Le « coup d’État manqué » d’Evgueni Prigojine a pris de court les régimes alliés de la Russie, en particulier la Centrafrique, le Mali et le Burkina Faso. La place sécuritaire de la compagnie Wagner , sous couvert de l’État russe, est prépondérante à tel point qu’elle avait permis de mettre fin à la coopération française , et à ses bases militaires. Faudra t il choisir entre Poutine et Prigojine ? Wagner va t il se désengager ? Ces questions existentielles se posent dans l’urgence, alors que rebelles et djihadistes sont à l’affût.
by Michel Galy
Étrange incertitude dans les palais africains – du moins ceux qui ont passé une alliance avec la Russie. Et bien d’autres sans doute, en attente d ‘accord ou déjà engagés. Sans parler des pays hors continent à forte présence Wagner comme la Syrie ou la Lybie, ne parle t on pas de la RDC, du Soudan, de la Guinée, du Mozambique, de l’Angola, de Madagascar … tous désireux d’avoir une alliance alternative , ou complémentaire à la coopération occidentale ?
Il est vrai que cette incertitude est celle des experts militaires, des diplomates et des géopolitologues de toute la planète- y compris en Russie et en Ukraine.Le sort des alliances , et même du théâtre des combats est en jeu, et toutes les options semblent ouvertes ; dans ce jeu mondial, l’Afrique risque une fois de plus de faire les frais de la crise, et l’abandon éventuel des alliés de la Russie de passer au chapitre des frais collatéraux.
Il faut dire que la mauvaise réputation de Wagner( extorsion, violences voire assassinats de civils) et l’impossibilité légale et politique de gouvernements africains à employer des mercenaires les obligent à une certaine schizophrénie. Officiellement, tant à Bangui qu’à Bamako , l’État soutient mordicus que seuls des instructeurs de l’armée russe sont présents. Secret de polichinelle politique , quand tous les témoignages montrent la présence effective des membres de Wagner, il est vrai armés et financés par l’État russe, dont les représentants et diplomates engrangent les bénéfices politiques.
Actuellement on assiste à un flottement inédit dans les alliances militaires, et des retournements ou des coups de force ne sont pas exclus. Parfois au pire moment : au Mali, la mise en cause de Wagner coïncide avec la dernière offensive diplomatique de la junte militaire , exigeant le départ de la Minusma. Sorte de suicide stratégique, quand les quelques 20000 militaires maliens opérationnels , fractionnés en clan rivaux ne pourraient plus compter sur les 1600 soldats perdus de Wagner contre les dizaines de milliers de djihadistes sahéliens affiliés à Al Qaida ou à l’État islamique.
WAGNER OU L ARMEE RUSSE ?
Faut il choisir ? C’est bien la question que se posent, en pleine confusion, les chefs d’État concernés : Poutine est bien leur allié politique, mais c’est Wagner qui est à leur porte.
Et non sans tensions ou conflits larvés.Ainsi au Mali , l’attribution de mines d’or à la compagnie privée s’accompagnait de royalties mensuelles très élevées, pour la solde exorbitante des mercenaires Wagner. Le pays défaillant , ces derniers se sont temporairement mis en grève et plus récemment ont exigé et obtenu des postes discrets mais influents au sein du régime militaire !
En Centrafrique le régime s’en est tiré par une pirouette, minimisant le flottement et renvoyant la balle à la Russie :Fidèle Gouandjika, ministre conseiller du président,juge que la Centrafrique « a signé en 2018 un accord avec la fédération de Russie et non avec Wagner » !
A cela, l’habile Serguei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, a déjà répondu dans l’urgence. « Bien sûr » a t il affirmé, « la Russie( et non spécifiquement Wagner) poursuivra ses activités en Afrique ». Sa déclaration , au début mal traduite, fixe pourtant les prémisses d’une réorganisation du dispositif russe au Sud du Sahara.
Il faut bien dire qu’en pleine guerre d’Ukraine, plus que difficile pour le Kremlin, les menées de Wagner en Afrique permettaient à peu de frais de tourner les puissances occidentales par le Sud , notamment la France identifiée par Moscou comme le « maillon faible » des alliés, en reprenant le discours internationaliste de l’ancienne URSS. Se payant en matières premières et exigeant des sommes considérables des états concernés, Wagner a évité de mobiliser sur un théâtre secondaire des milliers de soldats russes, indispensables sur le front contre Kiev et ses alliés .
