques autres, la socialiste Fadela Amara devient la présidente de « Ni putes, ni soumises », avant de devenir sous ministre de Nicolas Sarkozy
On retiendra finalement la proposition de Mohamed Abdi, le compagnon alors de Fadela Amara. Durant son enfance marocaine, son père l’obligeait, à coup de lattes, à apprendre le Coran. « Islam, lui répétait le paternel, signifie soumis ». Le slogan, « ni Putes, ni Soumises », l’emporte. Hélas pour ses promoteurs, le mouvement ne réussit jamais, à l’opposé de SOS, à conquérir une base populaire. Sur la cinquantaine de comités locaux, seuls quatre ou cinq connurent une certaine vitalité, notamment chez les bobos du centre ville. Et ce n’est pas faute des subventions dont Fadela Amara, devenue ministre de Nicolas Sarkozy en 2007, arrosa le mouvement.
« Le Jacques Doriot du PS »
Après les massacres de Charlie-Hebdo et de l’HyperCasher le 7 janvier 2015, le député de l’Essonne sort de ses gonds. L’un des terroristes, Amédy Coulibaly, était originaire de son fief de l’Essonne. Boutih s’en prend publiquement aux « élus locaux corrompus », accusé de pactiser avec l’islam radical dans des jeux dangereux de clientélisme local. Et de prendre l’exemple de Grigny, où selon lui, il y aurait « une acceptation et une organisation de la violence échappant à l’ordre républicain ». Des élus auraient pactisés avec le mal et permis au « nazi Coulibaly » de se lancer dans ses projets meurtriers. Le maire communiste de la ville s’étrangle. « Boutith a la haine de lui-même, cingle l’édile. C’est le Jacques Doriot du PS ». L’affaire a failli se terminer devant les tribunaux. Depuis, les deux élus du même département ne se parlent plus. Plus généralement, les rapports de Malek Boutih avec le gros des troupes de gauche restent froids. Et pourtant, Malek Boutih était un enfant d’Hollande !
Celui qui deviendra plus tard chef de l’Etat est le parrain de Boutih en politique. Cela date de l’après 21 avril 2002. A l’époque, Premier secrétaire du PS, François Hollande cherchait un symbole pour relancer le parti après la cuisante défaite de Lionel Jospin et l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles. François Hollande et sa compagne, d’alors, Ségolène Royal convient Malek Boutih dans leur résidence de Mougins. Jacques Chirac qui venait de rempiler à l’Elysée, songe en effet à le nommer ministre. Pour éviter que le dirigeant de SOS tombe à droite, François Hollande lui propose d’intégrer les rangs socialistes. Boutih, plutôt chevènementiste à l’époque, se laisse convaincre.
Sitôt séduit, déjà trahi. Au sein de l’appareil du parti, Boutih rédige deux rapports innovants. Le premier sur l’immigration où il se prononce en faveur des quotas ; le second sur la légalisation du cannabis qu’il voit d’un bon œil. Deux avancées que le PS de Hollande s’empresse d’enterrer. Deuxième mauvaise manière aux législatives de 2007 : le Parti socialiste de Hollande et Royal l’envoie au casse-pipe électoral en Charentes. Entre parc à huitres et marais salant, le fils d’immigré se noie, éliminé au premier tour par une dissidente socialiste. Entre Hollande et Boutih, se qui avait commencé comme une lune de miel s’achève dans la rancœur. L’ancien de SOS Racisme entame même un flirt avec Nicolas Sarkozy qui vient d’être élu à la fonction suprême. Le nouveau président, grand lecteur du « Figaro » connaît les positions anti-communautaristes du candidat battu en Charentes. Il propose au socialiste en froid avec Solférino, un poste de secrétaire d’Etat à la Ville. Boutih refuse et va peu à peu se rapprocher de Manuel Valls. L’alliance entre Valls et Boutih était inévitable. Au niveau local d’abord, quand Valls aide Malek Boutih à bouter son rival Julien Dray de son siège de député en 2012. Sur le plan idéologique, les deux hommes se retrouvent à l’aile droite du PS, arcqueboutés sur l’ordre et la laïcité.
Christine Boutin et Marion Le Pen groopies
De là à devenir un expert de la lutte contre l’islam radical, il y a un long chemin. Le rapport titré « Génération radicale » que Manuel Valls lui avait commandé après le 7 janvier, a fait s’esclaffer la petite communauté de spécialistes du djiihadisme. Malek Boutih s’alarme que la jeunesse actuelle soit perdue entre consommation excessive d’alcool et relations sexuelles non-protégées, une jeunesse présentée comm désenchantée, insouciante et donc…susceptible de basculer dans l’islam radical !
Encensé par la passionaria anti-Mariage pour Tous, Christine Boutin et par la très maréchaliste Marion Maréchal-Le Pen, le rapport Boutih a fait un carton dans les rangs les plus durs de la droite. Parmi les personnalités auditionnés figuraient, il est vrai, de drôles d’experts en radicalisation comme une délégation du Front National de la Jeunesse, l’égérie de la manif pour tous, Frigide Barjot, le directeur de Skyrock, Pierre Bellanger, et un certain Jean-Paul Ney, ancien journaliste et barbouzard, mis en examen à de nombreuses reprises pour des motifs aussi évocateurs que « vol et atteinte à la sureté de l’Etat », « menaces de mort », « diffamation » et « recel de violation du secret professionnel ». Une jolie brochette et on le sent, un vrai rempart contre le djihadisme.