Les chancelleries étrangères, dont la France – grande sœur historique du Liban – surveillent d’un œil attentif l’élection présidentielle. Paris a manifesté sa présence à bien des reprises envers le pays du Cèdre depuis le début de la crise économique qui secoue le Liban depuis octobre 2019 et encore plus après l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. On se souvient des visites du président Macron sur les ruines du port, et des réunions qu’il avait eu avec les responsables politiques libanais. Trois ans plus tard, Paris soutient le candidat du tandem chiite composé du Hezbollah et du parti Amal : Sleiman Frangié, le chef des Marada (ancienne milice devenu un parti politique).
Un article d’Ici Beyrouth
Voici maintenant sept mois que l’ancien président libanais Michel Aoun a quitté le palais présidentiel de Baabda. Depuis, le fauteuil de président est vide. Au Liban, le système politique veut que le chef de l’État soit élu par les députés, donc, au suffrage universel indirect, pour une durée de six ans. Les députés ont été élus lors des dernières élections législatives, il y a un an maintenant. Mais en sept mois de séances au Parlement et de tractations en coulisses, pas de résultat. Les différents partis peinent à se mettre d’accord, et soutiennent des candidats différents. À savoir que tous les candidats doivent être chrétiens maronites, condition nécessaire pour accéder au fauteuil présidentiel selon la constitution.
Tant que l’opposition ne s’est pas entendue sur un candidat sérieux qui a des chances d’accéder à la tête de l’État, la France reste attachée à la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié.
Le Patriarche à Paris
Les discussions que le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a eues mardi à Paris avec le président français, Emmanuel Macron, n’ont pas débouché sur un changement clair au niveau de la position de la France concernant l’élection présidentielle, bloquée depuis octobre 2022 au Liban. Selon une source diplomatique française, le chef des Marada, Sleiman Frangié, dont la candidature à la tête de l’État est soutenue par le tandem Amal-Hezbollah reste un choix « réaliste en l’absence d’autres options ».
Il n’y a donc pas eu de véritable changement au niveau de la position de Paris qui insiste sur l’urgence d’élire un président qui mettrait en place un plan de réformes économiques et sociales, a-t-on indiqué de même source à Ici Beyrouth. « À un certain moment, la (seule) solution (au blocage de la présidentielle) semblait être la formule que nous avions proposée pour avancer et sortir de l’impasse. En l’absence d’une nouvelle formule, notre position pragmatique et réaliste demeure inchangée », selon cette source. Et d’expliquer dans le même temps, qu’ « à aucun moment la France n’a cherché à soutenir la candidature de Frangié contre la volonté des chrétiens ».
À la question de savoir si la France appuierait la candidature de l’ancien ministre des Finances, Jihad Azour, à la présidence de la République, la source a répondu que « Paris n’a pas de candidat particulier et n’a pas de droit de veto sur aucune personnalité » qui brigue la magistrature suprême. « Elle est prête à travailler avec n’importe quel président » dont l’objectif est de mettre en oeuvre des réformes indispensables, selon la même source.
La rencontre de Mgr Bechara Raï avec Emmanuel Macron en début de semaine visait à mettre en lumière les efforts déployés par les principales factions chrétiennes, hostiles à la candidature de Sleiman Frangié, pour se mettre d’accord sur un candidat commun et crédible à la présidence de la République.
Selon certaines sources, le patriarche a clairement indiqué au président Macron que la France ne pouvait pas ignorer la volonté d’une grande majorité de chrétiens et d’une partie importante du peuple libanais qui s’opposent à la candidature du chef des Marada.
« Paris fait montre de diplomatie »
Le porte-parole du parti Kataëb (« Les Phalanges, chrétiens), Patrick Richa, a pour sa part rappelé que les Français ont fait pression en faveur de l’élection de Sleiman Frangié, au motif qu’il était le « seul candidat sérieux et disponible » à la tête de l’État. « Ils reconnaîtront en temps voulu qu’il existe d’autres choix viables et valables », a-t-il ajouté, en référence à l’entente qui se confirme, au niveau chrétien notamment, en faveur de la candidature de Jihad Azour, à la présidence de la République.
Le député Sami Gemayel, chef du parti des Kataëb, avait joué un rôle de médiateur, rappelle-t-on, entre les deux principaux partis chrétiens rivaux, les Forces libanaises (FL) et le Courant patriotique libre (CPL), tous deux fermement opposés à Sleiman Frangié.
Les Kataëb ont également coordonné leurs efforts avec le patriarche maronite, ce qui devrait aboutir à un soutien officiel à Jihad Azour, actuel directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire international (FMI).
Commentant les discussions de Mgr Bechara Raï à Paris, Patrick Richa s’est contenté de déclarer à Ici Beyrouth : « Il est trop tôt pour évaluer les résultats ». « Je crois que les Français font preuve de diplomatie. Ils pourraient être en train de faire montre de bienveillance parce que ce qui compte pour eux, ce sont leurs intérêts, qui ne sont pas en notre faveur pour le moment. Leurs intentions seront mises à l’épreuve lorsque nous aurons annoncé notre soutien officiel au candidat de notre choix », a-t-il déclaré.
« L’autre camp (dirigé par le Hezbollah) se sentait jusqu’à présent à l’aise, pensant que son candidat n’avait pas de concurrent, mais les choses ont changé au cours des dernières semaines », a ajouté le responsable Kataëb. « Si tout se passe comme prévu, M. Azour devrait recueillir quelque 69 voix sur les 128 au Parlement, sans compter les 10 à 15 voix des députés indécis qui pourraient éventuellement se ranger de notre côté », a affirmé Patrick Richa.