Pourtant une guerre virtuelle, préalable au conflit réel ,avait tourné à l’avantage de la Russie contre la France et l’Occident en général et Wagner y avait joué un rôle majeur. On sait que dans la cyber guerre en cours contre l’influence occidentale en Afrique les « troll » de Wagner ont joué un rôle majeur , et à un moindre coût. Quelle sera désormais leur position ? Seront ils momentanément ou définitivement paralysés ?
Déjà sur les réseaux sociaux un grand embarras se fait jour chez les activistes partisans de la junte malienne ou burkinabé- parfois localisés dans d’autres pays comme la Cote d’Ivoire ou même en Occident, à l’heure de la mondialisation des réseaux.
Jusque là tout était simple pour les activistes pro Russes : caricaturalement Poutine décidait, Prigojine exécutait – bien que peu de militants africains connaissent ce dernier. Depuis le putsch raté de Prigojine, théories du complot et projections ethnocentriques vont bon train. Pour un militant ivoirien sur Facebook, les termes « rebelle » et « traître » employés par Poutine expliquent tout : et de comparer Progojine au « rebelle Guillaume Soro » !
REBELLES DJIHADISTES ET FORCES OCCIDENTALES A L ‘AFFUT
Les premiers à se manifester contre les activités de Wagner en Afrique ont été …les Américains. Le gouvernement de Joe Biden, profitant de la faiblesse momentanée de Wagner, vient en effet de cibler les ressources minières de la compagnie privée russe au Mali et en Centrafrique. En particulier en visant les sociétés qui contrôlent ses activités comme Midas ressources en Centrafrique qui rapporterait à Wagner 290 millions de dollars par an , selon l’agence Bloomberg. De même que les biens d’Andrei Ivanov pour le Mali et sa société Africa politology, organisation à laquelle émargent nombre d’activistes .
Le retrait de la Minusma du Mali , à la demande de la junte malienne, s’est décidé ce Vendredi au Conseil de sécurité de l’Onu, dans les six mois. Si le retrait de ces 15000 hommes, dont 13000 combattants est effectif dans les mois à venir, on voit mal les Nations unies céder leur matériel lourd à Wagner, entreprise privée de mercenaires sous sanctions internationales, qui plus est en querelle avec le pouvoir russe. Après le départ de la force Barkhane, le Mali se trouverait devant un vide sécuritaire inquiétant, et le millier d’hommes de Wagner pourrait, coupé de l ‘appui russe, se trouver pris au piège.
Dans les analyses de géopoliticiens occidentaux sur le « cas Wagner », ne semblent compter que les décisions étatiques et les décisions des leaders reconnus. Or les rebelles centrafricains et bien plus les djihadistes sahéliens, se tiennent au courant de l’actualité internationale. Une menace gravissime pour des régimes comme celui du Mali ou du Burkina serait que profitant de cette période de flottement, de paralysie de Wagner et d’incertitude des militaires au pouvoir, les différents groupes se coalisent comme en 2012 et partent à l’assaut des capitales.
DU SCÉNARIO CATASTROPHE À LA RÉORGANISATION RUSSE
Le pire serait sans doute, pour les populations africaines, la transformation de Wagner en une milice de mercenaires indépendants de l’État russe aussi bien que des gouvernements locaux. Obligés dès lors de survivre comme prédateurs, ils se rapprocheraient des « affreux » à la Bob Denard qui ont sévi au Congo puis aux Comores, tentés de se tailler un royaume ou un fief dans des zones troublées, voire de vendre leur capacité de combat au plus offrant.
Nul doute dans ce cas que les « Services » , notamment américains ou français ne soient à l’affût, prêt dans cette hypothèse qui peut sembler pour le moment rocambolesque de « retourner » les soldats perdus en cas de lâchage avéré par l’État russe, voire de tenter de déstabiliser des régimes verbalement très violemment anti occidentaux.
L’alternative inverse serait peut être , après cette période chaotique, une nouvelle articulation entre les décideurs russes et les mercenaires de Wagner, qui sans armes et sans crédits , ne pourraient tenir longtemps. Le pouvoir russe a déjà a réglé la situation par une purge en Syrie, un colonel et des officiers de Wagner arrêtés avec le concours de l’armée nationale ; il n’est pas sûr qu’étant donné les rapports de forces une telle solution radicale soit possible en Afrique subsaharienne.
En clair , tout dépend des relations à venir entre Vladimir Poutine et Evgueni Prigojine, notamment de l’intégration ou non des miliciens de Wagner dans l’armée russe. Une fois de plus les chefs d’États africains se trouvent pris au piège de décisions prises sur un autre continent, hors de leurs desiderata. Le roi est nu à Moscou , le régime a vacillé. Les régimes inféodés à Moscou probablement aussi, et à plus forte raison.